Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Médiapart - Des tests sérologiques attendus mais incertains

Mai 2020, par Info santé sécu social

21 MAI 2020 PAR ROZENN LE SAINT ET CAROLINE COQ-CHODORGE

Les tests sérologiques seront remboursés. Dans un premier temps, le personnel soignant sera prioritaire pour y avoir accès, afin de mesurer la circulation du virus dans les hôpitaux ou les Ehpad. L’interprétation individuelle d’un test séropositif est encore difficile.

Après la bataille des masques, celle des tests sérologiques a-t-elle débuté ? Valérie Pécresse, la présidente de la Région Île-de-France, en a commandé cinq millions, proposés aux entreprises franciliennes via sa centrale d’achat au prix unitaire de 9 à 12 euros. 150 000 sont offerts par la collectivité locale aux soignants. Selon la présidente de Région, ces tests « donnent une information utile aux personnels soignants, aux personnes en risque de santé et/ou particulièrement exposées ».

Dans l’Oise, la campagne de dépistage a déjà commencé dans la commune de Nogent-sur-Oise : le test est proposé aux 600 élus et agents de la ville. « Cela sera plus simple pour nous afin de préparer l’après », a expliqué au Parisien le maire LREM Jean-François Dardenne, qui envisage de tester l’ensemble de sa population. À 42 euros le test sérologique, « c’est un coût important pour la commune », constate Loïc Pen, à la tête d’une liste d’une union de la gauche, dans la campagne électorale suspendue.

« Ces tests ont un grand succès, reconnaît Loïc Pen. Les gens veulent savoir s’ils ont été infectés, s’ils sont protégés. Mais beaucoup de gens vont être déçus, car même dans l’Oise, 80 % des tests sérologiques sont négatifs, ce qui signifie que la personne n’a pas rencontré le virus et développé une immunité. » Loïc Pen est qualifié pour s’exprimer sur le sujet : il est aussi urgentiste à l’hôpital de Creil, l’un des premiers exposés au Covid-19. Il est même l’ancien chef de service des urgences.

Cette attente des tests sérologiques lui paraît même excessive : « Aux urgences, les gens nous les réclament. Certains l’exigent même, avec de l’agressivité parfois. Mais que fait-on d’un test séropositif ? Si l’infection au coronavirus est récente, la personne peut encore excréter du virus », met-il en garde. « Plusieurs dizaines de milliers de tests sérologiques ont déjà été réalisés », confirme Lionel Barrand, président du syndicat des jeunes biologistes. Leurs tarifs sont compris entre 15 et 59 euros, non remboursables pour l’heure par la Sécurité sociale, et sans garantie sur l’efficacité des tests.

La liste des tests sérologiques, à l’efficacité validée, remboursés sur prescription médicale, devrait être publiée « dans les prochains jours », selon la Direction générale de la santé. Le 19 mai, devant l’Assemblée nationale, Olivier Véran les a qualifiés d’« armes de diagnostic supplémentaires ». Dans un premier temps, ils seront réservés aux blouses blanches. Le ministre de la santé a assuré que, dès le début de la semaine du 25 mai, « le personnel soignant, à l’hôpital, en Ehpad, en établissement médico-social mais également en ville » y aura accès sur prescription médicale. Et ils seront remboursés.

Le but ? « Cela sera particulièrement utile pour la surveillance épidémiologique ; pour mieux connaître la diffusion du virus au sein de cette population et l’immunité de nos professionnels », a complété Jérôme Salomon, directeur général de la santé, un peu plus tard dans la soirée lors d’un point presse spécial sur les tests. Le mot « immunité », longtemps interdit car trop chargé d’incertitudes scientifiques, a été prononcé plusieurs fois par Jérôme Salomon. « Même si nous ne savons pas encore si cette immunité, qui apparaît généralement deux à trois semaines après l’infection, protège longtemps pour la suite », a-t-il précisé.

Les cas de Coréens considérés comme guéris du Covid-19, puis testés par la suite positifs au coronavirus, ont inquiété la terre entière. Finalement, ces réinfections supposées étaient de fausses alertes, selon l’Organisation mondiale de la santé : ce n’était pas une nouvelle contamination qui avait rendu les tests positifs, mais des fragments de virus restés présents dans l’organisme, issus de l’infection d’origine.

« Par analogie avec les autres virus respiratoires, on fait l’hypothèse que les anticorps sont protecteurs, précise Astrid Vabret, professeur de virologie au CHU de Caen et membre du groupe de travail de la Haute Autorité de santé (HAS) sur les tests sérologiques. Dans le cas contraire, ce coronavirus serait le seul virus au monde à provoquer une pandémie permanente ! Ce qu’on ne sait pas encore, c’est combien de temps on est protégés après une infection. La difficulté, c’est l’analyse individuelle de ces tests : la réponse immunitaire est variable d’un individu à l’autre. On sait aussi que les gens qui ont eu des formes sévères de Covid-19 ont généré plus d’anticorps protecteurs que ceux qui ont eu des formes peu symptomatiques. »

Cela explique le choix de tester en premier les soignants : une personne contaminée sur cinq travaille dans le secteur de la santé selon Santé publique France. « Il est logique de réaliser les tests sur la population la plus touchée, les performances de cette technique sont meilleures sur une population dans laquelle le virus a beaucoup circulé », confirme Lionel Barrand, du Syndicat des jeunes biologistes médicaux. Autre intérêt selon le biologiste, « ces tests auprès de ceux qui sont en première ligne permettront de savoir quelles mesures de protection sont les plus efficaces. On saura par exemple si les personnels d’établissements qui ont dû utiliser des masques chirurgicaux faute de masques FFP2 ont été davantage contaminés ».

Des anticorps plus ou moins protecteurs
Pour le reste de la population, la colonne vertébrale de la stratégie de dépistage reste le test virologique dit PCR, par prélèvement nasal grâce à un grand coton-tige, qui est le seul remboursé pour l’heure. « Ce qu’il faut retenir pour chaque citoyen aujourd’hui, c’est que le seul test virologique est prescrit parce que c’est celui qui permet de savoir si l’on est actuellement porteur du virus et s’il faut vous isoler pour éviter que vous contaminiez vos proches », a précisé Jérôme Salomon.

Pendant le confinement, les personnels soignants étaient déjà prioritaires pour se faire tester via le test virologique dit PCR, mais c’était alors faute de disposer de capacités de dépistages suffisantes pour tester massivement (lire aussi Derrière l’absence de dépistage massif du Covid-19, la réalité d’une pénurie).

Annoncés depuis le mois de mars, les tests sérologiques se sont fait attendre. « Ils sont plus difficiles à développer pour les industriels. Dans le sang, il faut réussir à doser les “bons” anticorps, les immunoglobulines G (IgG) et les immunoglobulines M (IgM) dirigés de façon spécifique contre le Covid-19. Et leur interprétation est difficile, car on ne sait pas encore très bien quels anticorps sont protecteurs », précise la virologue Astrid Vabret.

À la différence des tests virologiques, qui détectent en quelques heures si le virus est présent dans notre corps, les tests sérologiques recherchent les anticorps produits par notre organisme pour lutter contre le virus. « Ce qui explique que les tests sérologiques ne peuvent être utilisés en diagnostic précoce mais à partir d’une semaine après l’apparition des symptômes », précise la fiche pédagogique sur les tests de la HAS.

Dominique Le Guludec, présidente de la HAS, met bien en garde : « Pour l’heure, les tests sérologiques n’indiquent pas si on n’aura plus jamais le Covid-19 et nous ne sommes pas encore totalement formels sur la question de savoir si l’on est contagieux même si l’on a eu le virus il y a longtemps, d’où l’importance de maintenir les gestes barrières quoi qu’il en soit. » En cette période de tâtonnements scientifiques, la crainte est bien que les mesures de distanciation sociale, de protection de soi et des autres, soient négligées.

« Comme tout le monde, nous sommes impatients d’avoir la réponse sur le caractère protecteur des anticorps. Nous espérons que très rapidement, l’utilité des tests sérologiques s’élargira quand nous aurons une réponse sur le fameux passeport immunitaire », annonce, optimiste, la présidente de la HAS. Pour l’heure, dans sa stratégie d’utilisation des tests sérologique, la Haute Autorité y voit tout de même deux utilités.

D’abord, et en premier lieu, un intérêt collectif, épidémiologique, pour savoir où le virus a circulé. Ensuite, un intérêt individuel, en tant que diagnostic de rattrapage, mais dans trois cas de figure. Le premier, pour tous les patients qui ont été symptomatiques sans avoir été testés par PCR dans les sept jours suivant l’apparition des symptômes. « Cela aide à poser un diagnostic, c’est toujours mieux pour un suivi médical de qualité », commente Dominique Le Guludec, présidente de la HAS.

Deuxième cas de figure : les personnes qui ont présenté tous les signes cliniques du Covid-19 mais dont le résultat du test PCR est resté négatif. Les tests sérologiques peuvent compléter le dépistage du fait de « la fiabilité à 70 % des tests PCR en diagnostic de rattrapage », précise Dominique Le Guludec (lire aussi les tests PCR).

Parmi les personnes ne présentant pas de symptômes, seuls les personnels soignants et travaillant au sein d’hébergements collectifs (établissements sociaux et médico-sociaux comme les Ehpad, prisons, casernes, etc.) peuvent bénéficier de ces tests : il s’agit du troisième cas de figure. En tout, « les tests sérologiques concernent plusieurs millions de personnes », estime la présidente de la HAS. Leur déploiement massif est donc attendu dans un deuxième temps, après la priorisation donnée aux personnels soignants.

La Haute Autorité de santé recommande dans son avis du 20 mai de rembourser pour ces trois indications deux types de tests sérologiques, sur prescription médicale, tous les deux pratiqués en laboratoire : le test Elisa, le plus fiable et le plus cher, réalisé à partir d’une prise de sang, qui livre les résultats en quelques heures, et les tests rapides d’orientation diagnostique (Trod), qui affichent un résultat immédiat à partir d’une simple goutte de sang.

Le dispositif de remboursement des tests rapides d’orientation diagnostique (Trod) sera défini plus tard. Ces tests sont, eux, réalisables en pharmacie ou accompagné d’un professionnel de santé également à partir d’une goutte de sang, mais préconisés seulement pour les personnes éloignées géographiquement des laboratoires ou en situation de précarité.

Seuls les autotests commercialisés en pharmacie, quels qu’ils soient, sont exclus du remboursement car estimés insuffisamment fiables pour l’heure par la HAS du fait de « leurs performances inégales et de leur difficulté à être interprétés sans l’aide d’un médecin », selon sa présidente. Ils étaient pourtant présentés comme aussi simples qu’un test de grossesse, réalisables seuls à domicile, idéal quand une personne doit rester confinée. Selon le New York Times, les autotests salivaires pourraient même être généralisés aux États-Unis.

Une dernière question se pose : le gouvernement a-t-il cherché à gagner du temps pour faire des économies sur les tests sérologiques ? « Je ne pense pas que ce soit la raison principale, l’évaluation a été longue, estime Lionel Barrand. Le ministère de la santé n’est plus à quelques millions d’euros près pour affronter cette crise. »