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Médiapart - Droit de grève : la CGT alerte sur « un guide pratique » pour licencier les syndicalistes

Mars 2023, par Info santé sécu social

Une note de la direction générale du travail, datée de la mi-mars, rappelle aux inspecteurs du travail les motifs permettant de valider, « pour des faits [...] de grève », le licenciement d’un salarié protégé. La CGT hurle à la manipulation en plein mouvement social. Le ministre réfute toute entrave au droit de grève.

Cécile Hautefeuille
24 mars 2023

On ne saurait dire si cette note tombe mal ou à point nommé, au beau milieu d’un mouvement social historique en France. Tout est question de point de vue. Dans les services de l’inspection du travail, elle a en tout cas produit « l’effet d’une bombe », à en croire un représentant CGT du ministère qui dénonce un opportun « guide pratique pour faciliter les licenciements de représentants du personnel “pour faits de grève” ».

Côté ministère du travail, l’embarras est mal dissimulé. Olivier Dussopt s’est fendu d’un tweet jurant n’avoir formulé aucune préconisation contre le droit de grève. Depuis, ses services restent muets devant les sollicitations des journalistes.

La note, dont le contenu a été révélé par le journal L’Humanité, est datée du 13 mars. Elle émane de la DGT, la Direction générale du travail, et a été transmise aux inspectrices et inspecteurs du travail sur le terrain. Mediapart a pu la consulter. En préambule, elle rappelle les fondamentaux : « Le droit de grève est un droit constitutionnel » et « l’exercice du droit de grève ne peut justifier la rupture du contrat de travail, sauf faute lourde imputable au salarié ».

Quant à l’objet du document, il ne laisse planer aucun doute. Il s’agit de « rappeler le cadre du contrôle de l’inspecteur du travail saisi d’une demande de licenciement pour des faits commis dans le cas particulier de l’exercice du droit de grève par le salarié protégé ».

Pour comprendre, il faut rappeler quelques principes, s’agissant des salarié·es dit·es protégé·es du fait de leur fonction représentative dans l’entreprise. Un employeur ne peut pas les mettre à la porte via une procédure « classique ». L’inspection du travail doit en effet autoriser, ou non, leur licenciement. Elle mène systématiquement une enquête contradictoire visant à s’assurer que la rupture du contrat, souhaitée par l’employeur, n’est pas une mesure discriminatoire liée aux fonctions représentatives.

« Ce que l’on vérifie, c’est le lien entre la demande de licenciement et le mandat de la personne, détaille la CGT du ministère du travail, auprès de Mediapart. S’il y a un lien, c’est automatiquement refusé. »

Un rôle de « meneur »

Or, dans la note transmise mi-mars aux agent·es, la Direction générale du travail prend soin de dresser la liste de cas, faisant figure d’exception. « La DGT nous dit : “Regardez ! Il y a des jurisprudences qui permettent d’autoriser le licenciement ! », ironise le représentant CGT.

Le document attire ainsi l’attention sur le « rôle de meneur » du salarié protégé dans le cadre d’« actes illicites ». Et donne des exemples dans lesquels le licenciement doit être considéré comme justifié. Le tout assorti de liens utiles vers les décisions faisant jurisprudence.

Parmi ces exemples, on trouve : « La participation personnelle et active à de graves incidents dans une usine, ainsi que le rôle de meneur, même si les intéressés ne se sont pas personnellement livrés aux violences commises contre des salariés non grévistes. » Ou encore : « Le fait d’avoir entravé la liberté de travailler des autres salariés en procédant à des blocages illicites ; le rôle “prépondérant, constant et particulièrement actif” du salarié est relevé. »

En revanche, la note rappelle ce qui ne justifie pas le licenciement, comme « la participation d’un représentant du personnel à une grève, sans que des désordres et des violences puissent lui être personnellement imputés » et « le cas de salariés n’ayant pas eu un rôle personnel et actif dans les excès survenus au cours d’une grève ».

La preuve de la participation des faits commis par le salarié peut être rapportée par tous moyens.
Extrait de la note de la DGT

La fiche s’attarde aussi sur « le contrôle de la gravité des faits ». Et précise : « Pour les salariés protégés, le Conseil d’État a posé le principe selon lequel seule la faute lourde peut constituer une faute d’une gravité suffisante pour justifier d’un licenciement et qu’il doit être tenu compte des exigences propres à l’exécution du mandat. »

La DGT recommande donc aux inspectrices et inspecteurs du travail de prendre « en considération le rôle modérateur que devraient jouer les salariés protégés dans le cadre d’un conflit collectif pour apprécier la gravité de la faute ». Participer à l’occupation de locaux ou à l’expulsion d’un directeur « sans jouer de rôle modérateur » renforce ainsi la gravité, selon la jurisprudence citée dans le document.

« En revanche, l’autorité administrative n’a pas à rechercher si les actes commis par le salarié ont porté une atteinte grave aux intérêts de la société », précise la note. De la même manière, l’inspection du travail n’a pas à contrôler « le caractère licite ou abusif de la grève ».

Enfin, le document prend soin de rappeler les moyens dont disposent les employeurs pour prouver les faits reprochés. « La preuve de la participation des faits commis par le salarié peut être rapportée par tous moyens », écrit la DGT en insistant, en caractères gras, sur les deux derniers mots : « tous moyens ».

Après la grève chez Sanofi, des syndicalistes sanctionnés
Quelques conseils y sont d’ailleurs glissés. « L’employeur peut, au soutien de sa demande de licenciement, communiquer à l’inspecteur du travail des procès-verbaux de gendarmerie ou de police établis dans le cadre de constats d’éventuelles infractions commises par des salariés grévistes », indique la note. Elle précise aussi qu’« en pratique, l’employeur recourt souvent à un huissier de justice afin de constater les faits et d’éviter toute contestation ».

Et livre, là encore, des exemples : « Il a été jugé que la participation personnelle du salarié était établie lorsque l’huissier a noté la présence personnelle des grévistes sur les lieux de travail occupés, interdisant l’accès aux non-grévistes et les a individuellement interpellés, en vain, pour les sommer d’ouvrir les portails. »

« On a l’impression de les avoir inspirés, à la DGT ! », s’amuse Marion Layssac, syndicaliste Sud Chimie, et salariée chez Sanofi-Montpellier. Avec l’une de ses collègues du même syndicat, elle vient d’être sanctionnée d’un avertissement pour sa participation à un blocage, relevée par huissier.

Mediapart l’avait raconté début février : depuis la fin de la grève pour les salaires chez Sanofi, des dizaines de salarié·es sont ainsi visé·es par des avertissements ou des sanctions. Les plus graves, comme la menace d’un licenciement, concernent surtout des syndicalistes. Au Trait, en Seine-Maritime, deux cégétistes de l’entreprise sont sous le coup d’une procédure de licenciement pour faute lourde. L’inspection du travail doit se prononcer d’ici à début avril sur leurs cas. Eux aussi sont sanctionnés pour des blocages jugés illicites par leur direction.

« Cette note qui sort en plein mouvement social, c’est tout à fait fortuit, bien sûr », commentent en chœur les deux salariées montpelliéraines sanctionnées.

C’est improbable, ce qu’il raconte !
Un représentant CGT, à propos d’Olivier Dussopt

« Ce n’est pas une note à portée générale, c’est une note qui comporte des exemples précis pour permettre le licenciement de représentants du personnel ayant participé à un blocage, s’agace de son côté la CGT du ministère du travail. Ce document n’a pas de valeur contraignante mais c’est une tentative de manipulation, on ne peut pas le dire autrement. »

Dans son tweet, posté ce vendredi 24 mars en fin de matinée, le ministre du travail se défend en quelques lignes : « C’est une note interne mise à jour pour tenir compte des évolutions du droit. Elle a été diffusée en réponse aux nombreuses sollicitations de nos services par les employeurs et salariés dans cette période de mobilisation. Elle souligne que le droit de grève est garanti », écrit Olivier Dussopt.

« C’est improbable, ce qu’il raconte !, répond le représentant CGT du ministère. Dans nos services, je peux vous le dire, on n’a aucune sollicitation de ce genre.Vous imaginez un salarié poser ce genre de questions ? Quant aux employeurs, ils consultent d’abord leurs avocats, pas l’inspection du travail ! »

Interrogés plus en détail sur ces fameuses « sollicitations », sur leur nombre et leur contenu, les services d’Olivier Dussopt n’ont, malgré les relances, pas répondu.

Cécile Hautefeuille