Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Médiapart - Face à une épidémie qui galope, un reconfinement déjà obsolète

Mars 2021, par Info santé sécu social

24 MARS 2021 PAR CAROLINE COQ-CHODORGE

En Île-de-France, les malades graves affluent à l’hôpital, à un rythme jamais vu depuis le pic de la première vague, il y a tout juste un an. Dans le reste de la France, l’épidémie progresse presque partout. Les restrictions annoncées jeudi dernier seront sans effet.

En mars 2020 comme en mars 2021, face au Covid, il fallait agir avant de subir. C’est désormais la triple peine : l’hôpital est submergé, les malades du Covid vont mourir en nombre, et nos libertés seront sacrifiées plus durement et plus longtemps

Il y a six mois presque exactement, nous écrivions que « vivre avec le virus » était un pari tragique (notre article ici). Emmanuel Macron répète aujourd’hui qu’« il faut tenir ». « Tenir » revient à « vivre avec le virus », une vie impossible. C’est la ligne de conduite dont le président de la République n’a jamais dévié, à une petite exception près : le confinement de novembre et l’objectif des cinq mille contaminations par jour, vite abandonné. Depuis cette date, pour l’épidémiologiste Antoine Flahault, la stratégie française est « en roue libre », a-t-il tweeté le 19 mars.

C’est une année sans fin : aujourd’hui, afflue dans les hôpitaux d’Île-de-France le même nombre de malades, insoutenable, qu’il y a un an exactement. Voici le message rouge vif diffusé en interne par l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) hier soir, mardi 23 mars.

La situation est en réalité plus grave encore qu’au printemps 2020 : la troisième vague déferle sur un hôpital déjà plein de malades du Covid, puisque la deuxième vague n’est jamais redescendue. Le pays entier est touché, la vie se poursuit avec son lot d’accidents de la vie, le personnel hospitalier est harassé.

Jeudi dernier, en Île-de-France, il y avait 1 177 malades du Covid en réanimation. C’était déjà exploit, car en temps normal, il y a 1 200 lits de réanimation en Île-de-France, pour tous les malades. L’agence régionale de santé fixait alors un objectif de 1 562 lits de réanimation réservés au Covid, pour garder des lits, donc un temps d’avance sur le virus. Elle estime aujourd’hui que ceux-ci seront occupés dans le week-end. L’agence vient donc de fixer un nouvel objectif aux établissements publics et privés : 2 200 lits de réanimation dédiés au Covid en Île-de-France. Lors de la première vague, près de 2 700 lits étaient occupés au pic.

Le professeur de réanimation Alexandre Demoule expliquait à Mediapart (lire notre article ici) qu’ouvrir un nouveau lit de réanimation pour un malade grave du Covid, qu’il occupe en moyenne quatorze jours, revient à annuler 1 500 opérations. Les déprogrammations vont donc se démultiplier. En cellule de crise de l’AP-HP lundi, l’inquiétude était réelle, selon une source anonyme : sera-t-il encore possible de garantir le juste soin aux patients ? Les médecins vont-ils se retrouver face à des choix éthiques impossibles ? Qui choisir entre un malade du cancer à opérer et un malade grave du Covid à placer en coma artificiel ?

Roselyne Bachelot, 74 ans, malade du Covid, vient d’être hospitalisée ce mercredi matin. Réflexion d’un hospitalier d’Île-de-France : « Si son état de santé s’aggrave, a-t-elle droit à une place en réanimation ? »

Au-delà de l’Île-de-France, l’épidémie galope dans pratiquement toutes les régions, comme le montre cette animation de Germain Forestier, enseignant-chercheur en informatique à l’université de Haute-Alsace, à Mulhouse, qui met en forme les données de Santé publique France. Le point rouge est l’incidence du jour du virus, les points bleus, les incidences des jours précédents. Elle régresse, un peu, en Provence-Alpes-Côte d’Azur et en Corse seulement.

En Seine-Saint-Denis, département le plus touché en France, l’incidence était la semaine dernière de 689 cas pour 100 000 habitants. Chez les 20-59 ans, l’incidence est déjà supérieure au pic de la deuxième vague.

Dans son avis du 29 janvier, le conseil scientifique anticipait parfaitement la situation actuelle. Il préconisait un « confinement strict » de quatre semaines, incluant la fermeture des écoles, au moment des vacances d’hiver. Il fixait aussi un cap : 5 000 contaminations par jour, six fois moins qu’aujourd’hui.

Emmanuel Macron n’a pas suivi cet avis, affirmant un choix politique face à la « dictature sanitaire » et ses mesures jugées inacceptables.

Plutôt que de contraindre, Emmanuel Macron veut vacciner « matin, midi et soir ». Mais la multiplication des opérations de communication, de la vaccination « coup de poing » du week-end, à l’ouverture de cent « vaccinodromes », n’y changera rien : le nombre de Français vaccinés avec deux doses – 2,5 millions, 3,68 % de la population – est encore très faible. La vaccination va s’accélérer : 30 millions de doses sont attendues en avril, contre 15 millions en mars. Elle finira pour étouffer l’épidémie, l’exemple israélien le prouve, mais pas avant plusieurs semaines. Imaginer accélérer la vaccination pour éteindre le pic épidémique actuel est, au mieux, un mirage.

« Je ne vois pas d’autres options qu’un vrai confinement »

La nouvelle formule de confinement, en place depuis cinq jours, est déjà obsolète. La question n’est pas de savoir si les Français peuvent, ou non, se promener à l’extérieur. L’Allemagne, par exemple, a toujours confiné sans empêcher la population de sortir librement de son domicile. Le terme de confinement, hérité de la première vague, est peu adapté à l’objectif poursuivi, qui est la limitation des contacts sociaux. Anglophones et germanophones utilisent le terme de lockdown – littéralement un verrouillage – qui est plus adapté.

Pour la première fois, le gouvernement a fait le choix d’en appeler à la responsabilité de la population. Mais il n’est pas parvenu à le formuler clairement, faute d’expérience, mais aussi de temps de réflexion pour présenter cette nouvelle formule complexe de confinement.

Car les décisions sont toujours prises le mercredi par un seul, Emmanuel Macron, et présentées le jeudi par son premier ministre et son ministre de la santé. Impossible de conduire ainsi une politique de santé publique cohérente. L’administration a offert un rare moment d’hilarité le week-end dernier, en rendant public un formulaire énumérant les quinze raisons possibles de sortir librement de chez soi pour une durée illimitée.

Jean Castex a tenté de recadrer son message, avec un slogan hasardeux – « dedans avec les miens, dehors en citoyen » – et quelques directives plus claires à l’adresse de la population.

Le préfet de Paris Didier Lallement s’est révélé meilleur en santé publique. Aux policiers franciliens, il écrivait ce message le 20 mars, que Mediapart a pu consulter : « Des actions de prévention et d’information du public seront menées afin d’éviter les regroupements dans les parcs, jardins et espaces publics. » En cas d’attroupements, « vous procéderez aux verbalisations et aux dispersions qui s’imposent », écrit-il à ses troupes. Sur les « fêtes clandestines », le préfet invite les policiers à poursuivre l’effort pour les « détecter », verbaliser les contrevenants et lancer des poursuites contre les organisateurs.

Depuis l’automne 2020, le ministère de l’intérieur insiste davantage sur les comportements présentant réellement un risque de contamination : l’ouverture au public de lieux censés rester fermés, les regroupements dans l’espace public, via les arrêtés « anti-alcool » et les fêtes clandestines.

Cette nouvelle nuance de confinement allège donc un peu le contrôle administratif et policier de la population, c’est une bonne chose. Il offre à la population exténuée une respiration vitale, surtout pour les urbains.

Il est tout aussi vital que les mesures prises parviennent à casser la dynamique de l’épidémie, rapidement.

En l’état, leur échec est écrit d’avance. Les pays européens qui posent des freins comparables aux nôtres – fermeture des magasins non essentiels, rassemblements de personnes limités – voient l’épidémie repartir. C’est le cas de l’Allemagne, depuis qu’elle a rouvert ses écoles.

Les faits sont cruels : seule la fermeture des écoles et des lieux de travail non essentiels ont permis de casser la courbe épidémique portée par le variant anglais 1,6 fois plus contagieux. Ce fut le cas en Grande-Bretagne en janvier, au Portugal et en Allemagne en février, aujourd’hui en Italie qui voit sa courbe s’infléchir depuis la fermeture des écoles.

Le gouvernement a-t-il seulement lu l’étude Comcor de l’Institut Pasteur ? À tous les patients positifs au coronavirus, l’assurance-maladie envoie un questionnaire sur les circonstances de leur contamination. Les chercheurs de l’Institut ont publié une seconde étude, à partir des 77 000 questionnaires remplis. 45 % des personnes connaissent l’origine de leur contamination. Dans 42 % des cas, elle a eu lieu à l’intérieur de la famille, dans 21 % des cas dans la famille élargie, sur le lieu de travail (15 %), auprès d’amis (11 %). La plupart des contaminations ont eu lieu à l’intérieur, fenêtres fermées, souvent à l’occasion d’un repas.

En milieu professionnel, dans plus de la moitié des cas, la personne à l’origine de la contamination était symptomatique. C’est un important signal que l’épidémie est mal contrôlée dans les entreprises : les personnes ne parviennent pas à s’isoler dès que les symptômes surviennent.

Le protocole national du 31 août encadrait a minima le travail sous Covid : il n’impliquait pas l’inspection du travail, la médecine du travail restait cantonnée à un simple rôle de conseil, écrivait Manuel Jardinaud le 2 septembre (lire son article ici). Quant à la règle du télétravail quatre jours sur cinq, énoncée par le premier ministre, ce n’est qu’une recommandation.

Hier soir, mardi 23 mars, le protocole a été actualisé. Il resserre les règles pour les pauses repas : chaque salarié doit disposer d’un espace minimum de 8 mètres carrés pour manger. Les employeurs doivent désormais rédiger un « plan d’action » pour développer le télétravail et « réduire au maximum le temps de présence sur site des salariés ».

L’autre lieu de circulation du virus est un tabou français. La participation des écoles à l’épidémie est pourtant évidente à la lecture de l’étude ComCor : être parent d’un collégien ou d’un lycéen représente un sur-risque d’être contaminé, de respectivement +27 à +29 %. La part des enfants de moins de 11 ans identifiés comme la source d’une contamination est, certes, minime, mais en augmentation : 13,5 % en janvier contre 5,2 % en septembre 2020.

Dans les établissements scolaires, le nombre de cas positifs a augmenté très fortement la semaine dernière, de +67 %. Chiffres en main, le gouvernement a pourtant décidé, la semaine dernière, de desserrer le protocole en autorisant la pratique de tous les sports pour les enfants, y compris en intérieur, jusqu’à la piscine.

L’idéologie a pris le pas sur le réel : le ministre de l’éducation nationale, Jean-Michel Blanquer continue d’affirmer qu’« on se contamine moins à l’école que dans le reste de la société », comme le le 21 mars sur LCI. Puis, ne craignant pas de se contredire : « Assumer ce risque me paraît peu de chose par rapport à l’importance qu’un enfant ne se déscolarise pas. »

Jean-Michel Blanquer ment, puis minimise l’épidémie, ce « peu de choses ». C’est une autre version du mensonge du printemps 2021, sur l’inutilité des masques, pour ne pas dire la pénurie, l’absolue nécessité de les préserver pour les soignants sur le front du Covid.

Le chercheur en sciences politiques et sociales Antoine Bristielle vient de publier, en association avec la Fondation Jean Jaurès, un court essai intitulé À qui se fier. Il y compare les mesures prises par les pays européens, à la lumière de la confiance des citoyens envers les institutions.

« Les gouvernements dans lesquels les niveaux de confiance institutionnelle étaient les plus élevés ont fait le pari que de simples recommandations seraient suffisantes pour que les mesures sanitaires soient respectées », écrit le chercheur. Ainsi, les pays nordiques n’ont pas agi moins fortement face au virus. Mais ils sont passés plus souvent par la recommandation.

Mais cela exige de passer des messages de santé publique clairs, concertés entre médecins, scientifiques et la société civile. Tout le contraire de la prise de décision verticale française, du chef vers son administration, dans l’urgence, quand la catastrophe survient.

L’hôpital submergé se retrouve contraint d’alerter, pour la troisième fois. Depuis plusieurs semaines, beaucoup médecins refusaient pourtant de s’exprimer sur les mesures de restrictions à prendre, estimant que ce n’était pas leur rôle. Le président de la commission médicale de l’AP-HP, le professeur de pédiatrie Rémi Salomon, prévient ce mercredi matin sur Twitter : « Nous ne tiendrons pas longtemps à ce rythme ou pire s’il continue de s’accélérer. Je ne vois pas d’autres options qu’un vrai confinement. » La « dictature sanitaire » advient quand le politique ne prend pas ses responsabilités.