Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Médiapart - Epidémie de coronavirus : Macron instaure le confinement sans le dire

Mars 2020, par Info santé sécu social

Mardi 17 mars 2020

par BREDOUX Lénaïq, GRAULLE Pauline

Le président de la République a annoncé l’interdiction de tous les déplacements non « nécessaires » à partir de mardi midi, pour « au moins » deux semaines. Une nouvelle annonce de l’exécutif, aux contours encore flous, alors que l’épidémie connaît une évolution dramatique.

Quatre jours seulement se sont écoulés entre les deux interventions d’Emmanuel Macron. Dans l’intervalle, son premier ministre Édouard Philippe avait annoncé de nouvelles mesures. Mais rien n’y fait : le Covid-19 gagne du terrain à une vitesse alarmante. Alors l’Élysée a finalement tranché pour le confinement de la population sur la totalité du territoire métropolitain ultramarin. Le second tour des municipales est reporté. L’activité du Parlement sera réduite, et les réformes en cours seront suspendues.

La veille, il encourageait pourtant encore les Français à se rendre aux urnes.

« L’épidémie est devenue une réalité immédiate, pressante », a justifié lundi soir le président de la République, alors que plus de 1 200 nouveaux cas ont été détectés en France sur la seule journée de lundi, portant à 6 633 le nombre de personnes diagnostiquées, pour 148 décès depuis le début de l’épidémie de coronavirus. La situation est tout particulièrement critique dans le Grand-Est.

Plusieurs pays européens sont touchés de plein fouet, l’Italie bien sûr, mais aussi l’Espagne, l’Allemagne, la Suisse et la Belgique qui ont toutes annoncé des mesures exceptionnelles.

Emmanuel Macron a ensuite répété comme un mantra, et contre toute évidence : « Nous sommes en guerre. » Une référence historique et un artifice de communication, dont on ne sait s’il est destiné à faire prendre conscience à tout le monde de la gravité de la situation ou à masquer la gestion de la crise sanitaire par le pouvoir, qui semble parfois erratique.

En vingt longues minutes de discours, Emmanuel Macron s’est en revanche gardé d’employer le mot de « confinement » : c’est pourtant bien de cela qu’il s’agit désormais. Le président de la République a donné le sentiment de réserver encore une possibilité de gradation dans d’hypothétiques futures annonces – « régulièrement je m’adresserai à vous », a-t-il promis.

Son ministre de la santé Olivier Véran, lui, n’a pas hésité, quelques minutes après l’intervention du chef de l’État, à faire l’explication de texte. « Restez chez vous », a aussi répété en fin de soirée son collègue de l’intérieur Christophe Castaner, lors d’une conférence de presse. « Trop de personnes font encore peu de cas des mesures sanitaires », a-t-il souligné.

Olivier Véran

@olivierveran
Pour protéger les Français, nous prenons les mesures de confinement qui s’imposent.

N’entrez pas en contact avec plus de 5 personnes par jour. Chaque contact évité peut être une vie sauvée.

Par la mobilisation de chacun, ensemble, nous ferons face au #COVIDー19.

« Se promener, retrouver ses amis dans le parc, la rue ne sera plus possible. Il s’agit de limiter au maximum ses contacts au-delà du foyer », a expliqué le président. La mesure entrera en vigueur mardi 17 mars à midi, « pour quinze jours au moins » – les dernières mesures, visant notamment la fermeture des bars, des restaurants, et de très nombreux commerces, sont quant à elles déjà prévues pour durer un mois [1]…

Seuls les trajets « nécessaires » seront permis : « pour aller faire ses courses », « pour se soigner », « pour aller travailler » quand le télétravail est impossible (tous les secteurs sont concernés, et non seulement les secteurs stratégiques ou de soin), et pour faire de l’activité physique en respectant, là encore, de la distance vis-à-vis des autres (cette dernière préconisation, particulièrement floue, étant contestée par certains médecins). On pourra promener son chien, ou « prendre l’air », mais « pas jouer un match de foot », selon le ministre Castaner.

« Toute infraction sera sanctionnée », a encore dit Macron, alors que le gouvernement s’est dit consterné du comportement des Français ces derniers jours. Avant d’insister : « Je pose des règles nouvelles. Il y aura des contrôles. »

« Un dispositif de contrôle » sera mis en place par les forces de l’ordre, « sur les axes principaux et secondaires, partout sur le territoire », avec plus de 100 000 policiers et gendarmes, a indiqué Castaner. Il faudra se déplacer avec une attestation sur l’honneur pour autoriser un déplacement, téléchargeable sur le site du ministère de l’intérieur ou sur papier libre, ou avec une carte professionnelle.

Sinon, l’amende, que risque tout contrevenant, devrait être portée à 135 euros.

À partir de mardi midi et pour 30 jours, les frontières de l’Union européenne et de l’espace Schengen seront quant à elles fermées.

Le dispositif institutionnel est lui aussi chamboulé : toutes les réformes en cours, notamment celle des retraites dont l’examen n’était pas encore terminé malgré le recours au 49-3, sont suspendues. En conséquence, l’Assemblée et le Sénat seront de fait privés d’activité parlementaire et ne conserveront que le volet de contrôle de l’activité gouvernementale. Le gouvernement parera au plus pressé par ordonnances « pour la gestion de crise », a annoncé Macron. Un projet de loi en ce sens sera examiné par le parlement « dès jeudi ».

Quant au second tour des municipales, il est reporté – au plus tard en juin 2020, en conservant les résultats du premier tour organisé dimanche 15 mars, pourtant largement biaisés par une abstention très marquée (en hausse de vingt points par rapport au dernier scrutin de 2014 !) [2]. Un projet de loi sera présenté en ce sens mercredi au conseil des ministres.

Les maires élus dès le premier tour sont confirmés dans leur nouvelle fonction. Selon le chef de l’État, c’est le cas dans 30 000 des 35 000 communes françaises – essentiellement les plus petites.

Pour les 5 000 restantes, le mandat des équipes actuelles est prolongé jusqu’à l’organisation du second tour et le délai pour présenter les listes au second tour (par exemple en cas de fusion de listes) est repoussé. Dans les intercommunalités, des équipes de transition seront mises en place.

Sur le volet économique et social, alors que la crise aura des effets dramatiques en terme d’activité, et donc d’emploi, Macron a promis d’éviter la faillite à toutes les entreprises – avec des dispositifs exceptionnels sur les cotisations et les impôts, ainsi que pour garantir les prêts bancaires à hauteur de 300 milliards d’euros. Il a aussi rappelé les dispositifs de chômage partiel, déjà annoncés.

« J’appelle tous les acteurs politiques, économiques, sociaux, associatifs, tous les Français à s’inscrire dans cette union nationale », a imploré le président de la République.

De fait, jusque-là, malgré la campagne électorale en cours, les principaux responsables de l’opposition se sont gardés d’affronter directement Emmanuel Macron dans sa gestion de la crise – le virus était alors inconnu. La situation sanitaire est beaucoup trop critique pour se livrer à des batailles politiciennes.

Mais les hésitations au sommet de l’État ces derniers jours, avec l’empilement quasi quotidien de mesures toujours plus drastiques, ont fini par agacer. De Marine Le Pen à Olivier Faure en passant par les principaux présidents de région qui avaient demandé le report du scrutin dans les heures le précédant.

Les oppositions refusent de polémiquer, mais dénoncent une forme de « demi-mesure »
Les réactions de LR s’en ressentent. « Nous appelons les Français à l’union sacrée. Le président de la République a pris la mesure de la guerre à laquelle nous devons faire face », a certes salué le député Les Républicains Guillaume Peltier. « J’appelle à plus de clarté sur le confinement et à fournir en urgence du matériel aux soignants », a toutefois ajouté Éric Ciotti, député des Alpes-Maritimes.

À l’extrême droite, Marine Le Pen, présidente du Rassemblement national, a été plus « cash », insistant sur le « flou » du discours présidentiel : « Quand on annonce la guerre, on donne des ordres clairs », a affirmé la députée du Nord, laquelle s’est demandé si les Français avaient bien compris qu’il y aurait un confinement dans les jours à venir. Elle a aussi regretté que le président évoque uniquement la fermeture des frontières européennes, et non celle des frontières nationales.

À gauche, le consensus est globalement de mise. Mais là encore, des critiques affleurent, tant sur l’impression de « demi-mesure » qu’a pu donner l’intervention d’Emmanuel Macron que sur la méthode.

Tous se félicitent du report du second tour des élections municipales. Sur le reste, on attend de voir. « La consigne, c’est “tous à la maison”. Après, il est important que le gouvernement apporte les précisions utiles à cette mise en œuvre. Que chacun comprenne à quoi il est tenu », souligne le député socialiste des Landes, Boris Vallaud, contacté par Mediapart.

C’est que partout, on s’interroge : pourquoi le président n’a-t-il pas explicitement parlé de « confinement » ? Pourquoi n’avoir pas tout bonnement interdit les citoyens de se rendre au travail – hormis dans les secteurs stratégiques (énergie, santé, sécurité, transports…) ? « Il aurait fallu prendre des mesures encore plus strictes concernant le confinement, estime Fabien Roussel, secrétaire national du Parti communiste. Sortir pour aller faire ses courses, d’accord, mais pourra-t-on sortir aller faire du sport par exemple ? On a du mal à voir les limites. »

La stratégie d’annonces graduelles : elle est la cible des critiques. « Je regrette que le président n’ait pas été plus précis. Il faut poser les mots. Nous devons passer à un confinement à l’italienne, ajoute Olivier Faure. Nous ne pouvons plus perdre de temps, annoncer des mesures graduelles toutes les 24 heures. »

Même son de cloche du côté de Julien Bayou, secrétaire général d’Europe Écologie-Les Verts. « Il y a quelque chose de paradoxal : à la fois utiliser la rhétorique guerrière – que je trouve déplacée –, et en même temps, ne pas parler de confinement strict et total, et dire à certaines personnes qu’elles peuvent continuer à travailler. C’est un entre-deux qui interroge. »

L’écologiste a pourtant rencontré, lundi après-midi, le premier ministre et le chef du comité scientifique. Or celui-ci a bien recommandé un confinement « à l’italienne » évoquant même l’hypothèse d’un deuxième pic de contamination après le confinement. « Je suis pour les libertés publiques, ajoute Julien Bayou. Il faut un confinement plus clair et plus strict, mais aussi un contrôle démocratique de ces mesures, or on n’a ni l’un ni l’autre pour l’instant. Le président de la République et le premier ministre ne doivent pas décider seuls. »

Le député insoumis Adrien Quatennens, lui, raconte à Mediapart avoir reçu plusieurs messages lui demandant des explications de texte sur le discours présidentiel. « J’ai décidé de dire publiquement sur les plateaux télé que j’avais compris qu’il y avait confinement car c’est ce qu’il faut, explique-t-il. Le temps viendra, après la crise, [de reparler du] manque de clarté du président. Mais pour l’instant, nous sommes dans le soutien. J’appelle les Français à s’occuper dès qu’ils le peuvent de la réalisation de leur confinement », dit le député du Nord, qui demande à ce que la situation sur l’emploi soit « éclaircie ».

Sur les mesures sociales, l’Insoumis a annoncé que l’opposition serait « vigilante à ce que ses paroles soient traduites en acte ».

Concernant le travail législatif, les oppositions parlementaires seront amenées, jeudi, à se prononcer sur trois textes : un pour reporter les élections municipales, un portant sur la capacité du gouvernement à légiférer par ordonnances et un projet de loi de finance rectificative pour abonder en urgence le financement de l’hôpital et injecter des moyens supplémentaires dans l’économie. Autant de points que les oppositions devraient voter à l’unisson de la majorité.

Lénaïg Bredoux, Pauline Graulle