Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Mediapart : En Sologne, les aides à domicile sont le bouclier des seniors confinés

Mars 2020, par infosecusanté

Mediapart : En Sologne, les aides à domicile sont le bouclier des seniors confinés

16 mars 2020

Par Jordan Pouille


Les visites sont interdites dans les Ehpad en raison du coronavirus. Quant aux seniors vulnérables confinés chez eux, leur santé dépend de la vigilance des aides à domicile. Reportage en Sologne.

« Vous devriez parler à l’épouse du garagiste de Fontaines-en-Sologne », nous conseille à la hâte une cliente de la pharmacie de Bracieux, miraculeusement réapprovisionnée en gel hydro-alcoolique.

Julie (prénom d’emprunt) est aide à domicile depuis un an, à son compte. Son mari retape des engins militaires dans une grange surveillée par deux gros chiens. Nous sommes vendredi, sa journée vient de s’achever et c’est à travers un haut grillage que Julie s’exprime, « pour maintenir une distanciation sociale », dit-elle, appliquant à la lettre les consignes des autorités de santé.

Julie est d’autant plus prudente qu’elle prend soin, au quotidien, de cinq veuves, dont deux âgées de 90 et 91 ans. « En écoutant le discours du président Macron, j’ai eu peur que mes petites mamies deviennent paranos et refusent que je les approche. Ce n’est pas encore le cas. Je dirais plutôt qu’elles se mettent en mode survie et écoutent docilement les consignes comme pendant la guerre. L’une d’elles a réussi à se faire livrer cet après-midi des dizaines de conserves. J’ai dû tout emmener à la cave. »

Ses « petites mamies » vivent désormais confinées, à l’isolement : à Julie de veiller à ce que le virus ne les approche pas. Elle a annulé les prochaines visites de la coiffeuse à domicile et choisi de ne plus emmener ses clientes au supermarché, à une dizaine de kilomètres. Ni même au bout de la rue. Le seul commerce du village, une boulangerie réputée tenue par un couple franco-vietnamien, souffre déjà. Han Thuy montre ses paniers en osier encore remplis : « La clientèle du matin, plutôt âgée, ne vient plus. »

Claire Marcins, la cinquantaine, est aide à domicile à Lamotte-Beuvron, à 45 km plus à l’est. Elle passe de maison en maison, au volant d’une petite citadine à l’intérieur très parfumé. C’est une salariée de l’association ADMR (Aide à domicile en milieu rural) qui dresse son planning hebdomadaire. Une fois par semaine, Claire se rend ainsi chez Armand Jarry, ancien chauffeur routier, veuf nonagénaire. Elle l’affronte au Triominos pendant deux heures, pour stimuler sa mémoire. « Mais là, il sort d’une hospitalisation. Ils l’ont mis en rééducation à l’Institut de Sologne et il ne peut plus recevoir ma visite. Les infirmières sont aux petits soins, elles ont toute ma confiance, mais c’est très dur pour lui. »

.Claire sait qu’elle devra bientôt diminuer ces interventions jugées non prioritaires pour remplacer des collègues appelées à garder leurs enfants. À cause du virus, Claire s’inquiète pour deux de ses bénéficiaires : une maman paralysée sous la poitrine depuis un accident de voiture, mais aussi Hélène, 36 ans, ex-infirmière, atteinte de sclérose en plaques et installée dans un village isolé. « La première n’a pas de ceinture abdominale. Elle a déjà du mal à respirer, alors ça sera très difficile si le coronavirus l’atteint. L’autre a préparé ses directives anticipées. Jeudi soir, elle m’a regardée droit dans les yeux : elle se dit prête à partir et refusera d’être intubée si besoin. »

Claire se ressaisit : « Le virus n’arrivera pas chez elles. Par ici, les auxiliaires de vie sont un peu âgées, elles n’ont pas toutes des enfants à garder, alors elles resteront largement mobilisées. Et puis on a déjà traversé des périodes de canicule et de grippe forte sans trop de dégâts. S’il le faut, je travaillerai un week-end sur deux en supplément, plutôt qu’un week-end sur quatre. On est habituées à assurer, ça fait partie de notre job. » Et de rappeler qu’elle dispose d’un petit stock de masques, prêts à l’emploi, reçus au début de l’hiver.

Sollicité, le directeur de l’ADMR du Loir-et-Cher ne souhaite pas communiquer sur sa gestion de cette crise sanitaire sans précédent. Mais des responsables d’antennes locales expriment leur désarroi : « Ce vendredi a été très lourd en organisation », confie l’une d’elles. « On va peut-être paniquer dans huit jours, quand les solutions provisoires de garde seront épuisées, et que nos jeunes agentes devront rentrer chez elles. On s’attend alors à devoir espacer les passages, à trier les interventions, mais on ne cessera pas les portages de repas pour autant. »

Une autre responsable : « Une dame qui se sent faible a demandé à son aide à domicile de ne plus venir faire le ménage. D’autres bénéficiaires croient, à tort, qu’ils sont des fardeaux, et proposent à leurs auxiliaires de rester chez elles pour s’occuper de leurs familles. J’ai une seule salariée, mère de trois enfants, qui s’est mise en congés, faute de solution. Et dans tout ça, on n’a toujours pas de gel… »

Dans le département voisin de l’Indre-et-Loire, quand la pénurie de personnel se fera sentir, il faudra bénir la fermeture des universités de Tours. La directrice de l’ADMR 37 et infirmière de formation, Laure Blanc : « Beaucoup d’étudiants se manifestent pour nous donner un coup de main et c’est inattendu. Ils vont pouvoir se faire un peu d’argent et cela devrait nous soulager, en particulier les week-ends. » Mme Blanc coordonne 43 antennes locales, salariant 1 200 aides à domicile pour 6 500 bénéficiaires. « Certaines familles inquiètes veulent moins d’interventions. On n’est pas dans le soin, tout n’est pas vital, alors on ne leur impose rien, mais il faut veiller à ce que cela reste marginal. Pour l’instant, je dirais qu’on gère la situation comme à l’époque des grosses grèves. »

Goûters récréatifs, ateliers de prévention des chutes, balades : les bénévoles de l’ADMR 37 ont annulé toutes leurs animations et se mobilisent pour faciliter le travail des auxiliaires de vie. « Ils seront là quand il y aura un pépin de voiture, un problème de logistique. On a une belle occasion de faire marcher la solidarité. »

À 83 ans, Mme Richefort, installée à la sortie de Blois, face à la Loire, est l’aidante courageuse de son mari qui, depuis une mauvaise chute et l’angoisse de retourner un mois à l’hôpital, n’a plus quitté sa maison. L’arrivée du coronavirus a changé la donne. Après avoir avancé ses courses à l’heure d’ouverture du supermarché pour éviter de côtoyer la foule, elle a finalement demandé à sa nièce de s’en charger. Et supplié l’aide-ménagère de ne plus se présenter. L’élection municipale, enfin, s’est faite sans eux. « Je crois qu’on a très peur de tout ça désormais, vous comprenez », chuchote Mme Richefort avant de raccrocher.