Les retraites

Mediapart : Fonctionnaires : baisse historique du pouvoir d’achat des pensions

Janvier 2020, par infosecusanté

Mediapart : Fonctionnaires : baisse historique du pouvoir d’achat des pensions

23 janvier 2020

Par Laurent Mauduit

Si le gel du point d’indice de la fonction publique, en vigueur depuis 2010, est maintenu jusqu’en 2022, ce qui est l’hypothèse du gouvernement, le pouvoir d’achat des fonctionnaires en sera affecté. Mais c’est surtout celui des pensions publiques qui accusera un recul sans précédent, de près de 16 % sur cette période.

C’est l’une des menaces les plus graves qui pèsent sur les retraites des fonctionnaires pour les prochaines années, mais elle est jusqu’à ce jour passée plutôt inaperçue : les pensions de la fonction publique vont très fortement baisser du fait du gel du point d’indice qui est en vigueur depuis 2010 et qui pourrait se prolonger jusqu’en 2022. Alors que la hausse des prix devrait avoisiner 17 % sur cette période 2010-2022, le gel devrait en effet se répercuter sur le pouvoir d’achat des fonctionnaires mais de manière limitée, compte tenu des mécanismes qui encadrent l’évolution des rémunérations. En revanche, il va contribuer à une perte massive du pouvoir d’achat des pensions au cours des prochaines années.

Selon nos évaluations, ce gel du point d’indice devrait donc conduire à une baisse historique du pouvoir d’achat des pensions publiques.

Pour comprendre les mécanismes qui conduisent à cette purge sans précédent, il faut d’abord avoir à l’esprit que depuis 2010, sous les quinquennats de Nicolas Sarkozy, puis de François Hollande et enfin d’Emmanuel Macron, le point d’indice des traitements de la fonction publique, qui concerne quelque 5,3 millions de fonctionnaires (État, collectivités et hôpitaux), a été constamment gelé. Cette politique violente d’austérité salariale n’a connu qu’une petite entorse, pour des raisons électoralistes. À quelques encablures de l’élection présidentielle, à une époque où il espérait encore y concourir, François Hollande avait fait un geste, comme un clin d’œil de dernière minute à des agents publics qu’il avait jusque-là si mal traités : en mars 2016, une hausse très modeste de 1,2 % du point d’indice avait été annoncée, absolument pas de nature à compenser les pertes de pouvoir d’achat subies par les fonctionnaires les six années précédentes. À l’époque, les syndicats n’avaient donc pas été dupes et s’étaient indignés de cette aumône. Concrètement, le point d’indice des rémunérations publiques avait donc été majoré de 0,6 % en mars 2016, puis de nouveau de 0,6 % en février 2017.

À cette minime entorse près à l’austérité, le gel a été continument la norme depuis 2010. Et il a de très fortes chances de le rester jusqu’en 2022. Le magazine Challenges vient en effet de repérer 3 que le gouvernement table sur le maintien du gel du point d’indice jusqu’à cette échéance. On en trouve la confirmation, que nul n’avait jusqu’à ce jour relevée, dans le dernier rapport du Conseil d’orientation des retraites (COR) 3, qui date du mois de novembre dernier. Présentant leurs simulations pour les prochaines années, les experts précisent (pages 23 et 24) que « les hypothèses retenues dans le rapport en matière d’emploi et de rémunérations des fonctionnaires ont été établies par le gouvernement ». Et ils ajoutent un peu plus loin : « Il n’est pas fait […] d’hypothèse de hausse de la valeur du point d’indice. »

CQFD ! Le gel des pensions publiques devrait donc être continu de 2010 à 2022, à la toute petite exception des mini-hausses 2016-2017. En clair, le gouvernement poursuit une politique sans précédent qui conduit à une paupérisation de la fonction publique. Interrogé par le magazine Challenges, le secrétaire d’État à la fonction publique, Olivier Dussopt, a cherché à noyer le poisson. « C’est une hypothèse, pas une décision », a-t-il déclaré au sujet du maintien du gel jusqu’en 2022. Mais personne n’est dupe. Olivier Dussopt a d’ailleurs été moins évasif le 17 janvier sur BFMTV : « Le gouvernement a toujours considéré que l’augmentation du point d’indice était une mesure générale souvent très coûteuse pour un bénéfice individuel assez faible pour les agents. » Laissons de côté le cynisme et retenons l’essentiel : le gel va donc très probablement se poursuivre.

On peut avoir une appréciation assez précise de la baisse de pouvoir d’achat massive dont va pâtir le point d’indice des fonctionnaires sur cette longue période. Car l’inflation ressort à 12,2 % de début 2010 à fin 2019. Si l’on retient l’hypothèse d’une inflation de 1,4 % pour 2020, puis 2021 et 2022 (soit le maintien au rythme actuel), l’inflation pourrait frôler 17 % sur la période 2010-2022.

Autrement dit, compte tenu du gel et de la mesurette de 2016-2017, le pouvoir d’achat indiciaire des fonctionnaires pourrait, au doigt mouillé, enregistrer une baisse colossale de près de 16 % sur la période 2010-2022.

Pourtant, les mécanismes qui encadrent les rémunérations publiques amortissent ce type de fluctuations, de sorte que le pouvoir d’achat des fonctionnaires ne plonge pas en proportion. Il y a d’abord tous les gains en pouvoir d’achat induits par les évolutions de carrière et les primes diverses. Et puis, il existe depuis quelques années l’indemnité de garantie individuelle du pouvoir d’achat 3, qui, comme son nom l’indique, protège tous les fonctionnaires civils, à la condition d’avoir été rémunérés sur un emploi public pendant au moins trois ans.

Mais ces mécanismes de compensation ne jouent pas dans le cas des pensions publiques. Car la pension de retraite du fonctionnaire est actuellement calculée 3 sur la base du dernier traitement indiciaire obtenu pendant au moins six mois. Elle est équivalente à 75 % de ce dernier traitement indiciaire brut, les primes diverses n’étant pas prises en compte. L’effet domino est donc implacable : le gel du point d’indice de la fonction publique affecte un peu le pouvoir d’achat des fonctionnaires en activité mais conduit mécaniquement à une baisse drastique des pensions publiques.

Du fait de la sous-indexation massive du point fonction publique entre 2010 et 2022, le pouvoir d’achat de la retraite d’un agent qui perçoit un montant de 75 % calculé sur la base d’un indice terminal donné en 2022 sera donc inférieur d’environ 16 % – ce qui est considérable – à celui de son équivalent disposant du même indice terminal parti à la retraite douze ans plus tôt, en 2010. Le pouvoir d’achat de la retraite de ce dernier a été, en effet, depuis préservé car, une fois retraités, les fonctionnaires, comme tous les retraités du secteur privé, bénéficient d’une indexation de leur pension sur la hausse annuelle des prix, à l’exception, il est vrai, de ceux qui perçoivent une retraite mensuelle supérieure à 2 000 euros dont la revalorisation a été limitée à 0,3 % en 2019 et 2020.

La sous-indexation du point fonction publique qui a été ainsi mise en œuvre de manière systématique depuis 2010 a eu, au total, pour effet insidieux, car cumulé année après année et non assumé publiquement, de réduire drastiquement les pensions servies aux fonctionnaires qui partent en retraite, singulièrement ces dernières années.

On notera que si le maintien du gel se confirmait jusqu’en 2022, le quinquennat d’Emmanuel Macron sera le premier depuis la création de la Ve République au cours duquel aucune augmentation du point fonction publique ne sera intervenue.

À plus long terme, les règles, bien sûr, évolueront, si la réforme des retraites voulue par Emmanuel Macron est mise en œuvre, sans que l’on sache précisément les modalités pratiques qui encadreront la retraite à points des fonctionnaires, prenant en compte non plus le traitement indiciaire des six derniers mois, mais la totalité de la carrière (lire à ce sujet les très nombreux billets de blogs publiés sur Mediapart, ici, là ou encore là). Mais on connaît le calendrier de la réforme : les fonctionnaires nés avant 1975 ne seront pas concernés, et la réforme n’entrera en vigueur qu’en 2025. Les premières retraites publiques qui seront concernées seront donc celles qui seront liquidées en 2037.

Dans l’immédiat, et pour les prochaines années, les fonctionnaires ont ainsi de bonnes raisons d’être très inquiets. Et naturellement plus encore, pour la période allant au-delà de 2037, car si le gouvernement a précisé que les droits acquis seront préservés, on peut craindre que la proposition puisse aussi s’inverser : les droits… détruits le seront tout autant.

C’est l’une des questions - mais ce n’est pas la seule - qui contribue à l’exaspération dans toute la fonction publique. Le secrétaire d’Etat Olivier Dussopt a fait, de nouveau l’expérience, mercredi, à l’occasion de la tenue du Conseil commun de la fonction publique, qui s’est tenu dans un brouhaha indescriptible, avant que la CGT, FO, la FSU et Solidaires ne quittent la séance, comme en témoigne la vidéo ci-dessous, publiée par ce dernier syndicat :

A l’issue de la réunion avortée, les mêmes syndicats ont publié un communiqué 3 faisant valoir que le secrétaire d’Etat ne parviendrait pas à les faire taire. Avec une semblable politique salariale et une telle régression des pensions, on comprend bien pourquoi.