Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Mediapart : Faut-il taxer l’épargne Covid ?

Février 2021, par infosecusanté

Mediapart : Faut-il taxer l’épargne Covid ?

24 février 2021

Par Romaric Godin

L’épargne supplémentaire accumulée pendant la crise sanitaire pourrait s’élever à 200 milliards d’euros. Elle devient un enjeu pour la reprise et l’on ne coupera pas à la nécessité d’une taxation, à condition de bien la cibler.

Malgré tous les satisfecit de l’exécutif, l’économie française reste en sous-régime permanent. Le dernier point de conjoncture de la Banque de France 3 le 6 février estimait ainsi la perte de PIB sur le mois de janvier à 5 % par rapport au niveau prépandémique. L’Insee l’évaluait, de son côté, à 4 % 3. Cette perte mensuelle correspond à la chute de 5 % du PIB du dernier trimestre 2020 sur un an. Certes, on peut se réjouir d’être fort loin du gouffre du premier confinement. C’est ce que font le gouvernement et la plupart des économistes. Mais cela relève largement de la méthode Coué. Si, en période « normale », on annonçait un recul annuel de 5 % du PIB, on parlerait de catastrophe.
.

Or, cette fois, les pertes s’accumulent et, à dire vrai, il est aujourd’hui impossible d’en voir la fin dans la mesure où la multiplication des variants semble devoir, au minimum, signifier une poursuite des restrictions pendant des mois. Certes, beaucoup estiment que l’affaire sera réglée à l’été, mais rappelons que c’était déjà le cas en 2020.

Cette accumulation de pertes met naturellement en danger les entreprises. In fine, un simple retour au niveau d’activité précédent, prévu dans les scénarios optimistes du point de vue sanitaire pour 2022, ne saurait solder la crise, d’autant que, il faut le rappeler, l’activité prépandémique était déjà peu réjouissante. Le risque d’une rechute purement économique persiste donc, avec des conséquences sociales redoutables.

Dans ce contexte, tous les yeux se tournent à nouveau vers le « magot » des Français, autrement dit leur surcroît d’épargne accumulée pendant la pandémie. Les nouveaux calculs de la Banque de France l’estiment au global à 200 milliards d’euros, soit pas moins de 8 % du PIB. On parle ici d’une épargne « inhabituelle », autrement dit de sommes épargnées qui ne l’auraient pas été sans la crise sanitaire. Réinjectée dans l’économie, cette épargne pourrait permettre de compenser les effets de la crise sanitaire et assurer un vrai rebond de l’activité.

Au reste, il faut rappeler que cette épargne supplémentaire était pleinement intégrée dans la stratégie économique de l’exécutif. L’État avait en effet décidé de compenser une grande partie des pertes liées à la pandémie, notamment à travers les dispositifs d’activité partielle. Mais, en parallèle, il décidait de la fermeture administrative de certains secteurs. Naturellement, cet écart devait se traduire par une épargne supplémentaire destinée, une fois la pandémie passée, à se reconvertir en excès de consommation. Ainsi, le « trou d’air » pandémique pourrait être aisément compensé et oublié.

C’est bien ce que le ministre de l’économie et des finances signifiait à la rentrée 2020 en expliquant que cette épargne était complémentaire du « plan de relance » de 100 milliards d’euros. Le surplus d’épargne devait relancer la demande, le « plan de relance » soutenir l’offre. Aussi n’y avait-il aucune mesure de relance de la demande dans ce plan. Mais cette stratégie assez simpliste s’est fracassée sur la réalité sanitaire et économique. Elle ne pouvait en effet fonctionner que dans l’optique d’une crise sanitaire courte, réglée par le premier confinement et vite oubliée. Mais rien ne s’est passé comme prévu.

Dès la reprise de l’été, on a constaté que le rebond était imparfait. Au troisième trimestre, le niveau d’activité restait ainsi inférieur de 3,9 % à celui du même trimestre de 2019 3. Or, si l’épargne avait été utilisée pleinement, on aurait dû connaître une activité supérieure. Mais voilà, dès la fin du printemps, les licenciements se sont accélérés. L’emploi, largement gelé par l’activité partielle, a commencé à se dégrader nettement. Les ménages se sont donc inquiétés de leur avenir et l’on a vu, dans les enquêtes de l’Insee, que l’opportunité d’épargner ne cessait de progresser. L’épargne « forcée » du confinement s’est alors muée progressivement en épargne de précaution. Et cela d’autant plus que la crise sanitaire reprenait de plus belle.

Avec les restrictions sanitaires supplémentaires, les opportunités de consommer ont, à nouveau, été réduites. Et le caractère de précaution de l’épargne ne s’est pas démenti puisque, comme on l’a vu, les conditions objectives de l’économie française sont mauvaises. Rien d’étonnant donc à ce que cette épargne progresse et qu’elle se concentre sur des produits très liquides comme le livret A. En 2020, la collecte du livret A a ainsi été doublée à 26 milliards d’euros. Dans la dernière enquête de l’Insee auprès des ménages 3, publiée le 27 janvier, l’indice mesurant l’opportunité d’épargner est passé de 27 à 38, rejoignant un niveau proche de son plus haut historique. Bref, le scénario d’une compensation des pertes passées par l’épargne accumulée perd de la crédibilité.
.

Et c’est bien pourquoi la question se pose à nouveau : que faire avec cette épargne ? Depuis quelques semaines, l’idée d’une taxation de ce « magot » a fait surface. C’est une proposition qui semble pouvoir répondre en partie aux exigences. Une taxe exceptionnelle sur l’épargne pourrait en effet « forcer la main » des ménages pour enclencher le schéma de surconsommation nécessaire à la compensation des pertes accumulées pendant la pandémie.

Le sens d’une telle taxe serait, en quelque sorte, de « corriger » la politique menée jusqu’ici. La garantie partielle des revenus ne visait pas, en effet, à permettre une épargne durable. Si les fonds mis à disposition de l’activité partielle finissent durablement sur des comptes d’épargne, la politique menée aura été un échec. Avec une taxe sur l’épargne, les pouvoirs publics pourraient ainsi reprendre une partie des sommes versées et non utilisées pour les redistribuer et soutenir la relance. Ils le feraient en préservant les revenus des plus fragiles qui, eux, n’ont pas pu accumuler de l’épargne parce qu’ils ont déjà subi les contrecoups de la crise.

Pour autant, une telle taxe ne saurait être mise en place qu’avec beaucoup de précaution. D’abord parce que l’accumulation de l’épargne de précaution est aussi le fruit d’un autre échec politique : un échec à donner des perspectives économiques et sanitaires. L’incapacité de maîtriser l’épidémie est évidemment en cause, mais aussi et surtout l’absence de vision économique crédible pour l’avenir. Puisque l’État est incapable de garantir la pérennité des emplois et considère que l’ajustement par l’emploi est légitime, il ne peut, en retour, reprocher aux ménages d’épargner pour se prémunir contre de futures baisses de revenus. Dans ce cadre, la « correction » décrite plus haut n’est pas justifiée. D’autant que rien ne garantit que dépenser l’excès d’épargne sauvegardera les emplois. En bref : dans une économie où l’emploi est le facteur d’ajustement principal, l’épargne de précaution est légitime. La taxer peut donc être jugé injuste et dangereux.

Quelle imposition sur l’épargne Covid ?

Dès lors, la taxation de ce surplus d’épargne pourrait ne rien régler. Pour faire face aux dangers de la situation, les ménages pourraient en effet préférer payer la taxe que de consommer. Cette taxe pourrait être considérée comme le prix à payer de la sécurité. Par ailleurs, c’est déjà ce qui se passe aujourd’hui avec un taux de livret A à 0,5 %. En janvier, sur un an, le taux d’inflation était à 0,6 %, portant le taux réel du livret A à − 0,1 %. Autrement dit, de nombreux ménages préfèrent déjà perdre du capital réel pour disposer de ressources en cas de besoin.

On peut certes envisager un taux d’imposition très élevé pour contourner ce problème, mais, là encore, ce ne peut être envisageable qu’en offrant aux ménages la sécurité dont ils manquent actuellement, par exemple en instituant une garantie de l’emploi ou une assurance-chômage très généreuse, sans compter évidemment une vraie politique d’investissement public. Dans tous les cas, la taxe sur l’épargne ne peut se suffire à elle-même. Elle doit s’inscrire dans une politique plus globale qui permette d’apporter une sécurité qui manque aux ménages français.

De ce point de vue, cette accumulation d’épargne et sa transformation en épargne de précaution sont un échec cuisant pour le gouvernement qui, au-delà même de la gestion de la crise sanitaire, a été incapable de donner cette sécurité avec sa politique de l’offre qui s’est incarnée dans son « plan de relance ». Il est vrai que, lorsque le ministre de l’économie et des finances ne cesse de marteler, comme le fait Bruno Le Maire, que la réforme des retraites est indispensable, les ménages ne sont pas très enclins à réduire leur épargne.

La position du gouvernement est, au reste, très problématique. Enfermé dans ses certitudes, l’exécutif refuse toujours toute taxe sur l’épargne puisqu’il refuse toute fiscalité nouvelle, mais il n’envisage en aucun cas de modifier sa politique de l’offre qui, en favorisant la pseudo-« destruction créatrice », fragilise l’emploi et donc favorise l’épargne de précaution.

Face à la transformation de l’épargne Covid en épargne durable, la réponse de la majorité est de réfléchir à des incitations pour « orienter » l’argent accumulé vers le tissu productif. Ainsi, l’épargne ne serait pas dépensée mais contribuerait à des investissements. Certains réfléchissent à des fonds labellisés « relance » qui permettraient de favoriser l’effet de levier du « plan de relance ». Mais cette stratégie semble entièrement déconnectée des vrais besoins pour plusieurs raisons.

D’abord parce qu’elle prend acte que cette épargne est perdue pour la demande actuelle. Or le temps que les investissements se transforment en emplois, si jamais cela se produit un jour (ce qui est loin d’être certain, on le verra), le risque que la France soit emportée dans une spirale récessive ne peut être écarté. Il est d’ailleurs étrange de payer l’activité partielle pour que cet argent soit, in fine, investi par le secteur privé, alors que cet argent pourrait être investi directement par l’État. D’autant que de tels investissements permettraient de créer immédiatement des emplois et donc de la confiance.

Ensuite, l’erreur du gouvernement est la même depuis 2017 et consiste à éviter deux écueils majeurs du capitalisme contemporain : la financiarisation et l’absence d’opportunités d’investissement. Le secteur privé n’investit que lorsque les perspectives de rendement sont, comparativement à d’autres, suffisantes. Or, non seulement les opportunités d’investissement sont assez faibles, mais la concurrence de marchés financiers et immobiliers soutenus par les banques centrales conduit à drainer l’épargne vers des lieux de plus en plus déconnectés de la réalité productive. Le lien entre épargne, investissement et emplois n’est donc plus aussi simple que voici trente ans, et c’est ce que l’actuel gouvernement refuse de reconnaître.

Dès lors, la menace est qu’une grande partie de cette épargne ne se dirige vers les marchés financiers et immobiliers, et ne contribue ainsi encore à creuser les inégalités, sans résoudre les questions conjoncturelles les plus urgentes. C’est bien pour cela qu’une taxe sur l’épargne semble nécessaire et qu’elle doit viser ceux qui, précisément, sont susceptibles d’utiliser leur épargne pour ces activités. Autant il semble problématique de taxer une épargne de précaution d’un salarié inquiet de perdre son travail, autant il semble logique que l’État récupère une partie de ce qu’il a versé et qui a été utilisé pour acheter des titres boursiers, du Bitcoin ou des résidences locatives. Cet argent sera sans doute mieux utilisé par des investissements publics et le renforcement de la Sécurité sociale.

Pour cela, la France disposait d’un outil : l’impôt sur le patrimoine mobilier, qui a été supprimé en 2018 par l’actuelle majorité. La réduction de la fiscalité sur les revenus du capital avec la flat tax a aussi réduit la capacité d’action. Cela serait d’autant plus nécessaire de reprendre cette imposition que l’épargne accumulée, aussi élevée soit-elle, l’est surtout et très majoritairement par les plus riches. C’est donc ici qu’il faut agir. Une taxe globale viendrait encore une fois cacher cet élément central. Les riches disposent en effet déjà d’une épargne considérable dont ils ne savent que faire. L’État a le choix : s’endetter pour piocher dans cette épargne ou les taxer. Les deux stratégies se défendent dans la mesure où les taux sont très faibles, mais à condition de ne pas utiliser la dette comme prétexte à de futures mesures antisociales. Reste que, compte tenu des transferts très élevés réalisés en mars, une taxe sur le patrimoine offre une sécurité supplémentaire à l’État et agit directement sur les inégalités.

Il semble donc incontournable que l’on doive agir pour utiliser au mieux cette montagne d’épargne issue de la pandémie. Mais une taxe spécifique frappant tout le monde pourrait rater sa cible. Il semble plus adapté de cibler l’épargne des plus fortunés et celle qui a été « mal investie » par la mise en place d’un nouvel impôt sur le patrimoine et les revenus du capital. Dans tous les cas, rien ne sera efficace sans un changement majeur de politique économique redonnant de la sécurité aux agents. Il faut inverser la logique actuelle qui attend que l’épargne vienne se transformer en « bons » investissements. Il faut, au contraire, d’abord faire les bons investissements pour que les agents retrouvent la confiance et renoncent à leur épargne de précaution. L’enjeu de l’épargne est important, mais l’essentiel, c’est d’abord la politique économique.