L’hôpital

Médiapart - Fermeture de lits à l’hôpital : une polémique de chiffres pour cacher l’ampleur de la crise

Novembre 2021, par Info santé sécu social

13 NOVEMBRE 2021 PAR CAROLINE COQ-CHODORGE

Y a-t-il 20 % ou 5 % de lits d’hôpitaux fermés en ce début d’hiver ? L’administration joue sur les chiffres, en ne communiquant que les fermetures définitives, quand des lits ouvrent et ferment au jour le jour. L’Île-de-France est la plus touchée : des services de pédiatrie ou des unités neuro-vasculaires tentent de fonctionner avec 20, 50, voire 80 % de lits fermés.

Est-il possible de mesurer l’ampleur de la crise qui frappe l’hôpital public, année après année, avant, pendant et après le Covid, jusque dans ses oscillations ? Dans son avis du 5 octobre dernier, le Conseil scientifique alertait sur l’état d’« épuisement des soignants », qui ne permettait pas d’exclure un nouveau « débordement du système de soins », malgré la protection apportée par la vaccination contre le Covid-19.

Le Conseil scientifique glissait alors un chiffre : selon ses calculs, à partir de « données concordantes recueillies auprès des grandes structures hospitalières du pays », « environ 20 % » des lits d’hôpitaux seraient fermés, dans « tous les secteurs », en raison d’une pénurie d’infirmières. De ce chiffre choc, Libération a fait sa une, le 26 octobre.

Le ministre de la santé Olivier Véran l’a « contesté » devant l’Assemblée nationale, le 2 novembre. Il a opposé le chiffre de « 5 % de lits de médecine fermés », sur un petit échantillon de 16 Centres hospitaliers universitaires (CHU). S’il a reconnu des « difficultés réelles », ils les a aussi relativisées : elles surviennent, selon lui, « comme chaque année à la période automnale ».
La Fédération hospitalière de France (FHF), qui organisait son salon annuel cette semaine à Paris, est sur la ligne du ministre : elle avance le chiffre de 6 % de lits fermés, à partir des données remontées par 330 établissements de santé. Pour le président de la FHF, Frédéric Valletoux, cette polémique « illustre ce qu’il ne faut pas faire, du côté des médias comme de certains analystes » : « Nous avons tous été amenés à commenter un chiffre terrible de 20 % de lits fermés sorti dans la presse, sans connaître la méthodologie, ni l’échantillon, en se doutant que ce chiffre n’était pas fiable. »

Seulement, les données de cette enquête flash de la FHF, qui représente les directeurs des hôpitaux, sont elles aussi très parcellaires : elles précisent seulement que les CHU sont les plus touchés (8 % de lits fermés), ainsi que les régions Île-de-France, Pays-de-la-Loire et Grand Est, sans plus de précisions.

La première solution, c’est d’admettre qu’il y a un problème, plutôt que de s’arranger avec les chiffres
Isabelle Desguerre, professeure de neuropédiatrie

Là où ils sont confrontés à une pénurie de personnel vertigineuse, à des fermetures de lits qui fragilisent l’offre de soins, les hospitaliers ne décolèrent pas. « La première solution à la crise, c’est d’arrêter de dénier la réalité, d’admettre qu’il y a un problème, plutôt que de s’arranger avec les chiffres. L’administration a un talent notable pour cela, tance Isabelle Desguerre, cheffe de service de neuropédiatrie à l’hôpital Necker, à Paris. Deux types de chiffres circulent : les lits administrativement fermés et ceux qui sont fermés en raison d’un manque de personnel. Je peux avoir cinq lits fermés, pendant quelques semaines, mais l’administration considère qu’ils sont ouverts. Ils existent, mais on ne peut pas les ouvrir. En pédiatrie en Île-de-France, 20 % de nos lits sont fermés », assure-t-elle.

Ces subtilités administratives apparaissent dans un message de l’Agence régionale de santé (ARS) d’Île-de-France aux établissements, à la date du 29 octobre, que nous nous sommes procuré. Il compare le « capacitaire installé », calculé à l’été 2021, et le « capacitaire effectif ». En réponse à nos questions, l’Agence régionale de santé précise que le capacitaire installé est le nombre de lits « présents habituellement dans un établissement », quand le « capacitaire effectif traduit le nombre de lits ouverts pouvant accueillir des patients de manière effective, à un moment donné. Cela prend en compte les absences, les effectifs réduits. C’est ce que les établissements de santé estiment pouvoir ouvrir en fonction des moyens qu’ils ont ».

Les chiffres sont affolants : fin octobre, par rapport au capacitaire installé, 18 % des lits étaient fermés en soins critiques, 15 % en hospitalisation conventionnelle, dont 41 % en Seine-Saint-Denis et 35 % en Essonne. Ces lits fermés s’ajoutent à tous ceux déjà perdus pendant le Covid, en raison de la généralisation des chambres à un seul lit.

Les directeurs de CHU ont confirmé ces chiffres dans un communiqué commun : 14 à 18 % des lits sont fermés en Île-de-France. Dans les autres régions, les fermetures de lits dans les plus grands hôpitaux oscilleraient entre 1 et 12 %.

Olivier Véran a promis une « étude la plus exhaustive possible ». Pour être crédible, elle devra entrer dans les détails techniques.

Olivier Véran a promis que ses services allaient rendre une « étude la plus exhaustive possible ». Pour être crédible, elle devra entrer dans ces détails techniques et comparer la situation actuelle avec la période pré-Covid.

En Île-de-France, région la plus touchée, plusieurs spécialités ont fait leurs propres comptes. Les unités neuro-vasculaires ont, par exemple, « créé un groupe WhatsApp », explique la neurologue de l’hôpital Bichat, à Paris, Philippa Lavallée : « Nous pensions que nos problèmes étaient locaux. On s’est rendu compte que tous les services étaient touchés par des fermetures de lits. »

Sur les 28 lits de l’unité neuro-vasculaire de l’hôpital Bichat, à Paris, seuls quatre sont ouverts, « depuis des mois et des mois, par manque d’infirmières », précise le docteur Lavallée.

Son administration hospitalière ne veut pas affoler la population, mais surtout les soignants susceptibles de candidater sur les postes vacants : « On a des réunions avec la direction, qui nous explique qu’elle ne reçoit aucune candidature. Elle nous demande d’arrêter d’être déprimants, de donner une image négative de l’hôpital. Mais on est tombés tellement bas… »

Les unités neuro-vasculaires (UNV) prennent en charge des urgences absolues : les accidents vasculaires cérébraux. Ouvertes 24 heures sur 24, elles doivent administrer, dans les plus brefs délais, des traitements permettant de déboucher les artères, la thrombolyse ou la thrombectomie. Pour cela, un réseau d’UNV est déployé sur le territoire national. Seulement, en Île-de-France, 12 % des lits d’UNV sont fermés, et 30 % à Paris, où 50 % des postes d’infirmières sont vacants.

« On estime que les patients qui passent par une UNV ont un risque diminué de handicap et de mortalité de 25 %. En 2007, on s’était donné pour objectif que toutes les personnes victimes d’AVC passent par nos services. On en est loin, et la situation s’aggrave », explique le docteur Sophie Crozier, neurologue aux urgences cérébro-vasculaires de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris. Avec Philippa Lavallée, elle est l’auteure d’une tribune publiée dans Le Monde, signée par de très nombreux chefs de service et neurologues, qui tente d’alerter sur la situation.

Après la phase aiguë de prise en charge, les soins des patients victimes d’AVC sont très lourds, « propres au handicap », détaille Philippa Lavallée : « Il faut faire manger les patients, les faire boire, pour leur éviter les fausses routes qui provoquent des pneumopathies, leur faire la toilette, les mettre au fauteuil plusieurs fois par jour. Il ne faut pas les laisser dans leur lit mais se battre contre le handicap. De tout temps, nos infirmières ont tourné, parce que ce métier est usant physiquement. Aujourd’hui, elles tournent, mais il n’y a plus personne pour les remplacer. »

Les pompiers ou le Samu doivent trouver des places dans d’autres hôpitaux, tout cela fait perdre du temps. Pour un AVC, chaque minute compte
Philippa Lavallée, neurologue

L’unité neuro-vasculaire de Bichat, avec ses quatre lits, refuse de nombreux patients : « Les pompiers ou le Samu doivent trouver des places dans d’autres hôpitaux, poursuit la neurologue. Parfois, ils ne trouvent pas et nous laissent les patients aux urgences, où il y a une procédure. Mais tout cela fait perdre du temps, et les urgences, qui sont déjà débordées, râlent, et je les comprends. » Les patients se retrouvent ensuite hospitalisés dans d’autres services : « En ORL, en chirurgie. On a monté une équipe mobile pour suivre nos patients dans ces différents services. Mais malgré toute la bonne volonté des équipes qui accueillent nos patients, on voit revenir des complications, comme les pneumopathies, parce que nos malades ont besoin de soignants formés. »

Le Collectif inter-hôpitaux a réuni de nombreux témoignages en pédiatrie, lors d’une conférence de presse organisée le 28 octobre. Dans le service d’hépatologie pédiatrique du CHU du Kremlin-Bicêtre (Val-de-Marne), qui prend en charge les enfants malades du foie et assure 40 % des greffes du foie chez les enfants en France, 10 lits sur 24 sont fermés, a témoigné le docteur Oanez Ackermann : « Nous vivons une situation dramatique inédite, mettant en jeu le pronostic vital d’enfants en situation d’urgence. En ce mois d’octobre, nous n’avons pas pu accueillir cinq enfants ayant une hépatite aiguë grave ou une aggravation brutale d’une maladie chronique du foie, et relevant d’une transplantation à tout moment. Certains ont dû passer par plusieurs centres de transplantation avant d’être pris en charge. »

En pédiatrie, les fermetures touchent tous les grands CHU en France : à Lyon, ont été décidées des déprogrammations d’hospitalisations, lorsqu’« elles ne mettent pas en péril les enfants » ; à Rouen, Tours, Amiens, Dijon, Strasbourg, des lits sont régulièrement fermés ; à Bordeaux, le plan d’urgence pour la pédiatrie a été déclenché au mois d’octobre.

Dans de nombreux hôpitaux, ces services de pédiatrie, déjà en souffrance, doivent aussi soutenir la pédopsychiatrie, sinistrée : en Île-de-France, « nous estimons que 25 à 30 % des lits de pédiatrie sont occupés par des adolescents “psy”, parfois en unités de tout petits », a expliqué la pédopsychiatre de l’hôpital Necker Élisabeth Ouss-Ryngaret.

Dans de telles conditions, la moindre augmentation de la demande de soins devient difficile à absorber. C’est le cas de l’épidémie de bronchiolite chez les nourrissons, « parfaitement prévisible », rappelle la cheffe de service de neuropédiatrie Isabelle Desguerre : « Elle survient tous les ans, à la même date. Cette année, elle a simplement 15 jours d’avance. »

Les pédiatres jonglent donc entre les urgences : « On fait aussi sortir les enfants plus vite, trop vite, explique la professeure Desguerre. J’ai des enfants épileptiques qui font 10 crises par jour. Je les fais sortir quand ils n’en font plus que huit, en proposant des téléconsultations. C’est un stress énorme pour les parents, on les maltraite. Et c’est une prise de risque, des montées d’adrénaline pour les soignants, qui épuisent physiquement et moralement. »

Aujourd’hui, on ne parle plus que du nombre de postes de soignants vacants, du nombre de lits fermés. Entre chefs de service, on se prête des infirmières
Isabelle Desguerre, cheffe de service de neuropédiatrie à Necker
Elle raconte les réunions de pôles : « Avant, on passait notre temps à discuter de notre activité, de notre rentabilité. Aujourd’hui, on ne parle plus que du nombre de postes de soignants vacants, du nombre de lits fermés. Entre chefs de service, on se prête des infirmières pour pouvoir rouvrir des lits là où les besoins sont les plus criants. C’est une déshumanisation des soins, alors que nous sommes confrontés à la maladie et à la mort des enfants. À Necker, les dernières infirmières venues d’ailleurs sont restées six heures avant de faire valoir leur droit de retrait. »

Yves Simon, infirmier en réanimation pédiatrique à l’hôpital du Kremlin-Bicêtre, décrit une équipe paramédicale contrainte de faire « des heures supplémentaires continuellement » : « Bien sûr, il y a un attrait financier. Mais travailler à 110 ou 120 %, pendant des années, cela finit par fatiguer les gens. Alors ils partent, quittent le métier, choisissent le libéral, ou cherchent tout simplement à améliorer leur quotidien en trouvant un poste plus près de leur domicile. Parce qu’avec notre salaire, même augmenté de 183 euros net depuis le Ségur, on doit tous faire une heure de route. » Dans son service, il manque 25 infirmières, le turn-over est de 30 %.

« Il faut commencer par respecter les soignants, cesser de jongler avec leurs plannings, de leur donner des médailles en chocolat pour les remercier, estime la professeure Isabelle Desguerre. Pendant le Covid, on a demandé des choses inadmissibles aux élèves infirmiers. On les a jetés dans des situations terribles, on les a confrontés à la mort sans aucune préparation. Et on s’étonne aujourd’hui qu’ils se posent des questions sur leur métier. »

La réanimation pédiatrique, c’est toute ma vie. Pour la première fois, j’ai eu envie de jeter l’éponge
Une jeune praticienne hospitalière

Une pédiatre dans un service de réanimation d’un grand hôpital parisien raconte encore les quatre lits fermés dans son service, sur 18, « depuis des mois » : « Pour maintenir ces 14 lits, on impose un rythme de travail indécent aux infirmières. Elles sont sollicitées en permanence pour faire des heures supplémentaires. Elles sont épuisées, elles ne tiendront pas très longtemps à ce rythme, notre service menace de s’effondrer ! Ce soir, elles ne sont que six infirmières : on ne devrait avoir que 12 patients, on en a 15. Un autre soir, on a eu un petit patient avec une bronchiolite qui s’épuisait aux urgences, qui risquait un arrêt respiratoire ou cardiaque. On l’a monté dans le service, mais faute de lit, on l’a installé dans un couloir, avec un scope et respirateur de transport. Ses parents étaient sur une chaise à ses côtés. Moi, jeune praticienne hospitalière, j’avais envie de pleurer. Cela me révolte. J’adore mon métier, la réanimation pédiatrique, c’est toute ma vie. Pour la première fois, j’ai eu envie de jeter l’éponge. » Dans sa voix, l’émotion est toujours là.FPL
Jusqu’au 16 novembre : Derniers jours pour contribuer à préserver une presse indépendante.

Y a-t-il 20 % ou 5 % de lits d’hôpitaux fermés en ce début d’hiver ? L’administration joue sur les chiffres, en ne communiquant que les fermetures définitives, quand des lits ouvrent et ferment au jour le jour. L’Île-de-France est la plus touchée : des services de pédiatrie ou des unités neuro-vasculaires tentent de fonctionner avec 20, 50, voire 80 % de lits fermés.

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Est-il possible de mesurer l’ampleur de la crise qui frappe l’hôpital public, année après année, avant, pendant et après le Covid, jusque dans ses oscillations ? Dans son avis du 5 octobre dernier, le Conseil scientifique alertait sur l’état d’« épuisement des soignants », qui ne permettait pas d’exclure un nouveau « débordement du système de soins », malgré la protection apportée par la vaccination contre le Covid-19.

Le Conseil scientifique glissait alors un chiffre : selon ses calculs, à partir de « données concordantes recueillies auprès des grandes structures hospitalières du pays », « environ 20 % » des lits d’hôpitaux seraient fermés, dans « tous les secteurs », en raison d’une pénurie d’infirmières. De ce chiffre choc, Libération a fait sa une, le 26 octobre.

À l’hôpital de Mulhouse, en février 2021. © Photo Sébastien Bozon / AFP
À l’hôpital de Mulhouse, en février 2021. © Photo Sébastien Bozon / AFP

Le ministre de la santé Olivier Véran l’a « contesté » devant l’Assemblée nationale, le 2 novembre. Il a opposé le chiffre de « 5 % de lits de médecine fermés », sur un petit échantillon de 16 Centres hospitaliers universitaires (CHU). S’il a reconnu des « difficultés réelles », ils les a aussi relativisées : elles surviennent, selon lui, « comme chaque année à la période automnale ».
La Fédération hospitalière de France (FHF), qui organisait son salon annuel cette semaine à Paris, est sur la ligne du ministre : elle avance le chiffre de 6 % de lits fermés, à partir des données remontées par 330 établissements de santé. Pour le président de la FHF, Frédéric Valletoux, cette polémique « illustre ce qu’il ne faut pas faire, du côté des médias comme de certains analystes » : « Nous avons tous été amenés à commenter un chiffre terrible de 20 % de lits fermés sorti dans la presse, sans connaître la méthodologie, ni l’échantillon, en se doutant que ce chiffre n’était pas fiable. »

Seulement, les données de cette enquête flash de la FHF, qui représente les directeurs des hôpitaux, sont elles aussi très parcellaires : elles précisent seulement que les CHU sont les plus touchés (8 % de lits fermés), ainsi que les régions Île-de-France, Pays-de-la-Loire et Grand Est, sans plus de précisions.

La première solution, c’est d’admettre qu’il y a un problème, plutôt que de s’arranger avec les chiffres
Isabelle Desguerre, professeure de neuropédiatrie
Là où ils sont confrontés à une pénurie de personnel vertigineuse, à des fermetures de lits qui fragilisent l’offre de soins, les hospitaliers ne décolèrent pas. « La première solution à la crise, c’est d’arrêter de dénier la réalité, d’admettre qu’il y a un problème, plutôt que de s’arranger avec les chiffres. L’administration a un talent notable pour cela, tance Isabelle Desguerre, cheffe de service de neuropédiatrie à l’hôpital Necker, à Paris. Deux types de chiffres circulent : les lits administrativement fermés et ceux qui sont fermés en raison d’un manque de personnel. Je peux avoir cinq lits fermés, pendant quelques semaines, mais l’administration considère qu’ils sont ouverts. Ils existent, mais on ne peut pas les ouvrir. En pédiatrie en Île-de-France, 20 % de nos lits sont fermés », assure-t-elle.

Ces subtilités administratives apparaissent dans un message de l’Agence régionale de santé (ARS) d’Île-de-France aux établissements, à la date du 29 octobre, que nous nous sommes procuré. Il compare le « capacitaire installé », calculé à l’été 2021, et le « capacitaire effectif ». En réponse à nos questions, l’Agence régionale de santé précise que le capacitaire installé est le nombre de lits « présents habituellement dans un établissement », quand le « capacitaire effectif traduit le nombre de lits ouverts pouvant accueillir des patients de manière effective, à un moment donné. Cela prend en compte les absences, les effectifs réduits. C’est ce que les établissements de santé estiment pouvoir ouvrir en fonction des moyens qu’ils ont ».

Les chiffres sont affolants : fin octobre, par rapport au capacitaire installé, 18 % des lits étaient fermés en soins critiques, 15 % en hospitalisation conventionnelle, dont 41 % en Seine-Saint-Denis et 35 % en Essonne. Ces lits fermés s’ajoutent à tous ceux déjà perdus pendant le Covid, en raison de la généralisation des chambres à un seul lit.

Les directeurs de CHU ont confirmé ces chiffres dans un communiqué commun : 14 à 18 % des lits sont fermés en Île-de-France. Dans les autres régions, les fermetures de lits dans les plus grands hôpitaux oscilleraient entre 1 et 12 %.

Olivier Véran a promis une « étude la plus exhaustive possible ». Pour être crédible, elle devra entrer dans les détails techniques.

Olivier Véran a promis que ses services allaient rendre une « étude la plus exhaustive possible ». Pour être crédible, elle devra entrer dans ces détails techniques et comparer la situation actuelle avec la période pré-Covid.

En Île-de-France, région la plus touchée, plusieurs spécialités ont fait leurs propres comptes. Les unités neuro-vasculaires ont, par exemple, « créé un groupe WhatsApp », explique la neurologue de l’hôpital Bichat, à Paris, Philippa Lavallée : « Nous pensions que nos problèmes étaient locaux. On s’est rendu compte que tous les services étaient touchés par des fermetures de lits. »

Sur les 28 lits de l’unité neuro-vasculaire de l’hôpital Bichat, à Paris, seuls quatre sont ouverts, « depuis des mois et des mois, par manque d’infirmières », précise le docteur Lavallée.

Son administration hospitalière ne veut pas affoler la population, mais surtout les soignants susceptibles de candidater sur les postes vacants : « On a des réunions avec la direction, qui nous explique qu’elle ne reçoit aucune candidature. Elle nous demande d’arrêter d’être déprimants, de donner une image négative de l’hôpital. Mais on est tombés tellement bas… »

Les unités neuro-vasculaires (UNV) prennent en charge des urgences absolues : les accidents vasculaires cérébraux. Ouvertes 24 heures sur 24, elles doivent administrer, dans les plus brefs délais, des traitements permettant de déboucher les artères, la thrombolyse ou la thrombectomie. Pour cela, un réseau d’UNV est déployé sur le territoire national. Seulement, en Île-de-France, 12 % des lits d’UNV sont fermés, et 30 % à Paris, où 50 % des postes d’infirmières sont vacants.

« On estime que les patients qui passent par une UNV ont un risque diminué de handicap et de mortalité de 25 %. En 2007, on s’était donné pour objectif que toutes les personnes victimes d’AVC passent par nos services. On en est loin, et la situation s’aggrave », explique le docteur Sophie Crozier, neurologue aux urgences cérébro-vasculaires de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris. Avec Philippa Lavallée, elle est l’auteure d’une tribune publiée dans Le Monde, signée par de très nombreux chefs de service et neurologues, qui tente d’alerter sur la situation.

Après la phase aiguë de prise en charge, les soins des patients victimes d’AVC sont très lourds, « propres au handicap », détaille Philippa Lavallée : « Il faut faire manger les patients, les faire boire, pour leur éviter les fausses routes qui provoquent des pneumopathies, leur faire la toilette, les mettre au fauteuil plusieurs fois par jour. Il ne faut pas les laisser dans leur lit mais se battre contre le handicap. De tout temps, nos infirmières ont tourné, parce que ce métier est usant physiquement. Aujourd’hui, elles tournent, mais il n’y a plus personne pour les remplacer. »

Les pompiers ou le Samu doivent trouver des places dans d’autres hôpitaux, tout cela fait perdre du temps. Pour un AVC, chaque minute compte
Philippa Lavallée, neurologue
L’unité neuro-vasculaire de Bichat, avec ses quatre lits, refuse de nombreux patients : « Les pompiers ou le Samu doivent trouver des places dans d’autres hôpitaux, poursuit la neurologue. Parfois, ils ne trouvent pas et nous laissent les patients aux urgences, où il y a une procédure. Mais tout cela fait perdre du temps, et les urgences, qui sont déjà débordées, râlent, et je les comprends. » Les patients se retrouvent ensuite hospitalisés dans d’autres services : « En ORL, en chirurgie. On a monté une équipe mobile pour suivre nos patients dans ces différents services. Mais malgré toute la bonne volonté des équipes qui accueillent nos patients, on voit revenir des complications, comme les pneumopathies, parce que nos malades ont besoin de soignants formés. »

Le Collectif inter-hôpitaux a réuni de nombreux témoignages en pédiatrie, lors d’une conférence de presse organisée le 28 octobre. Dans le service d’hépatologie pédiatrique du CHU du Kremlin-Bicêtre (Val-de-Marne), qui prend en charge les enfants malades du foie et assure 40 % des greffes du foie chez les enfants en France, 10 lits sur 24 sont fermés, a témoigné le docteur Oanez Ackermann : « Nous vivons une situation dramatique inédite, mettant en jeu le pronostic vital d’enfants en situation d’urgence. En ce mois d’octobre, nous n’avons pas pu accueillir cinq enfants ayant une hépatite aiguë grave ou une aggravation brutale d’une maladie chronique du foie, et relevant d’une transplantation à tout moment. Certains ont dû passer par plusieurs centres de transplantation avant d’être pris en charge. »

En pédiatrie, les fermetures touchent tous les grands CHU en France : à Lyon, ont été décidées des déprogrammations d’hospitalisations, lorsqu’« elles ne mettent pas en péril les enfants » ; à Rouen, Tours, Amiens, Dijon, Strasbourg, des lits sont régulièrement fermés ; à Bordeaux, le plan d’urgence pour la pédiatrie a été déclenché au mois d’octobre.

Dans de nombreux hôpitaux, ces services de pédiatrie, déjà en souffrance, doivent aussi soutenir la pédopsychiatrie, sinistrée : en Île-de-France, « nous estimons que 25 à 30 % des lits de pédiatrie sont occupés par des adolescents “psy”, parfois en unités de tout petits », a expliqué la pédopsychiatre de l’hôpital Necker Élisabeth Ouss-Ryngaret.

Dans de telles conditions, la moindre augmentation de la demande de soins devient difficile à absorber. C’est le cas de l’épidémie de bronchiolite chez les nourrissons, « parfaitement prévisible », rappelle la cheffe de service de neuropédiatrie Isabelle Desguerre : « Elle survient tous les ans, à la même date. Cette année, elle a simplement 15 jours d’avance. »

Les pédiatres jonglent donc entre les urgences : « On fait aussi sortir les enfants plus vite, trop vite, explique la professeure Desguerre. J’ai des enfants épileptiques qui font 10 crises par jour. Je les fais sortir quand ils n’en font plus que huit, en proposant des téléconsultations. C’est un stress énorme pour les parents, on les maltraite. Et c’est une prise de risque, des montées d’adrénaline pour les soignants, qui épuisent physiquement et moralement. »

Aujourd’hui, on ne parle plus que du nombre de postes de soignants vacants, du nombre de lits fermés. Entre chefs de service, on se prête des infirmières
Isabelle Desguerre, cheffe de service de neuropédiatrie à Necker
Elle raconte les réunions de pôles : « Avant, on passait notre temps à discuter de notre activité, de notre rentabilité. Aujourd’hui, on ne parle plus que du nombre de postes de soignants vacants, du nombre de lits fermés. Entre chefs de service, on se prête des infirmières pour pouvoir rouvrir des lits là où les besoins sont les plus criants. C’est une déshumanisation des soins, alors que nous sommes confrontés à la maladie et à la mort des enfants. À Necker, les dernières infirmières venues d’ailleurs sont restées six heures avant de faire valoir leur droit de retrait. »

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« Il faut commencer par respecter les soignants, cesser de jongler avec leurs plannings, de leur donner des médailles en chocolat pour les remercier, estime la professeure Isabelle Desguerre. Pendant le Covid, on a demandé des choses inadmissibles aux élèves infirmiers. On les a jetés dans des situations terribles, on les a confrontés à la mort sans aucune préparation. Et on s’étonne aujourd’hui qu’ils se posent des questions sur leur métier. »

La réanimation pédiatrique, c’est toute ma vie. Pour la première fois, j’ai eu envie de jeter l’éponge
Une jeune praticienne hospitalière
Une pédiatre dans un service de réanimation d’un grand hôpital parisien raconte encore les quatre lits fermés dans son service, sur 18, « depuis des mois » : « Pour maintenir ces 14 lits, on impose un rythme de travail indécent aux infirmières. Elles sont sollicitées en permanence pour faire des heures supplémentaires. Elles sont épuisées, elles ne tiendront pas très longtemps à ce rythme, notre service menace de s’effondrer ! Ce soir, elles ne sont que six infirmières : on ne devrait avoir que 12 patients, on en a 15. Un autre soir, on a eu un petit patient avec une bronchiolite qui s’épuisait aux urgences, qui risquait un arrêt respiratoire ou cardiaque. On l’a monté dans le service, mais faute de lit, on l’a installé dans un couloir, avec un scope et respirateur de transport. Ses parents étaient sur une chaise à ses côtés. Moi, jeune praticienne hospitalière, j’avais envie de pleurer. Cela me révolte. J’adore mon métier, la réanimation pédiatrique, c’est toute ma vie. Pour la première fois, j’ai eu envie de jeter l’éponge. » Dans sa voix, l’émotion est toujours là.FPL
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Fermeture de lits à l’hôpital : une polémique de chiffres pour cacher l’ampleur de la crise
13 NOVEMBRE 2021 PAR CAROLINE COQ-CHODORGE

Y a-t-il 20 % ou 5 % de lits d’hôpitaux fermés en ce début d’hiver ? L’administration joue sur les chiffres, en ne communiquant que les fermetures définitives, quand des lits ouvrent et ferment au jour le jour. L’Île-de-France est la plus touchée : des services de pédiatrie ou des unités neuro-vasculaires tentent de fonctionner avec 20, 50, voire 80 % de lits fermés.

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Le Conseil scientifique glissait alors un chiffre : selon ses calculs, à partir de « données concordantes recueillies auprès des grandes structures hospitalières du pays », « environ 20 % » des lits d’hôpitaux seraient fermés, dans « tous les secteurs », en raison d’une pénurie d’infirmières. De ce chiffre choc, Libération a fait sa une, le 26 octobre.

À l’hôpital de Mulhouse, en février 2021. © Photo Sébastien Bozon / AFP
À l’hôpital de Mulhouse, en février 2021. © Photo Sébastien Bozon / AFP

Le ministre de la santé Olivier Véran l’a « contesté » devant l’Assemblée nationale, le 2 novembre. Il a opposé le chiffre de « 5 % de lits de médecine fermés », sur un petit échantillon de 16 Centres hospitaliers universitaires (CHU). S’il a reconnu des « difficultés réelles », ils les a aussi relativisées : elles surviennent, selon lui, « comme chaque année à la période automnale ».
La Fédération hospitalière de France (FHF), qui organisait son salon annuel cette semaine à Paris, est sur la ligne du ministre : elle avance le chiffre de 6 % de lits fermés, à partir des données remontées par 330 établissements de santé. Pour le président de la FHF, Frédéric Valletoux, cette polémique « illustre ce qu’il ne faut pas faire, du côté des médias comme de certains analystes » : « Nous avons tous été amenés à commenter un chiffre terrible de 20 % de lits fermés sorti dans la presse, sans connaître la méthodologie, ni l’échantillon, en se doutant que ce chiffre n’était pas fiable. »

Seulement, les données de cette enquête flash de la FHF, qui représente les directeurs des hôpitaux, sont elles aussi très parcellaires : elles précisent seulement que les CHU sont les plus touchés (8 % de lits fermés), ainsi que les régions Île-de-France, Pays-de-la-Loire et Grand Est, sans plus de précisions.

La première solution, c’est d’admettre qu’il y a un problème, plutôt que de s’arranger avec les chiffres
Isabelle Desguerre, professeure de neuropédiatrie
Là où ils sont confrontés à une pénurie de personnel vertigineuse, à des fermetures de lits qui fragilisent l’offre de soins, les hospitaliers ne décolèrent pas. « La première solution à la crise, c’est d’arrêter de dénier la réalité, d’admettre qu’il y a un problème, plutôt que de s’arranger avec les chiffres. L’administration a un talent notable pour cela, tance Isabelle Desguerre, cheffe de service de neuropédiatrie à l’hôpital Necker, à Paris. Deux types de chiffres circulent : les lits administrativement fermés et ceux qui sont fermés en raison d’un manque de personnel. Je peux avoir cinq lits fermés, pendant quelques semaines, mais l’administration considère qu’ils sont ouverts. Ils existent, mais on ne peut pas les ouvrir. En pédiatrie en Île-de-France, 20 % de nos lits sont fermés », assure-t-elle.

Ces subtilités administratives apparaissent dans un message de l’Agence régionale de santé (ARS) d’Île-de-France aux établissements, à la date du 29 octobre, que nous nous sommes procuré. Il compare le « capacitaire installé », calculé à l’été 2021, et le « capacitaire effectif ». En réponse à nos questions, l’Agence régionale de santé précise que le capacitaire installé est le nombre de lits « présents habituellement dans un établissement », quand le « capacitaire effectif traduit le nombre de lits ouverts pouvant accueillir des patients de manière effective, à un moment donné. Cela prend en compte les absences, les effectifs réduits. C’est ce que les établissements de santé estiment pouvoir ouvrir en fonction des moyens qu’ils ont ».

Les chiffres sont affolants : fin octobre, par rapport au capacitaire installé, 18 % des lits étaient fermés en soins critiques, 15 % en hospitalisation conventionnelle, dont 41 % en Seine-Saint-Denis et 35 % en Essonne. Ces lits fermés s’ajoutent à tous ceux déjà perdus pendant le Covid, en raison de la généralisation des chambres à un seul lit.

Les directeurs de CHU ont confirmé ces chiffres dans un communiqué commun : 14 à 18 % des lits sont fermés en Île-de-France. Dans les autres régions, les fermetures de lits dans les plus grands hôpitaux oscilleraient entre 1 et 12 %.

Olivier Véran a promis une « étude la plus exhaustive possible ». Pour être crédible, elle devra entrer dans les détails techniques.

Olivier Véran a promis que ses services allaient rendre une « étude la plus exhaustive possible ». Pour être crédible, elle devra entrer dans ces détails techniques et comparer la situation actuelle avec la période pré-Covid.

En Île-de-France, région la plus touchée, plusieurs spécialités ont fait leurs propres comptes. Les unités neuro-vasculaires ont, par exemple, « créé un groupe WhatsApp », explique la neurologue de l’hôpital Bichat, à Paris, Philippa Lavallée : « Nous pensions que nos problèmes étaient locaux. On s’est rendu compte que tous les services étaient touchés par des fermetures de lits. »

Sur les 28 lits de l’unité neuro-vasculaire de l’hôpital Bichat, à Paris, seuls quatre sont ouverts, « depuis des mois et des mois, par manque d’infirmières », précise le docteur Lavallée.

Son administration hospitalière ne veut pas affoler la population, mais surtout les soignants susceptibles de candidater sur les postes vacants : « On a des réunions avec la direction, qui nous explique qu’elle ne reçoit aucune candidature. Elle nous demande d’arrêter d’être déprimants, de donner une image négative de l’hôpital. Mais on est tombés tellement bas… »

Les unités neuro-vasculaires (UNV) prennent en charge des urgences absolues : les accidents vasculaires cérébraux. Ouvertes 24 heures sur 24, elles doivent administrer, dans les plus brefs délais, des traitements permettant de déboucher les artères, la thrombolyse ou la thrombectomie. Pour cela, un réseau d’UNV est déployé sur le territoire national. Seulement, en Île-de-France, 12 % des lits d’UNV sont fermés, et 30 % à Paris, où 50 % des postes d’infirmières sont vacants.

« On estime que les patients qui passent par une UNV ont un risque diminué de handicap et de mortalité de 25 %. En 2007, on s’était donné pour objectif que toutes les personnes victimes d’AVC passent par nos services. On en est loin, et la situation s’aggrave », explique le docteur Sophie Crozier, neurologue aux urgences cérébro-vasculaires de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris. Avec Philippa Lavallée, elle est l’auteure d’une tribune publiée dans Le Monde, signée par de très nombreux chefs de service et neurologues, qui tente d’alerter sur la situation.

Après la phase aiguë de prise en charge, les soins des patients victimes d’AVC sont très lourds, « propres au handicap », détaille Philippa Lavallée : « Il faut faire manger les patients, les faire boire, pour leur éviter les fausses routes qui provoquent des pneumopathies, leur faire la toilette, les mettre au fauteuil plusieurs fois par jour. Il ne faut pas les laisser dans leur lit mais se battre contre le handicap. De tout temps, nos infirmières ont tourné, parce que ce métier est usant physiquement. Aujourd’hui, elles tournent, mais il n’y a plus personne pour les remplacer. »

Les pompiers ou le Samu doivent trouver des places dans d’autres hôpitaux, tout cela fait perdre du temps. Pour un AVC, chaque minute compte
Philippa Lavallée, neurologue
L’unité neuro-vasculaire de Bichat, avec ses quatre lits, refuse de nombreux patients : « Les pompiers ou le Samu doivent trouver des places dans d’autres hôpitaux, poursuit la neurologue. Parfois, ils ne trouvent pas et nous laissent les patients aux urgences, où il y a une procédure. Mais tout cela fait perdre du temps, et les urgences, qui sont déjà débordées, râlent, et je les comprends. » Les patients se retrouvent ensuite hospitalisés dans d’autres services : « En ORL, en chirurgie. On a monté une équipe mobile pour suivre nos patients dans ces différents services. Mais malgré toute la bonne volonté des équipes qui accueillent nos patients, on voit revenir des complications, comme les pneumopathies, parce que nos malades ont besoin de soignants formés. »

Le Collectif inter-hôpitaux a réuni de nombreux témoignages en pédiatrie, lors d’une conférence de presse organisée le 28 octobre. Dans le service d’hépatologie pédiatrique du CHU du Kremlin-Bicêtre (Val-de-Marne), qui prend en charge les enfants malades du foie et assure 40 % des greffes du foie chez les enfants en France, 10 lits sur 24 sont fermés, a témoigné le docteur Oanez Ackermann : « Nous vivons une situation dramatique inédite, mettant en jeu le pronostic vital d’enfants en situation d’urgence. En ce mois d’octobre, nous n’avons pas pu accueillir cinq enfants ayant une hépatite aiguë grave ou une aggravation brutale d’une maladie chronique du foie, et relevant d’une transplantation à tout moment. Certains ont dû passer par plusieurs centres de transplantation avant d’être pris en charge. »

En pédiatrie, les fermetures touchent tous les grands CHU en France : à Lyon, ont été décidées des déprogrammations d’hospitalisations, lorsqu’« elles ne mettent pas en péril les enfants » ; à Rouen, Tours, Amiens, Dijon, Strasbourg, des lits sont régulièrement fermés ; à Bordeaux, le plan d’urgence pour la pédiatrie a été déclenché au mois d’octobre.

Dans de nombreux hôpitaux, ces services de pédiatrie, déjà en souffrance, doivent aussi soutenir la pédopsychiatrie, sinistrée : en Île-de-France, « nous estimons que 25 à 30 % des lits de pédiatrie sont occupés par des adolescents “psy”, parfois en unités de tout petits », a expliqué la pédopsychiatre de l’hôpital Necker Élisabeth Ouss-Ryngaret.

Dans de telles conditions, la moindre augmentation de la demande de soins devient difficile à absorber. C’est le cas de l’épidémie de bronchiolite chez les nourrissons, « parfaitement prévisible », rappelle la cheffe de service de neuropédiatrie Isabelle Desguerre : « Elle survient tous les ans, à la même date. Cette année, elle a simplement 15 jours d’avance. »

Les pédiatres jonglent donc entre les urgences : « On fait aussi sortir les enfants plus vite, trop vite, explique la professeure Desguerre. J’ai des enfants épileptiques qui font 10 crises par jour. Je les fais sortir quand ils n’en font plus que huit, en proposant des téléconsultations. C’est un stress énorme pour les parents, on les maltraite. Et c’est une prise de risque, des montées d’adrénaline pour les soignants, qui épuisent physiquement et moralement. »

Aujourd’hui, on ne parle plus que du nombre de postes de soignants vacants, du nombre de lits fermés. Entre chefs de service, on se prête des infirmières
Isabelle Desguerre, cheffe de service de neuropédiatrie à Necker
Elle raconte les réunions de pôles : « Avant, on passait notre temps à discuter de notre activité, de notre rentabilité. Aujourd’hui, on ne parle plus que du nombre de postes de soignants vacants, du nombre de lits fermés. Entre chefs de service, on se prête des infirmières pour pouvoir rouvrir des lits là où les besoins sont les plus criants. C’est une déshumanisation des soins, alors que nous sommes confrontés à la maladie et à la mort des enfants. À Necker, les dernières infirmières venues d’ailleurs sont restées six heures avant de faire valoir leur droit de retrait. »

LIRE AUSSI
Ségur de la santé : un petit accord sur les salaires contre une plus grande flexibilité
PAR CAROLINE COQ-CHODORGE
Yves Simon, infirmier en réanimation pédiatrique à l’hôpital du Kremlin-Bicêtre, décrit une équipe paramédicale contrainte de faire « des heures supplémentaires continuellement » : « Bien sûr, il y a un attrait financier. Mais travailler à 110 ou 120 %, pendant des années, cela finit par fatiguer les gens. Alors ils partent, quittent le métier, choisissent le libéral, ou cherchent tout simplement à améliorer leur quotidien en trouvant un poste plus près de leur domicile. Parce qu’avec notre salaire, même augmenté de 183 euros net depuis le Ségur, on doit tous faire une heure de route. » Dans son service, il manque 25 infirmières, le turn-over est de 30 %.

« Il faut commencer par respecter les soignants, cesser de jongler avec leurs plannings, de leur donner des médailles en chocolat pour les remercier, estime la professeure Isabelle Desguerre. Pendant le Covid, on a demandé des choses inadmissibles aux élèves infirmiers. On les a jetés dans des situations terribles, on les a confrontés à la mort sans aucune préparation. Et on s’étonne aujourd’hui qu’ils se posent des questions sur leur métier. »

La réanimation pédiatrique, c’est toute ma vie. Pour la première fois, j’ai eu envie de jeter l’éponge
Une jeune praticienne hospitalière
Une pédiatre dans un service de réanimation d’un grand hôpital parisien raconte encore les quatre lits fermés dans son service, sur 18, « depuis des mois » : « Pour maintenir ces 14 lits, on impose un rythme de travail indécent aux infirmières. Elles sont sollicitées en permanence pour faire des heures supplémentaires. Elles sont épuisées, elles ne tiendront pas très longtemps à ce rythme, notre service menace de s’effondrer ! Ce soir, elles ne sont que six infirmières : on ne devrait avoir que 12 patients, on en a 15. Un autre soir, on a eu un petit patient avec une bronchiolite qui s’épuisait aux urgences, qui risquait un arrêt respiratoire ou cardiaque. On l’a monté dans le service, mais faute de lit, on l’a installé dans un couloir, avec un scope et respirateur de transport. Ses parents étaient sur une chaise à ses côtés. Moi, jeune praticienne hospitalière, j’avais envie de pleurer. Cela me révolte. J’adore mon métier, la réanimation pédiatrique, c’est toute ma vie. Pour la première fois, j’ai eu envie de jeter l’éponge. » Dans sa voix, l’émotion est toujours là.FPL
Jusqu’au 16 novembre : Derniers jours pour contribuer à préserver une presse indépendante.

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SANTÉ
Fermeture de lits à l’hôpital : une polémique de chiffres pour cacher l’ampleur de la crise
13 NOVEMBRE 2021 PAR CAROLINE COQ-CHODORGE

Y a-t-il 20 % ou 5 % de lits d’hôpitaux fermés en ce début d’hiver ? L’administration joue sur les chiffres, en ne communiquant que les fermetures définitives, quand des lits ouvrent et ferment au jour le jour. L’Île-de-France est la plus touchée : des services de pédiatrie ou des unités neuro-vasculaires tentent de fonctionner avec 20, 50, voire 80 % de lits fermés.

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Est-il possible de mesurer l’ampleur de la crise qui frappe l’hôpital public, année après année, avant, pendant et après le Covid, jusque dans ses oscillations ? Dans son avis du 5 octobre dernier, le Conseil scientifique alertait sur l’état d’« épuisement des soignants », qui ne permettait pas d’exclure un nouveau « débordement du système de soins », malgré la protection apportée par la vaccination contre le Covid-19.

Le Conseil scientifique glissait alors un chiffre : selon ses calculs, à partir de « données concordantes recueillies auprès des grandes structures hospitalières du pays », « environ 20 % » des lits d’hôpitaux seraient fermés, dans « tous les secteurs », en raison d’une pénurie d’infirmières. De ce chiffre choc, Libération a fait sa une, le 26 octobre.

À l’hôpital de Mulhouse, en février 2021. © Photo Sébastien Bozon / AFP
À l’hôpital de Mulhouse, en février 2021. © Photo Sébastien Bozon / AFP

Le ministre de la santé Olivier Véran l’a « contesté » devant l’Assemblée nationale, le 2 novembre. Il a opposé le chiffre de « 5 % de lits de médecine fermés », sur un petit échantillon de 16 Centres hospitaliers universitaires (CHU). S’il a reconnu des « difficultés réelles », ils les a aussi relativisées : elles surviennent, selon lui, « comme chaque année à la période automnale ».
La Fédération hospitalière de France (FHF), qui organisait son salon annuel cette semaine à Paris, est sur la ligne du ministre : elle avance le chiffre de 6 % de lits fermés, à partir des données remontées par 330 établissements de santé. Pour le président de la FHF, Frédéric Valletoux, cette polémique « illustre ce qu’il ne faut pas faire, du côté des médias comme de certains analystes » : « Nous avons tous été amenés à commenter un chiffre terrible de 20 % de lits fermés sorti dans la presse, sans connaître la méthodologie, ni l’échantillon, en se doutant que ce chiffre n’était pas fiable. »

Seulement, les données de cette enquête flash de la FHF, qui représente les directeurs des hôpitaux, sont elles aussi très parcellaires : elles précisent seulement que les CHU sont les plus touchés (8 % de lits fermés), ainsi que les régions Île-de-France, Pays-de-la-Loire et Grand Est, sans plus de précisions.

La première solution, c’est d’admettre qu’il y a un problème, plutôt que de s’arranger avec les chiffres
Isabelle Desguerre, professeure de neuropédiatrie
Là où ils sont confrontés à une pénurie de personnel vertigineuse, à des fermetures de lits qui fragilisent l’offre de soins, les hospitaliers ne décolèrent pas. « La première solution à la crise, c’est d’arrêter de dénier la réalité, d’admettre qu’il y a un problème, plutôt que de s’arranger avec les chiffres. L’administration a un talent notable pour cela, tance Isabelle Desguerre, cheffe de service de neuropédiatrie à l’hôpital Necker, à Paris. Deux types de chiffres circulent : les lits administrativement fermés et ceux qui sont fermés en raison d’un manque de personnel. Je peux avoir cinq lits fermés, pendant quelques semaines, mais l’administration considère qu’ils sont ouverts. Ils existent, mais on ne peut pas les ouvrir. En pédiatrie en Île-de-France, 20 % de nos lits sont fermés », assure-t-elle.

Ces subtilités administratives apparaissent dans un message de l’Agence régionale de santé (ARS) d’Île-de-France aux établissements, à la date du 29 octobre, que nous nous sommes procuré. Il compare le « capacitaire installé », calculé à l’été 2021, et le « capacitaire effectif ». En réponse à nos questions, l’Agence régionale de santé précise que le capacitaire installé est le nombre de lits « présents habituellement dans un établissement », quand le « capacitaire effectif traduit le nombre de lits ouverts pouvant accueillir des patients de manière effective, à un moment donné. Cela prend en compte les absences, les effectifs réduits. C’est ce que les établissements de santé estiment pouvoir ouvrir en fonction des moyens qu’ils ont ».

Les chiffres sont affolants : fin octobre, par rapport au capacitaire installé, 18 % des lits étaient fermés en soins critiques, 15 % en hospitalisation conventionnelle, dont 41 % en Seine-Saint-Denis et 35 % en Essonne. Ces lits fermés s’ajoutent à tous ceux déjà perdus pendant le Covid, en raison de la généralisation des chambres à un seul lit.

Les directeurs de CHU ont confirmé ces chiffres dans un communiqué commun : 14 à 18 % des lits sont fermés en Île-de-France. Dans les autres régions, les fermetures de lits dans les plus grands hôpitaux oscilleraient entre 1 et 12 %.

Olivier Véran a promis une « étude la plus exhaustive possible ». Pour être crédible, elle devra entrer dans les détails techniques.

Olivier Véran a promis que ses services allaient rendre une « étude la plus exhaustive possible ». Pour être crédible, elle devra entrer dans ces détails techniques et comparer la situation actuelle avec la période pré-Covid.

En Île-de-France, région la plus touchée, plusieurs spécialités ont fait leurs propres comptes. Les unités neuro-vasculaires ont, par exemple, « créé un groupe WhatsApp », explique la neurologue de l’hôpital Bichat, à Paris, Philippa Lavallée : « Nous pensions que nos problèmes étaient locaux. On s’est rendu compte que tous les services étaient touchés par des fermetures de lits. »

Sur les 28 lits de l’unité neuro-vasculaire de l’hôpital Bichat, à Paris, seuls quatre sont ouverts, « depuis des mois et des mois, par manque d’infirmières », précise le docteur Lavallée.

Son administration hospitalière ne veut pas affoler la population, mais surtout les soignants susceptibles de candidater sur les postes vacants : « On a des réunions avec la direction, qui nous explique qu’elle ne reçoit aucune candidature. Elle nous demande d’arrêter d’être déprimants, de donner une image négative de l’hôpital. Mais on est tombés tellement bas… »

Les unités neuro-vasculaires (UNV) prennent en charge des urgences absolues : les accidents vasculaires cérébraux. Ouvertes 24 heures sur 24, elles doivent administrer, dans les plus brefs délais, des traitements permettant de déboucher les artères, la thrombolyse ou la thrombectomie. Pour cela, un réseau d’UNV est déployé sur le territoire national. Seulement, en Île-de-France, 12 % des lits d’UNV sont fermés, et 30 % à Paris, où 50 % des postes d’infirmières sont vacants.

« On estime que les patients qui passent par une UNV ont un risque diminué de handicap et de mortalité de 25 %. En 2007, on s’était donné pour objectif que toutes les personnes victimes d’AVC passent par nos services. On en est loin, et la situation s’aggrave », explique le docteur Sophie Crozier, neurologue aux urgences cérébro-vasculaires de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris. Avec Philippa Lavallée, elle est l’auteure d’une tribune publiée dans Le Monde, signée par de très nombreux chefs de service et neurologues, qui tente d’alerter sur la situation.

Après la phase aiguë de prise en charge, les soins des patients victimes d’AVC sont très lourds, « propres au handicap », détaille Philippa Lavallée : « Il faut faire manger les patients, les faire boire, pour leur éviter les fausses routes qui provoquent des pneumopathies, leur faire la toilette, les mettre au fauteuil plusieurs fois par jour. Il ne faut pas les laisser dans leur lit mais se battre contre le handicap. De tout temps, nos infirmières ont tourné, parce que ce métier est usant physiquement. Aujourd’hui, elles tournent, mais il n’y a plus personne pour les remplacer. »

Les pompiers ou le Samu doivent trouver des places dans d’autres hôpitaux, tout cela fait perdre du temps. Pour un AVC, chaque minute compte
Philippa Lavallée, neurologue
L’unité neuro-vasculaire de Bichat, avec ses quatre lits, refuse de nombreux patients : « Les pompiers ou le Samu doivent trouver des places dans d’autres hôpitaux, poursuit la neurologue. Parfois, ils ne trouvent pas et nous laissent les patients aux urgences, où il y a une procédure. Mais tout cela fait perdre du temps, et les urgences, qui sont déjà débordées, râlent, et je les comprends. » Les patients se retrouvent ensuite hospitalisés dans d’autres services : « En ORL, en chirurgie. On a monté une équipe mobile pour suivre nos patients dans ces différents services. Mais malgré toute la bonne volonté des équipes qui accueillent nos patients, on voit revenir des complications, comme les pneumopathies, parce que nos malades ont besoin de soignants formés. »

Le Collectif inter-hôpitaux a réuni de nombreux témoignages en pédiatrie, lors d’une conférence de presse organisée le 28 octobre. Dans le service d’hépatologie pédiatrique du CHU du Kremlin-Bicêtre (Val-de-Marne), qui prend en charge les enfants malades du foie et assure 40 % des greffes du foie chez les enfants en France, 10 lits sur 24 sont fermés, a témoigné le docteur Oanez Ackermann : « Nous vivons une situation dramatique inédite, mettant en jeu le pronostic vital d’enfants en situation d’urgence. En ce mois d’octobre, nous n’avons pas pu accueillir cinq enfants ayant une hépatite aiguë grave ou une aggravation brutale d’une maladie chronique du foie, et relevant d’une transplantation à tout moment. Certains ont dû passer par plusieurs centres de transplantation avant d’être pris en charge. »

En pédiatrie, les fermetures touchent tous les grands CHU en France : à Lyon, ont été décidées des déprogrammations d’hospitalisations, lorsqu’« elles ne mettent pas en péril les enfants » ; à Rouen, Tours, Amiens, Dijon, Strasbourg, des lits sont régulièrement fermés ; à Bordeaux, le plan d’urgence pour la pédiatrie a été déclenché au mois d’octobre.

Dans de nombreux hôpitaux, ces services de pédiatrie, déjà en souffrance, doivent aussi soutenir la pédopsychiatrie, sinistrée : en Île-de-France, « nous estimons que 25 à 30 % des lits de pédiatrie sont occupés par des adolescents “psy”, parfois en unités de tout petits », a expliqué la pédopsychiatre de l’hôpital Necker Élisabeth Ouss-Ryngaret.

Dans de telles conditions, la moindre augmentation de la demande de soins devient difficile à absorber. C’est le cas de l’épidémie de bronchiolite chez les nourrissons, « parfaitement prévisible », rappelle la cheffe de service de neuropédiatrie Isabelle Desguerre : « Elle survient tous les ans, à la même date. Cette année, elle a simplement 15 jours d’avance. »

Les pédiatres jonglent donc entre les urgences : « On fait aussi sortir les enfants plus vite, trop vite, explique la professeure Desguerre. J’ai des enfants épileptiques qui font 10 crises par jour. Je les fais sortir quand ils n’en font plus que huit, en proposant des téléconsultations. C’est un stress énorme pour les parents, on les maltraite. Et c’est une prise de risque, des montées d’adrénaline pour les soignants, qui épuisent physiquement et moralement. »

Aujourd’hui, on ne parle plus que du nombre de postes de soignants vacants, du nombre de lits fermés. Entre chefs de service, on se prête des infirmières
Isabelle Desguerre, cheffe de service de neuropédiatrie à Necker
Elle raconte les réunions de pôles : « Avant, on passait notre temps à discuter de notre activité, de notre rentabilité. Aujourd’hui, on ne parle plus que du nombre de postes de soignants vacants, du nombre de lits fermés. Entre chefs de service, on se prête des infirmières pour pouvoir rouvrir des lits là où les besoins sont les plus criants. C’est une déshumanisation des soins, alors que nous sommes confrontés à la maladie et à la mort des enfants. À Necker, les dernières infirmières venues d’ailleurs sont restées six heures avant de faire valoir leur droit de retrait. »

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Yves Simon, infirmier en réanimation pédiatrique à l’hôpital du Kremlin-Bicêtre, décrit une équipe paramédicale contrainte de faire « des heures supplémentaires continuellement » : « Bien sûr, il y a un attrait financier. Mais travailler à 110 ou 120 %, pendant des années, cela finit par fatiguer les gens. Alors ils partent, quittent le métier, choisissent le libéral, ou cherchent tout simplement à améliorer leur quotidien en trouvant un poste plus près de leur domicile. Parce qu’avec notre salaire, même augmenté de 183 euros net depuis le Ségur, on doit tous faire une heure de route. » Dans son service, il manque 25 infirmières, le turn-over est de 30 %.

« Il faut commencer par respecter les soignants, cesser de jongler avec leurs plannings, de leur donner des médailles en chocolat pour les remercier, estime la professeure Isabelle Desguerre. Pendant le Covid, on a demandé des choses inadmissibles aux élèves infirmiers. On les a jetés dans des situations terribles, on les a confrontés à la mort sans aucune préparation. Et on s’étonne aujourd’hui qu’ils se posent des questions sur leur métier. »

La réanimation pédiatrique, c’est toute ma vie. Pour la première fois, j’ai eu envie de jeter l’éponge
Une jeune praticienne hospitalière
Une pédiatre dans un service de réanimation d’un grand hôpital parisien raconte encore les quatre lits fermés dans son service, sur 18, « depuis des mois » : « Pour maintenir ces 14 lits, on impose un rythme de travail indécent aux infirmières. Elles sont sollicitées en permanence pour faire des heures supplémentaires. Elles sont épuisées, elles ne tiendront pas très longtemps à ce rythme, notre service menace de s’effondrer ! Ce soir, elles ne sont que six infirmières : on ne devrait avoir que 12 patients, on en a 15. Un autre soir, on a eu un petit patient avec une bronchiolite qui s’épuisait aux urgences, qui risquait un arrêt respiratoire ou cardiaque. On l’a monté dans le service, mais faute de lit, on l’a installé dans un couloir, avec un scope et respirateur de transport. Ses parents étaient sur une chaise à ses côtés. Moi, jeune praticienne hospitalière, j’avais envie de pleurer. Cela me révolte. J’adore mon métier, la réanimation pédiatrique, c’est toute ma vie. Pour la première fois, j’ai eu envie de jeter l’éponge. » Dans sa voix, l’émotion est toujours là.FPL
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Fermeture de lits à l’hôpital : une polémique de chiffres pour cacher l’ampleur de la crise
13 NOVEMBRE 2021 PAR CAROLINE COQ-CHODORGE

Y a-t-il 20 % ou 5 % de lits d’hôpitaux fermés en ce début d’hiver ? L’administration joue sur les chiffres, en ne communiquant que les fermetures définitives, quand des lits ouvrent et ferment au jour le jour. L’Île-de-France est la plus touchée : des services de pédiatrie ou des unités neuro-vasculaires tentent de fonctionner avec 20, 50, voire 80 % de lits fermés.

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Le Conseil scientifique glissait alors un chiffre : selon ses calculs, à partir de « données concordantes recueillies auprès des grandes structures hospitalières du pays », « environ 20 % » des lits d’hôpitaux seraient fermés, dans « tous les secteurs », en raison d’une pénurie d’infirmières. De ce chiffre choc, Libération a fait sa une, le 26 octobre.

À l’hôpital de Mulhouse, en février 2021. © Photo Sébastien Bozon / AFP
À l’hôpital de Mulhouse, en février 2021. © Photo Sébastien Bozon / AFP

Le ministre de la santé Olivier Véran l’a « contesté » devant l’Assemblée nationale, le 2 novembre. Il a opposé le chiffre de « 5 % de lits de médecine fermés », sur un petit échantillon de 16 Centres hospitaliers universitaires (CHU). S’il a reconnu des « difficultés réelles », ils les a aussi relativisées : elles surviennent, selon lui, « comme chaque année à la période automnale ».
La Fédération hospitalière de France (FHF), qui organisait son salon annuel cette semaine à Paris, est sur la ligne du ministre : elle avance le chiffre de 6 % de lits fermés, à partir des données remontées par 330 établissements de santé. Pour le président de la FHF, Frédéric Valletoux, cette polémique « illustre ce qu’il ne faut pas faire, du côté des médias comme de certains analystes » : « Nous avons tous été amenés à commenter un chiffre terrible de 20 % de lits fermés sorti dans la presse, sans connaître la méthodologie, ni l’échantillon, en se doutant que ce chiffre n’était pas fiable. »

Seulement, les données de cette enquête flash de la FHF, qui représente les directeurs des hôpitaux, sont elles aussi très parcellaires : elles précisent seulement que les CHU sont les plus touchés (8 % de lits fermés), ainsi que les régions Île-de-France, Pays-de-la-Loire et Grand Est, sans plus de précisions.

La première solution, c’est d’admettre qu’il y a un problème, plutôt que de s’arranger avec les chiffres
Isabelle Desguerre, professeure de neuropédiatrie
Là où ils sont confrontés à une pénurie de personnel vertigineuse, à des fermetures de lits qui fragilisent l’offre de soins, les hospitaliers ne décolèrent pas. « La première solution à la crise, c’est d’arrêter de dénier la réalité, d’admettre qu’il y a un problème, plutôt que de s’arranger avec les chiffres. L’administration a un talent notable pour cela, tance Isabelle Desguerre, cheffe de service de neuropédiatrie à l’hôpital Necker, à Paris. Deux types de chiffres circulent : les lits administrativement fermés et ceux qui sont fermés en raison d’un manque de personnel. Je peux avoir cinq lits fermés, pendant quelques semaines, mais l’administration considère qu’ils sont ouverts. Ils existent, mais on ne peut pas les ouvrir. En pédiatrie en Île-de-France, 20 % de nos lits sont fermés », assure-t-elle.

Ces subtilités administratives apparaissent dans un message de l’Agence régionale de santé (ARS) d’Île-de-France aux établissements, à la date du 29 octobre, que nous nous sommes procuré. Il compare le « capacitaire installé », calculé à l’été 2021, et le « capacitaire effectif ». En réponse à nos questions, l’Agence régionale de santé précise que le capacitaire installé est le nombre de lits « présents habituellement dans un établissement », quand le « capacitaire effectif traduit le nombre de lits ouverts pouvant accueillir des patients de manière effective, à un moment donné. Cela prend en compte les absences, les effectifs réduits. C’est ce que les établissements de santé estiment pouvoir ouvrir en fonction des moyens qu’ils ont ».

Les chiffres sont affolants : fin octobre, par rapport au capacitaire installé, 18 % des lits étaient fermés en soins critiques, 15 % en hospitalisation conventionnelle, dont 41 % en Seine-Saint-Denis et 35 % en Essonne. Ces lits fermés s’ajoutent à tous ceux déjà perdus pendant le Covid, en raison de la généralisation des chambres à un seul lit.

Les directeurs de CHU ont confirmé ces chiffres dans un communiqué commun : 14 à 18 % des lits sont fermés en Île-de-France. Dans les autres régions, les fermetures de lits dans les plus grands hôpitaux oscilleraient entre 1 et 12 %.

Olivier Véran a promis une « étude la plus exhaustive possible ». Pour être crédible, elle devra entrer dans les détails techniques.

Olivier Véran a promis que ses services allaient rendre une « étude la plus exhaustive possible ». Pour être crédible, elle devra entrer dans ces détails techniques et comparer la situation actuelle avec la période pré-Covid.

En Île-de-France, région la plus touchée, plusieurs spécialités ont fait leurs propres comptes. Les unités neuro-vasculaires ont, par exemple, « créé un groupe WhatsApp », explique la neurologue de l’hôpital Bichat, à Paris, Philippa Lavallée : « Nous pensions que nos problèmes étaient locaux. On s’est rendu compte que tous les services étaient touchés par des fermetures de lits. »

Sur les 28 lits de l’unité neuro-vasculaire de l’hôpital Bichat, à Paris, seuls quatre sont ouverts, « depuis des mois et des mois, par manque d’infirmières », précise le docteur Lavallée.

Son administration hospitalière ne veut pas affoler la population, mais surtout les soignants susceptibles de candidater sur les postes vacants : « On a des réunions avec la direction, qui nous explique qu’elle ne reçoit aucune candidature. Elle nous demande d’arrêter d’être déprimants, de donner une image négative de l’hôpital. Mais on est tombés tellement bas… »

Les unités neuro-vasculaires (UNV) prennent en charge des urgences absolues : les accidents vasculaires cérébraux. Ouvertes 24 heures sur 24, elles doivent administrer, dans les plus brefs délais, des traitements permettant de déboucher les artères, la thrombolyse ou la thrombectomie. Pour cela, un réseau d’UNV est déployé sur le territoire national. Seulement, en Île-de-France, 12 % des lits d’UNV sont fermés, et 30 % à Paris, où 50 % des postes d’infirmières sont vacants.

« On estime que les patients qui passent par une UNV ont un risque diminué de handicap et de mortalité de 25 %. En 2007, on s’était donné pour objectif que toutes les personnes victimes d’AVC passent par nos services. On en est loin, et la situation s’aggrave », explique le docteur Sophie Crozier, neurologue aux urgences cérébro-vasculaires de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris. Avec Philippa Lavallée, elle est l’auteure d’une tribune publiée dans Le Monde, signée par de très nombreux chefs de service et neurologues, qui tente d’alerter sur la situation.

Après la phase aiguë de prise en charge, les soins des patients victimes d’AVC sont très lourds, « propres au handicap », détaille Philippa Lavallée : « Il faut faire manger les patients, les faire boire, pour leur éviter les fausses routes qui provoquent des pneumopathies, leur faire la toilette, les mettre au fauteuil plusieurs fois par jour. Il ne faut pas les laisser dans leur lit mais se battre contre le handicap. De tout temps, nos infirmières ont tourné, parce que ce métier est usant physiquement. Aujourd’hui, elles tournent, mais il n’y a plus personne pour les remplacer. »

Les pompiers ou le Samu doivent trouver des places dans d’autres hôpitaux, tout cela fait perdre du temps. Pour un AVC, chaque minute compte
Philippa Lavallée, neurologue
L’unité neuro-vasculaire de Bichat, avec ses quatre lits, refuse de nombreux patients : « Les pompiers ou le Samu doivent trouver des places dans d’autres hôpitaux, poursuit la neurologue. Parfois, ils ne trouvent pas et nous laissent les patients aux urgences, où il y a une procédure. Mais tout cela fait perdre du temps, et les urgences, qui sont déjà débordées, râlent, et je les comprends. » Les patients se retrouvent ensuite hospitalisés dans d’autres services : « En ORL, en chirurgie. On a monté une équipe mobile pour suivre nos patients dans ces différents services. Mais malgré toute la bonne volonté des équipes qui accueillent nos patients, on voit revenir des complications, comme les pneumopathies, parce que nos malades ont besoin de soignants formés. »

Le Collectif inter-hôpitaux a réuni de nombreux témoignages en pédiatrie, lors d’une conférence de presse organisée le 28 octobre. Dans le service d’hépatologie pédiatrique du CHU du Kremlin-Bicêtre (Val-de-Marne), qui prend en charge les enfants malades du foie et assure 40 % des greffes du foie chez les enfants en France, 10 lits sur 24 sont fermés, a témoigné le docteur Oanez Ackermann : « Nous vivons une situation dramatique inédite, mettant en jeu le pronostic vital d’enfants en situation d’urgence. En ce mois d’octobre, nous n’avons pas pu accueillir cinq enfants ayant une hépatite aiguë grave ou une aggravation brutale d’une maladie chronique du foie, et relevant d’une transplantation à tout moment. Certains ont dû passer par plusieurs centres de transplantation avant d’être pris en charge. »

En pédiatrie, les fermetures touchent tous les grands CHU en France : à Lyon, ont été décidées des déprogrammations d’hospitalisations, lorsqu’« elles ne mettent pas en péril les enfants » ; à Rouen, Tours, Amiens, Dijon, Strasbourg, des lits sont régulièrement fermés ; à Bordeaux, le plan d’urgence pour la pédiatrie a été déclenché au mois d’octobre.

Dans de nombreux hôpitaux, ces services de pédiatrie, déjà en souffrance, doivent aussi soutenir la pédopsychiatrie, sinistrée : en Île-de-France, « nous estimons que 25 à 30 % des lits de pédiatrie sont occupés par des adolescents “psy”, parfois en unités de tout petits », a expliqué la pédopsychiatre de l’hôpital Necker Élisabeth Ouss-Ryngaret.

Dans de telles conditions, la moindre augmentation de la demande de soins devient difficile à absorber. C’est le cas de l’épidémie de bronchiolite chez les nourrissons, « parfaitement prévisible », rappelle la cheffe de service de neuropédiatrie Isabelle Desguerre : « Elle survient tous les ans, à la même date. Cette année, elle a simplement 15 jours d’avance. »

Les pédiatres jonglent donc entre les urgences : « On fait aussi sortir les enfants plus vite, trop vite, explique la professeure Desguerre. J’ai des enfants épileptiques qui font 10 crises par jour. Je les fais sortir quand ils n’en font plus que huit, en proposant des téléconsultations. C’est un stress énorme pour les parents, on les maltraite. Et c’est une prise de risque, des montées d’adrénaline pour les soignants, qui épuisent physiquement et moralement. »

Aujourd’hui, on ne parle plus que du nombre de postes de soignants vacants, du nombre de lits fermés. Entre chefs de service, on se prête des infirmières
Isabelle Desguerre, cheffe de service de neuropédiatrie à Necker
Elle raconte les réunions de pôles : « Avant, on passait notre temps à discuter de notre activité, de notre rentabilité. Aujourd’hui, on ne parle plus que du nombre de postes de soignants vacants, du nombre de lits fermés. Entre chefs de service, on se prête des infirmières pour pouvoir rouvrir des lits là où les besoins sont les plus criants. C’est une déshumanisation des soins, alors que nous sommes confrontés à la maladie et à la mort des enfants. À Necker, les dernières infirmières venues d’ailleurs sont restées six heures avant de faire valoir leur droit de retrait. »

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Yves Simon, infirmier en réanimation pédiatrique à l’hôpital du Kremlin-Bicêtre, décrit une équipe paramédicale contrainte de faire « des heures supplémentaires continuellement » : « Bien sûr, il y a un attrait financier. Mais travailler à 110 ou 120 %, pendant des années, cela finit par fatiguer les gens. Alors ils partent, quittent le métier, choisissent le libéral, ou cherchent tout simplement à améliorer leur quotidien en trouvant un poste plus près de leur domicile. Parce qu’avec notre salaire, même augmenté de 183 euros net depuis le Ségur, on doit tous faire une heure de route. » Dans son service, il manque 25 infirmières, le turn-over est de 30 %.

« Il faut commencer par respecter les soignants, cesser de jongler avec leurs plannings, de leur donner des médailles en chocolat pour les remercier, estime la professeure Isabelle Desguerre. Pendant le Covid, on a demandé des choses inadmissibles aux élèves infirmiers. On les a jetés dans des situations terribles, on les a confrontés à la mort sans aucune préparation. Et on s’étonne aujourd’hui qu’ils se posent des questions sur leur métier. »

La réanimation pédiatrique, c’est toute ma vie. Pour la première fois, j’ai eu envie de jeter l’éponge
Une jeune praticienne hospitalière
Une pédiatre dans un service de réanimation d’un grand hôpital parisien raconte encore les quatre lits fermés dans son service, sur 18, « depuis des mois » : « Pour maintenir ces 14 lits, on impose un rythme de travail indécent aux infirmières. Elles sont sollicitées en permanence pour faire des heures supplémentaires. Elles sont épuisées, elles ne tiendront pas très longtemps à ce rythme, notre service menace de s’effondrer ! Ce soir, elles ne sont que six infirmières : on ne devrait avoir que 12 patients, on en a 15. Un autre soir, on a eu un petit patient avec une bronchiolite qui s’épuisait aux urgences, qui risquait un arrêt respiratoire ou cardiaque. On l’a monté dans le service, mais faute de lit, on l’a installé dans un couloir, avec un scope et respirateur de transport. Ses parents étaient sur une chaise à ses côtés. Moi, jeune praticienne hospitalière, j’avais envie de pleurer. Cela me révolte. J’adore mon métier, la réanimation pédiatrique, c’est toute ma vie. Pour la première fois, j’ai eu envie de jeter l’éponge. » Dans sa voix, l’émotion est toujours là.