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Médiapart - Enfants à la rue : les compteurs s’affolent

Septembre 2022, par Info santé sécu social

En ce jour de rentrée, le baromètre de l’Unicef et de la Fédération des acteurs de la solidarité révèle que presque deux fois plus d’enfants, par rapport au début de l’année, sont sans logement. En cause : la baisse des places d’hébergement disponibles.

Faïza Zerouala
1 septembre 2022

Près de 12 millions d’élèves ont regagné les bancs de l’école en cette rentrée scolaire. Toutefois, une partie d’entre eux aura dormi sous une tente ou dans un abri de fortune.

1 658 enfants, au bas mot, se retrouvent, en France métropolitaine et en outre-mer, sans solution d’hébergement avant la rentrée scolaire, selon le nouveau baromètre « Enfants à la rue » rendu public ce jeudi conjointement par l’Unicef-France et la Fédération des acteurs de la solidarité.

Ce document recense le nombre de familles qui n’ont pas pu être accueillies dans des structures d’hébergement adaptées malgré leur demande auprès du 115, le numéro d’appel d’urgence pour les sans-abri.

Le document relève une augmentation substantielle : en septembre 2020, 927 enfants avaient dormi dans la rue ou dans des abris de fortune, quelques jours avant le retour en classe.

Pour obtenir une estimation du nombre de mineur·es à la rue en cette rentrée, l’Unicef-France et la Fédération des acteurs de la solidarité ont examiné les appels passés au 115 dans la nuit du 22 au 23 août 2022. Ainsi, 3 133 personnes en famille qui avaient sollicité le 115 n’ont pas pu être hébergées faute de places, dont 1 658 étaient des enfants de moins de 18 ans. 368 avaient même moins de trois ans.

Sur ces 1 658 enfants sans abri, 1 219 avaient déjà dormi à la rue la veille de leur demande.

Le nombre de familles restées sans solution a aussi bondi de 77 % par rapport au début de l’année (1 774 demandes non pourvues au 31 janvier 2022).

Quelle que soit la période, précise le baromètre, la tension est exacerbée à Paris (733 familles en demande, auxquelles il faut ajouter 147 femmes enceintes de plus de trois mois), puis viennent le Nord (239 demandes), la Seine-Saint-Denis (231 demandes) et le Bas-Rhin (212 demandes).

Au-delà de ces données, les associations estiment que davantage de personnes sont en difficulté, mais une partie d’entre elles restent hors des radars de l’État puisqu’elles ne contactent pas le 115.

Pascal Brice, président de la Fédération des acteurs de la solidarité, n’est pas surpris par ces résultats, mais il explique à Mediapart que la situation, et l’errance de ces enfants et de leurs familles, « est inadmissible et préoccupante ».

Cette dégradation est consécutive, selon lui, à un enracinement de la pauvreté bien visible dans les franges les plus fragiles de la société : les jeunes, les femmes, les travailleuses et travailleurs âgés, et les personnes étrangères.

Or la réduction du nombre de places d’hébergement et la baisse de l’investissement de l’État pour financer des nuits d’hôtel, qui débouchent sur un 115 totalement engorgé, n’aident pas à desserrer cet étau, selon Pascal Brice.

Jusqu’au printemps 2022, les places d’hébergement disponibles – 200 000 avaient été pérennisées – étaient à un « niveau historique », selon lui. Il s’agissait de l’effort particulier consenti par le gouvernement pour faire face à la crise sanitaire en 2020. « Nous avions salué l’action de l’État qui avait maintenu, en sortie de trêve hivernale 2021-2022, le nombre de places d’hébergement. Mais la pression budgétaire a mis fin à tout cela dès le printemps, avec une perte d’environ 7 000 places », se désole-t-il.

Pour parer à l’urgence, des initiatives citoyennes essayent aussi d’aider les familles à la rue, en organisant des collectes pour financer des nuits d’hôtel ou en occupant des écoles pour visibiliser ces situations. Le collectif Jamais sans toit, basé à Lyon, multiplie ce type d’opérations depuis 2014, comme Mediapart le racontait en janvier dernier.

Une soixantaine d’établissements scolaires ont servi de refuge à près de 500 enfants, pour une centaine d’occupations. Le collectif, fort de ce savoir-faire, vient de s’allier à des associations nationales engagées dans la lutte contre le mal-logement, comme la Fondation Abbé-Pierre, ou la défense des droits de l’enfant, comme la FCPE, pour lancer un réseau national d’aide aux élèves sans toit. Pour ce faire, ils diffusent des outils à travers un « toitoriel » pour les équipes éducatives, parents et citoyen·nes qui souhaitent aider.

Raphaël Vulliez, l’un des porte-parole de Jamais sans toit, explique la genèse de cette initiative : « On s’est dit que ce serait bien de créer un réseau national parce qu’on trouvait que notre modèle fonctionnait bien. Des initiatives analogues ont commencé à se monter à Strasbourg ou Grenoble. Il fallait les accompagner. »

Après plusieurs rencontres avec la Fondation Abbé-Pierre ou la FCPE, le collectif Jamais sans toit revoit de fond en comble le tutoriel d’outils qu’il utilise pour se mobiliser. De manière concrète, ce « toitoriel » explique comment repérer les situations problématiques, orienter les familles vers un accompagnement social puis organiser une occupation d’école et la médiatiser.

Il est recommandé, par exemple, de contacter les élus locaux et de tendre une banderole visible sur la façade de l’école pour signifier son occupation et attirer l’œil des riverain·es. « Ça nous a demandé un travail de coordination mais on voudrait peser davantage pour créer un réseau de solidarité destiné à pallier les défaillances de l’État, et pour que la loi soit appliquée. » Des formations pour que les militant·es soient efficaces au plus vite vont être dispensées aux adhérent·es du collectif dans le courant de l’automne.

À Lyon, Raphaël Vulliez n’a pas noté d’augmentation des demandes d’aide mais comptabilise tout de même 29 enfants sans logement à Lyon intra-muros et 121 dans la métropole. Les situations délicates s’enkystent. Aucune des familles en délicatesse rencontrées fin janvier à Lyon n’a obtenu un logement pérenne. Kamel, Djamila et leurs deux enfants, qui venaient d’arriver d’Algérie en France, vivent dans un hôtel alors qu’ils attendent un bébé. Tout comme Teresa et ses trois enfants (angolais), ou encore Mirsada (albanaise), son conjoint et son fils.

Les actions militantes ne suffisent pas, insiste Raphaël Vulliez. « On veut continuer l’interpellation des pouvoirs publics mais cela ne doit pas faire écran : on souhaite toujours que les familles sortent du circuit d’urgence et que la politique de “Logement d’abord” [qui soutient l’accès des sans-abri à des habitations stables – ndlr] soit accélérée. »

Pascal Brice, de la Fédération des acteurs de la solidarité, qui soutient ce nouveau réseau national, partage les mêmes préoccupations, le recours massif à l’hôtel restant « un pis-aller ». Il rappelle que le gouvernement s’est engagé, il y a un an, à faire voter une loi de programmation pluriannuelle en faveur de l’hébergement d’urgence et du logement. Loi dont on est sans nouvelles.

Faïza Zerouala