Assistance Publique des Hopitaux de Paris (AP-HP)

Médiapart - Fichage des manifestants blessés : l’AP-HP reconnaît la violation du secret médical

Avril 2019, par Info santé sécu social

24 AVRIL 2019 PAR MATHILDE GOANEC, JÉRÔME HOURDEAUX ET DAN ISRAEL

Depuis janvier, la direction des hôpitaux d’Île-de-France démentait tout problème dans l’utilisation du dispositif SI-VIC, qui permet de suivre les blessés lors d’événements graves. Mais Le Canard enchaîné révèle que les noms et les blessures de manifestants gilets jaunes avaient été liés sur certaines fiches.

La direction des hôpitaux d’Île-de-France a finalement reconnu, ce mercredi 24 avril, les dérapages occasionnés par l’activation du dispositif de fichage des blessés SI-VIC lors des manifestations des gilets jaunes.

Comme l’avait relaté Mediapart dès le 11 janvier, les autorités ont activé à plusieurs reprises, à Paris et dans certaines régions, le dispositif SI-VIC. Créé en 2015 sur le modèle du système SINUS déjà en place chez les pompiers, le SI-VIC désigne toute une chaîne de suivi des blessés lors d’événements graves, reposant sur un fichage précis de ceux-ci afin d’assurer leur traçabilité.

Cette extension du domaine d’application du SI-VIC aux mouvements sociaux, dans un cadre de répression accrue, pouvait placer les personnels soignants dans une situation délicate, alertions-nous au début de l’année. « Le patient a le droit au secret médical. Sauf qu’il est référencé dans un fichier que le ministre de l’intérieur aurait le droit de consulter ! », regrettait ainsi Christophe Prudhomme, porte-parole (CGT) de l’Association des médecins urgentistes de France.

Après des mois de déni, l’AP-HP a été contrainte de lui donner raison, après les révélations du Canard enchaîné daté du 24 avril. L’hebdomadaire a publié des extraits de fiches SI-VIC comportant le nom, l’adresse et le numéro de téléphone de certains blessés, ainsi que la nature de leurs blessures. De quoi pulvériser les versions précédentes de l’institution, qui assurait ne voir aucun dysfonctionnement dans le dispositif. Martin Hirsch, directeur de l’AP-HP, avait même assuré le 14 avril sur le site de Libération que le répertoire n’avait « rien de nominatif ».

« Il apparaît que les onglets “commentaire” de l’application ont pu être utilisés pour mentionner des éléments de nature médicale. Cette pratique n’a été identifiée que de façon marginale », reconnaît désormais l’AP-HP dans un communiqué. Cette pratique a même été encouragée par le mémo officiel expliquant l’utilisation du fichier, qui indiquait que « l’onglet commentaires permet d’ajouter toutes les informations utiles concernant la pathologie ou le type de blessure, l’intitulé exact du service… ».

« Cette précision, qui avait été mentionnée dans un souci de bonne prise en charge des patients, n’aurait pas dû apparaître, assume l’AP-HP. Au contraire, il aurait dû être rappelé qu’aucune information médicale ne devait être saisie. » En effet, ces fichiers violent le secret médical, puisqu’ils sont partagés bien au-delà des services hospitaliers. « Chaque groupe hospitalier de l’AP-HP ne visualise que ses propres malades ; le siège de l’AP-HP a visibilité de tous les établissements de l’AP-HP, l’ARS Île-de-France sur la région, et le ministère de la santé sur le pays. Aucune autre structure n’y a accès », indique le communiqué.

Le Canard enchaîné souligne aussi que de nombreux hôpitaux n’ont pas informé les personnes prises en charge de leur recensement, contrairement à ce qu’avait imposé une décision de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) en décembre 2017.

Le 19 avril déjà, à la suite d’un premier article du Canard enchaîné confirmant les informations de Mediapart, le conseil national de l’ordre des médecins avait saisi la Cnil et le ministère de la santé. Un manifestant ayant eu la main arrachée près de l’Assemblée nationale, au début du mois de février, a également déposé plainte contre « X » pour « fichage illicite », avait annoncé son avocat, Arié Alimi.