Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Mediapart : Guadeloupe : face aux soignants « suspendus », Mélenchon sur une ligne de crête

Décembre 2021, par infosecusanté

Mediapart : Guadeloupe : face aux soignants « suspendus », Mélenchon sur une ligne de crête

En Guadeloupe, où les suspensions de salariés non vaccinés se multiplient, le candidat insoumis à la présidentielle s’est positionné contre le passe sanitaire, tout en restant très prudent sur la question vaccinale. La troisième dose sera obligatoire pour les soignants et les pompiers à partir du 30 janvier.

Pauline Graulle

18 décembre 2021 à 13h14

Pointe-à-Pitre (Guadeloupe).– Ce matin, comme chaque matin, elle ne bougera pas d’un iota. Un mois et demi que cette infirmière en neurologie campe sur sa chaise pliante, barrant l’entrée du CHU de Pointe-à-Pitre. Elle n’a plus le droit d’accéder à son lieu de travail : suspendue, sans salaire, pour avoir refusé de faire « la piqûre », explique celle qui refuse de dire le mot « vaccin » puisqu’elle ne « sai[t] pas ce qu’il y a dedans » et que de toute façon, les gens continuent à se contaminer.

Dans la chaleur moite de ce 15 décembre, Jean-Luc Mélenchon arrive, entouré de son staff et de quelques élus insoumis. Il se poste devant le petit aréopage des soignantes qui tiennent le piquet de grève, certaines arborant des T-shirts siglés « UGTG » (Union générale des travailleurs de Guadeloupe), du nom du puissant syndicat indépendantiste dirigé jusqu’à récemment par Élie Domota, le leader de la lutte contre la « Pwofitasyon » en 2009.

La discussion se tend avec l’une des femmes « en colère ». « Il y a des raisons d’être en colère », commence Mélenchon, empathique. La réponse fuse, au lance-flamme : « Monsieur Mélenchon, j’espère que vous ne venez pas pour faire le joli ! »

Agrandir l’image
Jean-Luc Mélenchon, lors d’une réunion avec des soignants en colère, au CHU de Pointe-à-Pitre, le 15 décembre. © Christophe ARCHAMBAULT / AFP
Dans cette poudrière politique qu’est devenue la Guadeloupe, faire une campagne présidentielle n’a rien d’une sinécure. Même pour Jean-Luc Mélenchon, qui y a rassemblé 24 % des suffrages en 2017 – soit 5 points de plus que la moyenne nationale. « La Guadeloupe est le seul territoire d’outre-mer où La France insoumise n’est pas arrivée devant Emmanuel Macron », rappelle Manuel Bompard, son directeur de campagne.

Une terre de mission ou presque, donc, où les habitants sont nombreux à ne plus croire plus dans cette classe politique nationale ou locale – « méprisante » pour la première, « incompétente », voire « corrompue » pour la seconde. Et où il faut aller chercher les suffrages avec les dents, le taux d’abstention ayant dépassé les 80 % dans certains endroits aux dernières élections départementales et régionales.

Sa première rencontre avec les habitants de l’île – il n’était pas revenu depuis sa campagne de 2017 –, le leader des Insoumis, qui arrive tout droit de Paris, l’appréhendait un peu. D’autant que le sujet du jour est délicat. Alors qu’un peu plus de 30 % seulement des Guadeloupéens ont accepté de se faire vacciner, et en dépit du fait que 8 soignants sur 10 sont vaccinés, l’instauration de l’obligation vaccinale pour les soignants a mis le feu aux poudres. Celle-ci sera renforcée à compter du 30 janvier prochain : la troisième dose sera indispensable pour les soignants et les pompiers, a annoncé samedi 18 décembre le ministre de la santé Olivier Véran.

En Guadeloupe, pas moins de 900 personnels de santé ont été « suspendus », dont près de la moitié travaille dans le seul hôpital de l’île.

La situation est intenable pour des familles entières, coupées de leurs ressources financières dans un territoire où le chômage longue durée et la pauvreté endémique ne font qu’accroître la vulnérabilité de la population face à la « vie chère » – l’alimentation y est 30 % plus chère qu’en métropole. Intenable aussi pour l’hôpital, déjà exsangue (une partie du bâtiment avait été détruite lors d’un incendie en 2017) : la 6e vague du variant Omicron approche et le CHU est, plus encore qu’en temps normal, menacé de grave incurie...

Sandro Sormain, secrétaire adjoint de l’UGTG, dépeint le directeur de l’hôpital (3 000 salariés) en fonctionnaire zélé : « Il a commencé par virer les salariés des services techniques à la DRH, à la blanchisserie, puis les cantiniers, puis les brancardiers, puis les soignants, y compris les sages-femmes… » Certains auraient déjà été rappelés en catimini, histoire d’assurer le service minimum, affirme-t-il.

Un peu plus loin, Marie-Josée Unimon, technicienne dans un centre de dialyse, vient de recevoir, elle aussi, une mise en demeure. Elle devra prendre contact avec une plateforme dont le rôle est de tenter de convaincre les récalcitrants au vaccin. Le cas échéant, les conseillers au téléphone sont censés proposer une formation pour trouver un autre travail. « Mais à mon âge, en Guadeloupe, où il n’y a pas de travail, qu’est-ce que je peux faire d’autre ? Le vaccin est un outil pour soigner les gens, pas pour empêcher les gens d’être libres ! »
L’« à-plat-ventrisme » : voilà comment elle appelle l’attitude de ces Guadeloupéens qui se couchent devant les oukases de la métropole.

Devant la colère des « victimes » de l’obligation vaccinale, le candidat insoumis à la présidentielle en visite au CHU marche sur des œufs. Il a certes pour lui de s’être toujours opposé au passe sanitaire, et désormais au passe vaccinal, qu’il abrogera dès son arrivée à l’Élysée, promet-il. Il est aussi le seul candidat, à gauche, à n’avoir pas formellement appelé à la vaccination, avançant que les gens doivent faire leur choix en conscience.

Mais il le sait : dans cette atmosphère explosive, la moindre faute de carre lui sera fatale.

Prudent, le visiteur en campagne a pris quelques précautions liminaires. Passant sous la banderole où l’on peut lire en créole « Ni yonn, ni dé, ni twa doz » (« Ni une, ni deux, ni trois doses »), il tient à s’assurer auprès de Gaby Clavier, secrétaire de la section santé de l’UGTG, que le petit village militant où il pénètre n’est pas un repaire d’antivaccins.

En réalité, les choses sont un peu plus compliquées : sous les petites tentes installées, depuis mi-novembre, dans la cour de l’hôpital où l’on vend des boissons à prix libre pour abonder la caisse de solidarité avec les « suspendus », les antivaccins purs et durs se mélangent aux soignants vaccinés mais anti-obligation vaccinale. Avec, en définitive, un méli-mélo d’arguments qui vont de la crainte de se voir inoculer un poison à l’objection que le vaccin ne fonctionne pas si bien que cela puisque le virus continue de circuler…

Reste qu’autour des chapiteaux où remuent quelques drapeaux indépendantistes, tout le monde éprouve un ressentiment profond contre un État aux abonnés absents quand il s’agit de régler les problèmes d’accès à l’eau potable – les coupures ont lieu parfois pendant plusieurs jours, et il faut se débrouiller avec de l’eau stockée dans les bidons –, mais qui fait preuve d’« autoritarisme » sur le vaccin, jusqu’à priver les citoyens de leur emploi.

Un hiatus si insupportable que la situation n’a fait que s’envenimer au fil des mois. Et les 514 décès dus au Covid-19 qui ont été recensés à l’hôpital de Pointe-à-Pitre (sur une population de moins de 40 000 habitants) l’été dernier n’ont pas eu pour effet de convaincre les Guadeloupéens de se faire vacciner.

Au contraire, le deuil, immense, n’a fait que s’arc-bouter la population et ravivé dans l’inconscient collectif le traumatisme de l’affaire du chlordécone, ce pesticide cancérigène que les autorités locales ont tardé à interdire alors qu’elles connaissaient son caractère nocif. Au point que beaucoup s’interrogent : quel peut être l’effet du mélange entre la molécule toxique, qui coule toujours dans les veines de 90 % des insulaires, et le vaccin ? Une double peine, en quelque sorte.

Méfiance vis-à-vis d’un vaccin nouveau, ressentiment politique sur fond d’histoire coloniale, impression d’être « abandonnés » par les gouvernements successifs en métropole, au premier chef par Sébastien Lecornu, ministre de l’outre-mer, qui a préféré envoyer le GIGN et le RAID pour mettre « de l’ordre » sur une île constellée de barrages, parfois violents, plutôt que d’essayer de régler la situation par le dialogue… Tout s’est entremêlé. Et c’est un Jean-Luc Mélenchon qui ne sait plus trop sur quel pied danser qui fait face à l’exaspération générale.

Alors, attablé devant les représentants du LKP, la coalition de syndicats et d’organisations citoyennes qui avait organisé les 40 jours de grève en 2009, le d’ordinaire si volubile Insoumis s’est astreint à tendre l’oreille et à tenter de maintenir la discussion dans un cadre « rationnel ».

Le syndicaliste de Force ouvrière ouvre les discussions : « Les travailleurs sont privés de leur emploi, alors qu’ils n’ont pas fait de faute », dit-il, rejoint par Éric Coriolan, du réseau Sentinelle Guadeloupe, qui estime que la gestion de la crise par le gouvernement ne fait rien d’autre qu’« assassiner le pays ».

Il s’adresse au député de Marseille, l’implorant de se « battre » pour obtenir du gouvernement une dérogation pour l’île : « L’ARS [l’Agence régionale de santé] est devenue un organe politique en Guadeloupe. Les élus ne peuvent pas continuer à appliquer la loi qui tue la Guadeloupe », lance-t-il, sous les hochements de tête du chef du syndicat de pompiers, qui rappelle que pendant le premier confinement, ils ont « été aux fourneaux, sans masque » : « Et aujourd’hui, l’État se moque de nous, alors que nous sommes en détresse. »

Maïté Hubert M’Toumo, nouvelle secrétaire nationale de l’UGTG, a le verbe haut et direct : « Aujourd’hui, on assiste à une remise en cause de tous les droits des salariés. Les gens sont à bout et disent stop à l’absence totale de prise en compte par les élus de leur souffrance. »

Depuis le début du mouvement, ni les parlementaires de l’île, ni le préfet ne se sont rendus sur les piquets de grève. Du coup, la présence de Jean-Luc Mélenchon, qui a fait 8 000 km pour venir au CHU de Pointe-à-Pitre, est accueillie favorablement. « Je vous remercie de nous écouter et de prendre des notes », souligne Élie Domota, qui juge, sous le regard marmoréen du prétendant à l’Élysée, que la bonne méthode pour sortir de la nasse sanitaire serait un mix entre vaccination, recours à l’hydroxychloroquine et mise en œuvre des gestes barrières.

Un peu plus tôt, le syndicaliste avait avancé son argument massue : « Dans l’hôtellerie, il n’y a pas de passe sanitaire [demandé aux salariés – ndlr], car on a besoin de bras. » La preuve, selon lui, que toute cette histoire est une affaire de « gros sous » et pas une question sanitaire.

Cela fait deux bonnes heures que Jean-Luc Mélenchon est en immersion parmi les révoltés de l’hôpital. Il prend le micro pour conclure, dans une bienveillante elliptique : « Je ne veux pas me substituer à votre parole, ce n’est pas à moi de mener le combat. Toutes les solutions, les alternatives sont ici, ce n’est pas vrai qu’on a affaire à la fatalité », dit-il simplement, avant de tourner les talons sous les « Merci ! Merci ! » de l’assistance.

Pauline Graulle