Environnement et facteurs dégradant la santé

Médiapart - Gaz de Lacq : enfin des enquêtes sur la santé des habitants

Août 2016, par Info santé sécu social

Quatorze ans après la découverte d’une surmortalité parmi les riverains de l’ancien plus gros site de forage de gaz en France, l’État se décide à enquêter sur l’état de santé

Des habitants du bassin de Lacq (Pyrénées-Atlantiques), l’ancien plus gros site de production de gaz en France, sont-ils morts de la pollution de l’air causée par les forages ? Jusqu’à présent, il était impossible de le savoir malgré les informations inquiétantes révélées par des chercheurs : entre 1968 et 1998, ils établissent une surmortalité de 14 % pour les personnes de moins de 65 ans vivant dans la zone directement à proximité de l’usine de Lacq, par rapport aux habitants de la zone témoin la plus éloignée. Pour l’ensemble des cancers, une surmortalité de 30 à 40 % est repérée entre 1991 et 1998 dans la zone exposée, alors qu’elle connaissait une sous-mortalité avant 1976.

Dans leur rapport remis en 2002, les scientifiques n’apportent aucune preuve d’un lien de causalité directe entre la présence de l’usine et les morts supplémentaires du bassin de Lacq. En revanche, leurs résultats « soulèvent la question d’une possible relation » entre l’activité industrielle du bassin de Lacq et l’évolution de la mortalité, ainsi que d’un « possible impact sanitaire des polluants émis par cette industrie ». Ils appellent à conduire des travaux supplémentaires.

Pendant quatorze ans, ces études n’ont toutefois pas été menées. L’Agence régionale de santé (ARS) a bien procédé à une évaluation des risques sanitaires – elle a montré en 2007 que les habitants, y compris dans les écoles, les crèches, les hôpitaux et les maisons de retraite, étaient exposés à plus de 140 substances différentes dans l’air. Mais ces études « ne prennent en compte que les polluants atmosphériques et non le risque global », elles « ne tiennent pas compte de l’éventuelle exposition professionnelle et ne sont pas en mesure d’estimer d’éventuels effets-cocktails », c’est-à-dire l’effet cumulé des molécules, analyse la Cour des comptes dans un référé adressé au gouvernement en janvier 2015. Une actualisation des données sur l’évaluation des risques doit être présentée lors d’un prochain comité de suivi.

Jusqu’à présent, l’ARS refusait de reconnaître l’existence d’une surmortalité locale. En 2009, elle s’oppose au lancement d’une nouvelle étude épidémiologique pour ne pas « briser la paix sociale ». En avril 2016, le responsable du pôle de santé publique et environnementale de l’ARS, Michel Noussitou, lors d’un entretien avec Mediapart, refuse d’employer le terme « surmortalité », car il est « connoté » : « Vous voulez faire le buzz avec un mot qui a un sens très particulier en épidémiologie », affirme-t-il alors.

L’agence vient de changer de position. Elle a annoncé dans un communiqué daté du 1er juillet la mise en place de nouvelles études « pour éclairer la situation du bassin industriel de Lacq ». Doivent être lancées une analyse qualitative du contexte local ainsi que deux études épidémiologiques pour « préciser les données de santé des populations vivant à proximité ». Leurs résultats sont annoncés d’ici fin 2017. Par ailleurs, une commission de suivi du site de Lacq doit être créée. Le mot « surmortalité » ne figure pas dans le communiqué.

La commission de suivi doit remplacer les instances en place jusque-là, dont les associations de riverains dénoncent l’inutilité. Le lancement de ces nouvelles études met en œuvre une recommandation de Santé publique France (le nouveau nom de l’Institut national de veille sanitaire). Les médecins épidémiologistes missionnés doivent actualiser les données de l’enquête de 2002 en la poursuivant jusqu’à janvier 2014, explique le quotidien Sud Ouest. La seconde enquête analysera les données statistiques des médecins locaux (activité des hôpitaux, ventes de médicaments, registre des cancers).

Sur la défensive, l’ARS réfute avoir changé d’avis : « La puissance publique et l’ARS n’ont pas changé d’avis sur ce dossier » et rappelle l’enquête lancée entre 2003 et 2007 sur les risques sanitaires de zone (celle dont la Cour des comptes explique qu’elle ne répond pas aux questions posées sur les liens entre l’usine et la santé des riverains) : « Cette étude, innovante à l’époque, a permis de prendre en compte l’ensemble des émissions de la zone, y compris celles des nouvelles activités sur le bassin », écrit-elle dans sa réponse à Mediapart. Pourquoi initier ces nouvelles études aujourd’hui ? « L’ARS a pris en compte les interrogations relayées par les élus, les associations et la Cour des comptes et a saisi le ministère de la santé sur l’opportunité de la mise en place d’une surveillance épidémiologique autour du bassin de Lacq », répond-elle. C’est parce que la direction générale de la santé en a fait la demande que l’ARS commande aujourd’hui ces nouvelles études.

Pour Cathy Soublès, de la la Société pour l’étude, la protection et l’aménagement de la nature dans le Sud-Ouest (Sepanso), l’association qui a déclassifié l’étude épidémiologique de 2002 pour alerter l’opinion publique, l’annonce de la conduite de nouvelles études « est une avancée. Mais des points importants sont toujours manquants : aucune prise en compte n’est prévue pour les personnes qui travaillent sur le site, ni pour les intérimaires ». Les élus locaux se montrent sceptiques. « Ce n’est qu’une étude parapluie dilligentée par des pouvoirs publics qui ne veulent aucun reproche », a déclaré le député socialiste David Habib, pour qui « aucun élément objectif ne laisse à penser qu’on est plus malade ou plus susceptible de mourir dans le bassin de Lacq qu’ailleurs ». Selon Jacques Cassiau-Haurie, président de la communauté de communes de Lacq-Orthez : « Il est urgent de prouver qu’on peut continuer à faire vivre notre territoire. »

La surmortalité que les services de l’État se décident enfin à étudier pourrait être liée à l’activité de l’ancien site de forage de gaz. Mais le bassin de Lacq est aujourd’hui touché par d’autres problèmes de santé. Depuis quelques années, des riverains dénoncent de nouvelles nuisances : odeurs parfois insoutenables, irritations, problèmes respiratoires. Les forages de gaz à usage commercial ont cessé en 2013, du fait de l’épuisement du gisement. Mais son exploitation industrielle se poursuit. Le site de Lacq s’est reconverti en pôle pétro-chimique. Vingt sites classés Seveso potentiellement dangereux pour l’environnement se côtoient sur le bassin. « Il va falloir trouver une solution. On ne peut pas laisser tomber les riverains », plaide Gilles Cassou, président de l’association des riverains des sites industriels du bassin de Lacq (Arsil). Or pour l’instant aucune nouvelle étude n’est prévue à ce sujet. L’ARS rappelle qu’en 2015 une enquête exploratoire a permis « d’objectiver la présence de symptômes signalés par 20 foyers (symptômes irritatifs affectant les sphères ORL, cutanées, ophtalmologiques et respiratoires) n’ayant néanmoins impliqué aucune hospitalisation ».

Mais Gilles Cassou s’impatiente : « Il y a encore et toujours des émanations. On en prend toujours plein les poumons et plein le nez. Les problèmes physiques directs ressentis sont toujours les mêmes : irritations des yeux, des voies respiratoires, avec nez bouché, toux et bronchospasmes. » Il décrit des riverains « fatigués » qui en ont assez d’appeler le numéro d’alerte mis à la disposition des personnes incommodées. L’odeur de mercaptan, ce produit ajouté au gaz pour des raisons de sécurité, « est extrêmement forte, à un niveau qu’on n’avait plus connu depuis trente ans. On se réveille le matin en ayant envie de vomir ». Il est actuellement en arrêt de travail, et a dû quitter son lieu de travail et son domicile à cause des gênes subies. Le soir du 28 août, il signale « des émanations si fortes qu’en quelques minutes de nombreuses personnes du village de Lacq ont appelé le site Induslacq ». Mais d’autres riverains disent ne ressentir aucune gêne physique. Si bien qu’entre les uns et les autres, le ton monte.

Dans un courrier du 29 juillet adressé à l’Arsil, le préfet des Pyrénées-Atlantiques reconnaît que « les irritations persistent et restent à caractériser en ce qui concerne la ou les sources ». Il annonce qu’un nouveau programme d’analyse va être mis en œuvre, et rappelle que le respect des prescriptions réglementaires en matière de rejets atmosphériques a été vérifié pour tous les industriels de la plate-forme de Lacq. En tout, neuf inspections ont été conduites, de jour et de nuit. Mais l’État ne sait toujours pas expliquer d’où vient le problème.