Le handicap

Médiapart - Handicap : ces préjugés validistes qui pèsent sur les mères

Avril 2023, par Info santé sécu social

Malgré de récentes améliorations, les mères en situation de handicap restent confrontées à de multiples difficultés pratiques et aux a priori négatifs de nombreux professionnels. « Il faut mener un travail de dé-stigmatisation de l’entraide », explique Charlotte Puiseux, du collectif Les Dévalideuses.

Mélanie Mermoz
26 avril 2023

« Quand j’ai demandé si le cabinet était accessible pour une personne à mobilité réduite, la secrétaire du gynécologue s’est exclamée : “Ah vous venez pour une interruption volontaire de grossesse !”, alors que je venais d’indiquer prendre rendez-vous pour débuter un suivi de grossesse », raconte Leitah*, atteinte d’un handicap moteur après un accident vasculaire cérébral in utero et mère de deux filles de 10 ans et 5 ans. « Le gynécologue m’a, lui, demandé comment j’avais fait pour être enceinte alors que j’étais handicapée. Ce déni total de ma sexualité en tant que personne handicapée était effarant », s’exclame-t-elle.

Professionnels peu ou pas formés, matériel gynécologique pas accessible, il reste encore compliqué pour les femmes handicapées d’être prises en charge à proximité de chez elles. Florence Méjécase Neugebauer, atteinte d’une ostéogenèse imparfaite ou maladie des « os de verre », a fondé en 2010 en Gironde l’association Handiparentalité. « Quand nous avons parlé d’handiparentalité, cela a beaucoup bousculé les pouvoirs publics. La sexualité des personnes handicapées en institution commençait tout juste à être abordée depuis quelques années. La question de la parentalité des personnes handicapées n’était, elle, pas envisagée ou alors seulement sous l’angle de la prévention, particulièrement pour les personnes souffrant de déficience cognitive ou intellectuelle ou de troubles du spectre autistique », se souvient-elle.

Pour les femmes handicapées, s’autoriser l’idée même de la maternité ne va pas de soi. « Quand j’étais enfant, les médecins me disaient qu’il me serait impossible de mener une grossesse à son terme. Je m’étais donc construite dans l’idée que je ne serais jamais mère », raconte Sushina*, atteinte d’une amyotrophie spinale et mère d’un enfant de 2 ans. « Quand je suis devenue enseignante, la fréquentation des élèves m’a donné envie d’avoir un enfant. Avec mon conjoint, nous avons d’abord pensé à l’adoption, voire la gestation pour autrui. C’est la lecture des témoignages de femmes atteintes de la même maladie que moi et qui avaient des enfants qui a rendu l’idée d’une grossesse possible. »

Cette maternité reste socialement très peu envisagée. « Quand je me promène avec ma fille et une autre femme, les interlocuteurs s’adressent toujours à l’autre femme. Il leur semble impossible que je sois la mère », poursuit Sushina. C’est dans les actions du quotidien qu’elle se sent aussi niée. « Les gens veulent faire les choses à ma place, ils ne comprennent pas que depuis que ma fille est toute petite, les mots remplacent beaucoup de gestes. À la crèche par exemple, on se permet de prendre ma fille sans me demander alors qu’elle me fait un câlin avant mon départ », s’exclame-t-elle.

Les femmes handicapées subissent de plein fouet les stéréotypes de genre. « La pression est beaucoup plus forte sur elles que sur les hommes handicapés qui veulent être pères car dans notre société, ce sont les femmes qui s’occupent du nursing », souligne Florence Méjécase Negebauer. Dans les couples où le conjoint est valide, il bénéficie, lui, d’un regard très positif. « Mon mari est toujours plaint ou vu comme un héros. En revanche, personne ne voit le travail que je fais. C’est la double peine, en tant que mère et handicapée », constate Sushina.

Ne pas pouvoir assurer toutes les tâches habituellement dévolues aux mères, c’est encore trop souvent s’exposer de la part de certains professionnels à une suspicion d’incompétence, quand ce n’est pas de maltraitance. « Mes questionnements sur les nécessaires accompagnements après la naissance, sur les éventuelles difficultés de portage ont donné lieu à un signalement à l’Aide sociale à l’enfance. À la maternité, on ne me laissait jamais seule avec l’enfant », se souvient Leitha. Un suivi renforcé de deux ans par la protection maternelle infantile (PMI) a été mis en place, clos après une audience chez le juge des enfants.

Non seulement les professionnels de santé ne sont pas formés, mais ils se donnent le droit d’évaluer a priori les capacités des futurs parents.
Béatrice Idiard-Chamois, sage-femme à l’Institut mutualiste Montsouris

Cette suspicion d’incapacité à s’occuper d’un enfant est encore plus forte pour les femmes atteintes d’une déficience intellectuelle légère. « J’ai accompagné une femme handicapée mentale qui était prise en charge avec son compagnon dans une institution. Après un épisode suicidaire en tout début de grossesse, le suivi se passait très bien, son compagnon était très présent. Après l’accouchement, le bébé a été placé en nurserie 24 heures sur 24 et les parents n’ont jamais eu le droit d’être seuls avec lui, raconte, encore bouleversée, Béatrice Idiard-Chamois, sage-femme à l’Institut mutualiste Montsouris où elle a été à l’origine de la consultation parentalité et handicap, et elle-même en fauteuil. Alors qu’ils n’ont jamais rencontré l’assistance sociale ni la pédopsychiatre, l’enfant a été placé dès la sortie de la maternité en famille d’accueil. »

Pour elle, cette situation n’est malheureusement pas isolée tant manque la formation des médecins et sages-femmes sur la question du handicap. « Non seulement les professionnels de santé ne sont pas formés, mais ils se donnent le droit d’évaluer a priori les capacités des futurs parents », s’insurge-t-elle.

La situation s’améliore toutefois en France. Véritable pionnier, l’Institut de puériculture de Paris a ouvert, dès la fin des années 1980, un accueil de parents et de futurs parents aveugles et malvoyants. C’est cet accueil qui a donné naissance en 2011 au premier service d’accompagnement à la parentalité des personnes en situation de handicap (SAPPH) de France. Ces services peuvent apporter un soutien aux parents jusqu’aux 18 ans de l’enfant.

À Paris toujours, l’Institut mutualiste Montsouris a ouvert en 2006 une consultation maternité et handicap. Et l’hôpital de La Pitié-Salpêtrière a créé en 2013 une consultation pour les personnes à mobilité réduite ; l’établissement fait en outre partie des quatorze « pôles surdité » existant en France. En région, des équipes associatives proposent aussi un accompagnement. En Gironde, Handiparentalité organise notamment des échanges de pratiques entre parents et futurs parents handicapés.

Ces parents ont les mêmes questions que tous les autres parents, ils ont simplement besoin de réponses plus personnalisées.
Laure Carpentey, fondatrice du SAPPH de Gironde

Le but de ces structures est à la fois de rassurer les futurs parents et de leur apporter une aide pratique. « Nous essayons d’avoir un suivi très précoce, une équipe pluridisciplinaire (ergothérapeute, assistant de service social, psychologue, médecin…) accompagne pendant la grossesse et après, via notamment des mises en situation », détaille Philippe Galien, médecin et président de Breizh Handicap. « Ces parents ont les mêmes questions que tous les autres parents, ils ont simplement besoin de réponses plus personnalisées », souligne Laure Carpentey, responsable et fondatrice du SAPPH de Gironde ouvert en janvier 2020.

C’est aussi cette année que la prestation de compensation du handicap (PCH) parentalité a été créée, elle est accessible aux personnes bénéficiant déjà d’une PCH individuelle. « Avant, il fallait bricoler. Souffrant d’une amyotrophie spinale, je bénéficiais d’un bon nombre d’heures d’accompagnement humain. Mon auxiliaire de vie m’aidait à m’occuper de mon enfant, mais ce n’était pas officiel », explique Charlotte Puiseux, autrice de De chair et de fer - Vivre et lutter dans une société validiste (éditions La Découverte) et membre des Dévalideuses, un collectif féministe et antivalidiste. La PCH parentalité permet de bénéficier à la fois d’une aide humaine et d’une aide technique jusqu’aux 7 ans de l’enfant. Depuis janvier 2023, la PCH parentalité a été élargie, elle peut désormais être accordée à des parents ayant des difficultés cognitives.

L’intervention auprès des professionnels est aussi primordiale pour permettre la parentalité des personnes handicapées. « Nous avons été appelés par une maternité qui, quinze jours après la naissance du bébé, refusait de laisser sortir un couple de sourds et muets car ils n’allaient pas entendre le bébé pleurer. Nous avons montré à l’équipe que la solution était simplement un Babyphone vibrant ! » rétorque Laure Carpentey.

L’appui technique, mais aussi la formation des professionnels, est fondamental pour changer le regard sur ces futurs parents handicapés. « Depuis que nous existons, nous avons assisté à une diminution majeure des informations préoccupantes sans évaluation [adressées aux services de la protection de l’enfance – ndlr], maintenant, les professionnels nous appellent quand ils prennent en charge des parents handicapés », se félicite-t-elle.

Des progrès ont donc été accomplis, mais du travail reste à faire. Le plan gouvernemental des mille jours, qui vise à améliorer la prise en charge des enfants dans leurs premières années, comporte un axe sur l’accompagnement des parents vulnérables : il prévoit la création d’au moins un SAPPH par grande région ainsi que d’un centre de ressources Intim’agir (centre de ressources sur la vie affective et sexuelle et la parentalité pour les personnes handicapées). Reste qu’une région, c’est très grand. Et que, quand on est handicapé, les difficultés de transport sont encore plus importantes que pour les valides.

Autre problème, le temps disponible pour les consultations. « La consultation pour une femme handicapée est beaucoup plus longue, or avec la tarification à l’activité dans les hôpitaux, le temps c’est de l’argent », dénonce Béatrice Idiard-Chamois. Pour Charlotte Puiseux, la parentalité des personnes handicapées peut pourtant faire avancer l’ensemble de la société : « Il faut repenser collectivement la parentalité et notamment mener un travail de dé-stigmatisation de l’entraide. Cela ne concerne pas seulement les femmes handicapées, mais l’ensemble des mères qui subissent une injonction permanente à être parfaites, à tout faire toutes seules ! »

Mélanie Mermoz