Luttes et mobilisations

Médiapart - Des emplois socialement inutiles, comme celui de trader, dix fois mieux payés et reconnus que des emplois socialement utiles, comme ceux d’infirmière...

Octobre 2019, par Info santé sécu social

La lettre hebdomadaire de Médiapart de chaque vendredi
Le 11 Octobre 2019

Par la rédaction de Mediapart

Comment expliquer que des emplois socialement inutiles, comme celui de trader, soient dix fois mieux payés et reconnus que des emplois socialement utiles, comme ceux d’infirmière, d’enseignant ou d’éboueur ? C’est la question que se pose depuis des années l’anthropologue et économiste américain David Graeber. Ce problème, volontairement ignoré, nous revient comme un boomerang.

Des années de politique d’austérité, de réforme générale de politique publique (RGPP), de réorganisations incessantes adoptant la seule vision comptable, ont visé prioritairement les emplois socialement utiles parce qu’ils sont considérés comme dépensiers. Ces politiques aboutissent aujourd’hui à l’effondrement de pans entiers du système social, à l’épuisement des personnels qui tentent de tenir à bout de bras et de sauver ce qui peut l’être.

Depuis février, les services d’urgence des hôpitaux sont en grève pour dénoncer le manque de moyens humains et matériels, la ruine de l’hôpital public et du système de santé, la détresse des soignants et des personnels hospitaliers. Huit mois de grève que le gouvernement a tenté d’invisibiliser : il ose demander 4 milliards d’économies supplémentaires en 2020 à un système à bout de souffle. Un affront de plus, un affront de trop. Chefs de service, urgentistes, infirmières, internes, personnels soignants se sont retrouvés le 10 octobre à la Pitié-Salpêtrière pour appeler à une grande manifestation le 14 novembre et étudier les moyens d’action, dont la grève des tarifications.

Un mouvement d’une telle ampleur n’avait pas eu lieu depuis 2009. Il donne la mesure de la colère, du désarroi, de l’éreintement qui touchent l’hôpital et plus largement le secteur de la santé et du social. La privatisation rampante d’une partie de ces activités aggrave encore la situation. Notre reportage à l’Ehpad de Nancy, la résidence des Cygnes, contrôlé par le groupe Orpea, illustre cette dégradation, parmi tant d’autres. Là-bas, pas une chambre à moins de 3 000 euros. Mais pour ce prix, les résidents sont abandonnés, maltraités. Les directions se succèdent, le personnel est insuffisant, le turnover impressionnant, les infirmières et aides-soignantes craquent.

Car les femmes sont souvent en première ligne. Parce que ces secteurs sont encore trop perçus comme « une vocation naturelle », héritage des bonnes sœurs, les directions et responsables font appel au « dévouement ». Plus qu’ailleurs encore, les femmes y sont précarisées, sous-payées, exploitées, pauvres.

« Je n’aime pas le mot pénibilité, parce que ça donne le sentiment que le travail est pénible », a sermonné Emmanuel Macron lors d’un débat sur les retraites à Rodez le 3 octobre. Le 8 octobre, des aides à domicile, relevant aussi bien du secteur public que privé, ont manifesté, rappelant en écho d’autres réalités qui semblent ignorées du côté de l’Élysée. Au fil des ans, elles constatent la détérioration de leurs conditions de travail, des horaires qui s’allongent, des cadences imposées de plus en plus rapides, des salaires et des indemnités de plus en plus maigres. Et ce mal de dos, lancinant, qui revient sans cesse dans les témoignages. « Ce n’est pas une vie, mais de la survie », affirme Béatrice Belle, aide-soignante à Saint-Étienne.