Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Médiapart - Gélule contre le Covid-19 : attention aux effets d’annonce indésirables

Octobre 2021, par Info santé sécu social

SANTÉ ENQUÊTE
30 OCTOBRE 2021 PAR ROZENN LE SAINT

La firme américaine MSD vante une simple gélule efficace contre le Covid-19 qu’elle rend accessible aux pays les plus pauvres, le Molnupiravir. La France s’empresse d’en précommander. Mais derrière le coup de communication se cachent des craintes d’effets indésirables graves, un prix exorbitant et une fausse générosité.

Dans un contexte de rebond épidémique en Europe, l’arrivée prochaine d’une simple gélule à avaler en cas de test positif au Sars-CoV-2 pour réduire le risque de développer une forme grave de la maladie suscite forcément des espoirs. De quoi faire rêver Olivier Véran, ministre de la santé, d’autant plus qu’un remède révolutionnaire est attendu depuis des mois.

« Imaginez que nous ayons eu [au début de la crise sanitaire – ndlr] un traitement antiviral qui réduisait de 50 % le nombre de cas graves, imaginez l’impact sanitaire dans notre pays au cœur de la première et de la deuxième vague. On aurait eu beaucoup moins de décès et beaucoup moins de cas graves », s’est-il enflammé, le 26 octobre, devant les sénateurs, en annonçant une première commande française de Molnupiravir.

PAR ROZENN LE SAINT

Ce chiffre, il le tient d’un simple communiqué de presse du laboratoire producteur américain Merck Sharp & Dohme (MSD). La firme n’a pas encore publié les résultats détaillés de ses essais cliniques de phase 3 dans une revue scientifique. Il s’agit de la dernière étape d’expériences avant la commercialisation : elle a porté sur moins de 800 volontaires. Dans son avis du 5 octobre, le Conseil scientifique soulignait aussi de premiers résultats « assez prometteurs » en se fondant uniquement sur l’annonce de MSD.

Le géant pharmaceutique joue gros. Face à cette pandémie, il mise tout sur sa gélule, présentée comme miraculeuse, après avoir dû abandonner la course aux vaccins contre le Covid-19. En parallèle, MSD s’était lancé dans une autre compétition catégorie Big Pharma, les traitements. Le 1er octobre, le laboratoire a donc annoncé les résultats préliminaires d’efficacité de ce « médicament antiviral oral qui peut être pris à la maison peu de temps après le diagnostic de Covid-19 ».

L’efficacité à 50 % revendiquée par MSD signifie qu’une personne présentant des risques de comorbidités comme l’obésité, le diabète ou l’hypertension détectée positive au Sars-CoV2 a deux fois moins de risques de se retrouver à l’hôpital ou de mourir du Covid-19 en prenant du Molnupiravir moins de cinq jours après le début des symptômes, que sans la gélule.

« C’est un antiviral qui rend le virus défectueux, auquel il manque des pièces fonctionnelles, ce qui l’empêche de se répliquer. Cela limite la charge virale et donc la contagiosité, mais surtout le risque de développer une forme grave de Covid-19 », décrypte Bruno Canard, virologue et directeur de recherche au CNRS (Aix-Marseille).

Pour des questions éthiques, face à ces résultats apparemment positifs, l’agence du médicament américaine, la FDA, a décidé d’arrêter plus tôt que prévu les essais cliniques menés par MSD. Et ce pour éviter une perte de chances au groupe témoin de l’expérimentation : il est prévu que les volontaires de ce groupe comparatif reçoivent sans le savoir un placébo à la place du Molnupiravir, alors que la gélule pourrait leur éviter de mourir ou de développer des complications à la suite de l’infection.

En tant que médicament mutagène, le Molnupiravir pourrait créer des risques à long terme qui ne sont pas évalués aujourd’hui par manque de recul, comme le fait de modifier l’ADN, ce qui pourrait provoquer un cancer
Bruno Canard, virologue et directeur de recherche CNRS

Le pendant, c’est que l’on ne dispose pas d’étude à long terme sur la survenue d’effets indésirables graves, comme le souligne le virologue Bruno Canard. Il estime de ce fait que « le Molnupiravir est fait pour les patients en danger de mort ». « Il ne doit pas être administré à des personnes sans risque de développer une forme grave de Covid-19 du fait de potentiels problèmes associés, poursuit-il. Il ne faudrait pas que les gens l’aient dans leur armoire à pharmacie et en prennent n’importe comment par peur. Des garde-fous sont nécessaires. »

Quels pourraient être les dangers associés à ce traitement ? « En tant que médicament mutagène, le Molnupiravir pourrait créer des risques à long terme qui ne sont pas évalués aujourd’hui par manque de recul, comme le fait de modifier l’ADN, ce qui pourrait provoquer un cancer. Il pourrait aussi provoquer des fausses couches ou des malformation du fœtus, c’est pourquoi il ne doit pas être indiqué pour les femmes enceintes », énumère Bruno Canard.

D’ailleurs, pour éviter tout risque de grossesse sous ce traitement, les volontaires devaient accepter de s’abstenir sexuellement ou d’utiliser des contraceptifs pendant l’essai clinique, comme le mentionne le protocole.

Enfin, « le Molnupiravir pourrait lui-même créer de nouveaux variants du Sars-CoV-2 », met en garde le virologue. Il connaissait la molécule avant la pandémie, que MSD a recyclée, ainsi que ses effets indésirables possibles soulignés dans cette étude scientifique publiée le 2 août 2021.

« Le Molnupiravir est une molécule ancienne essayée dans l’espoir de traiter l’hépatite C, par exemple. Mais l’idée a été abandonnée du fait de sa toxicité, d’autant que pour cette maladie, le médicament doit être pris au long court, explique l’expert. Néanmoins, c’est différent pour le Covid-19 puisque le traitement dure seulement quelques jours. »

Vendu 700 dollars par patient pour un coût de fabrication de 18 dollars
Pour autant, MSD a réussi à focaliser l’attention sur un seul plateau de la balance bénéfices-risques de son traitement : l’espoir qu’il suscite. Résultat, les États ont foncé tête baissée.

Les États-Unis ont été les premiers à se positionner dans cette course à l’échalote en commandant dès le mois de juin 2021 1,7 million de doses à un coût de 700 dollars les comprimés nécessaires pour soigner un patient, soit environ 600 euros. Un tarif d’autant plus exagéré au regard de la générosité du gouvernement américain, qui a accompagné la phase de recherche et développement de cette molécule.

La sphère d’influence de MSD s’étend jusque dans l’Hexagone. C’est la quatrième firme pharmaceutique à déclarer le plus de liens d’intérêts en France après Sanofi, Celgene et Bristol-Myers Squibb, avec près de 350 millions d’euros dépensés pour les acteurs de la santé depuis 2012, selon EurosForDocs. L’outil reprend les données de la base de données publiques Transparence-Santé.

Olivier Véran s’est vanté dès le 26 octobre d’avoir précommandé de quoi soigner 50 000 Français avant même de connaître les résultats détaillés de l’essai clinique mené par MSD, donc.

Cette première précommande sera actée à condition que les autorités sanitaires françaises valident son intérêt thérapeutique. Les lots de gélules arriveraient alors « à compter des derniers jours de novembre ou des premiers jours de décembre, c’est-à-dire dès que les traitements sortiront des chaînes de production », a mis en avant Olivier Véran.

Nationalisme sanitaire
Le ministère de la santé refuse de communiquer à Mediapart le prix d’achat, mais le tarif américain donne un ordre d’idée de la grille tarifaire. Pourtant, il s’agit d’une molécule facile à fabriquer. Le coût de production est estimé à moins de 18 dollars pour chaque patient.

Plutôt que de s’allier en priorité aux autres États européens dans la perspective d’une possible commande groupée qui permettrait aux pouvoirs publics de peser davantage dans les négociations face au laboratoire, l’exécutif français choisit d’abord de faire cavalier seul.

Le nationalisme sanitaire reprend de la vigueur, au point que le ministère ne prévoit pas d’attendre le feu vert de l’Agence européenne des médicaments (AEM) pour distribuer le Molnupiravir en France. L’AEM a pourtant annoncé le 25 octobre le lancement de l’examen accéléré du dossier présenté par MSD.

« Presser les agences sanitaires et faire comme si leur accord était un détail est un mauvais signal envoyé dans un contexte de défiance. Le gouvernement français cède encore une fois à l’approche marketing de l’industrie pharmaceutique et lui laisse dicter les stratégies de santé », tacle Pauline Londeix, cofondatrice de l’Observatoire de la transparence dans les politiques du médicament.

Manne pour les labos
L’exécutif doit quand même obtenir l’aval de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) et de la Haute Autorité de santé pour pouvoir actionner un dispositif d’exception poussé par le lobbying pharmaceutique depuis des années, l’accès précoce. Cette procédure express a pour but d’accélérer l’accès à de nouveaux traitements dans les hôpitaux quand il n’existe pas d’alternative thérapeutique, en dehors du processus classique.

« Dans ce cadre, les médicaments sont vendus à prix libre plusieurs mois, voire plusieurs années avant leur autorisation de mise sur le marché, sur la base d’une balance bénéfices-risques présumée favorable. Une manne pour les firmes », écrit d’ailleurs la revue médicale indépendante Prescrire dans son numéro de novembre.

C’est aussi via cette procédure exceptionnelle que les patients français hospitalisés pour Covid-19 peuvent recevoir une perfusion de coûteux anticorps monoclonaux, en attendant un éventuel feu vert de l’Agence européenne du médicament à venir. Pour l’heure, celle-ci a seulement approuvé le Remdesivir du laboratoire Gilead comme traitement contre le coronavirus sur le Vieux Continent, malgré ses résultats très décevants.

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Le ministère de la santé entend élargir ce dispositif d’accès précoce pour que le Molnupiravir soit distribué non pas seulement à l’hôpital, mais « par nos professionnels de santé de ville », donc en pharmacie sur ordonnance d’un médecin, en fonction des indications que donneraient les instances sanitaires nationales. Et ce, « au regard du mode d’administration (voie orale) mais surtout de la nécessité d’une administration précoce (quelques jours après le début des symptômes) », précise le ministère.

D’où l’importance de tester massivement et tôt. Or, la semaine du 18 octobre, la première après la fin de la gratuité des tests de dépistage pour les personnes non vaccinées décidée par l’exécutif, le nombre de tests de détection du Sars-CoV-2 réalisés a diminué de près de 23 %, selon les données de la Drees (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques).

J’espère que d’autres suivront, notamment les fabricants de vaccins Covid-19. Cela facilite la montée en puissance de la capacité de production dans 105 pays en même temps, où vit la moitié de la population mondiale la plus pauvre
Ellen ’t Hoen, directrice du site Medicines Law & Policy
En plus d’être révolutionnaire, le traitement serait solidaire : c’est l’autre coup de communication du laboratoire MSD. Le 27 octobre, il a annoncé avoir signé un accord avec le Medicines Patent Pool, une organisation internationale soutenue par les Nations unies. Celle-ci vise à rendre les traitements accessibles aux pays les plus pauvres.

L’accord permet à des entreprises de 105 pays, principalement en Afrique et en Asie, d’avoir accès aux secrets de fabrication du Molnupiravir afin d’en confectionner des reproductions à bas coût, des génériques.

Pendant cette crise sanitaire, des firmes pharmaceutiques ont déjà signé des accords de licence volontaire. Elles donnent alors à un producteur tiers le droit de fabriquer le produit sur un territoire donné. AstraZeneca en a conclu un avec le Serum Institute of India par exemple, afin de lui sous-traiter la fabrication de son vaccin Covid-19.

« Là, il s’agit du premier accord de licence volontaire non bilatéral, avec une organisation donc, signé dans le contexte de la pandémie. J’espère que d’autres suivront, notamment les fabricants de vaccins Covid-19. Cela facilite la montée en puissance de la capacité de production dans 105 pays en même temps, où vit la moitié de la population mondiale la plus pauvre », commente Ellen ’t Hoen, directrice du site Medicines Law & Policy et une des fondatrices de Medicines Patent Pool en 2010.

Pour que ce médicament ait un intérêt, il faut un dépistage précoce, or les tests sont coûteux. Si les pays concernés ne peuvent même pas s’acheter de vaccins, ils ne sont pas non plus en capacité de se procurer massivement des tests
Pauline Londeix, cofondatrice de l’Observatoire de la transparence des politiques du médicament

Autre effet d’annonce : MSD s’est engagé à ne pas percevoir de royalties dans les pays concernés par l’accord… Ce qui ne l’empêche pas de faire payer le prix fort aux autres. « MSD entend faire des bénéfices où il le peut en jouant sur sa situation de monopole pour un premier traitement administré par voie orale qui s’annonce prometteur contre le Covid-19 », commente Ellen ’t Hoen, experte de la propriété intellectuelle.

« Pour le laboratoire, c’est une façon de contrôler lui-même le marché. Les pays qui en ont le plus besoin et qui ont les capacités de production sont exclus de l’accord avec le Medicines Patent Pool car ils représentent un véritable marché et MSD veut y imposer ses tarifs », analyse quant à elle Pauline Londeix.

PAR ROZENN LE SAINT
L’ONG Médecins sans frontières regrette aussi que le Brésil et la Chine, par exemple, ne fassent pas partie de l’accord. En revanche, l’Inde en est. « L’industrie pharmaceutique dépend de l’Inde pour s’approvisionner en principes actifs du Molnupiravir, essentiels pour le fabriquer », signale la cofondatrice de l’Observatoire de la transparence des politiques du médicament.

Autre limite de l’initiative aux yeux de Pauline Londeix, « pour que ce médicament ait un intérêt, il faut un dépistage précoce, or les tests sont coûteux. Si les pays concernés ne peuvent même pas s’acheter de vaccins, ils ne sont pas non plus en capacité de se procurer massivement des tests ». « Il n’y a pas de marché pour MSD dans les pays pauvres. Signer cet accord ne l’engage pas beaucoup. »

La seule solution complète pour sortir de cette pandémie, par définition mondiale, selon les défenseurs de l’accès équitable aux médicaments ? La levée totale des brevets pour décupler les capacités de production et tirer les prix à la baisse de l’ensemble des produits de santé liés au Covid-19 : les tests, les traitements et, en tout premier lieu, les vaccins. Ce que refuse en bloc l’industrie pharmaceutique.