Le droit à la contraception et à l’IVG

Médiapart - IVG : le Comité d’éthique valide l’allongement du délai pour avorter

Décembre 2020, par Info santé sécu social

11 DÉCEMBRE 2020 PAR LÉNAÏG BREDOUX ET MATHILDE GOANEC

Le comité consultatif national d’éthique (CCNE) a indiqué vendredi qu’il n’y a pas « d’objection éthique » à un allongement du délai de 12 à 14 semaines. La proposition de loi, votée par LREM et les gauches contre l’avis du gouvernement, sera examinée en janvier au Sénat.

Le gouvernement, dans l’embarras, s’en était sorti par une pirouette : opposé à un assouplissement de l’accès à l’IVG, il avait annoncé la saisine du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) pour évaluer la pertinence de la proposition de loi votée début octobre, avec le soutien de la majorité LREM et des gauches parlementaires. Elle était portée par un groupe dissident de La République en marche, aujourd’hui dissous, et notamment par la députée Albane Gaillot.

Le CCNE, présidé par le professeur Jean-Paul Delfraissy, indique dans cet avis (consultable ici) qu’en « axant sa réflexion sur les principes d’autonomie, de bienfaisance, d’équité et de non malfaisance à l’égard des femmes, le CCNE considère qu’il n’y a pas d’objection éthique à allonger le délai d’accès à l’IVG de deux semaines, passant ainsi de 12 à 14 semaines de grossesse ». Cet allongement doit permettre, pour ses partisans, d’éviter les départs à l’étranger de femmes hors délai. Or ces délais sont parfois difficiles à tenir, dans certains territoires, en raison du manque de lieux, et de personnels, pour avorter.

« L’analyse de la littérature récente et des données étrangères permet d’évaluer le recours à l’IVG à l’étranger pour 1 500 à 2 000 patientes par an ; celles-ci sont de fait mises en difficulté par l’absence de prise en charge en France. Ces difficultés sont majorées par les inégalités sociales que beaucoup d’entre elles subissent », explique le CCNE.

En revanche, le comité est hostile à la suppression de la clause de conscience spécifique pour les médecins, car l’IVG doit être considéré comme « un acte médical singulier ».

La proposition de loi votée par l’Assemblée doit désormais être examinée par le Sénat : selon Albane Gaillot, elle le sera le 20 janvier prochain portée par la sénatrice socialiste Laurence Rossignol, ex-ministre des droits des femmes.

Revoici notre article publié le 8 octobre 2020, après le vote à l’Assemblée nationale :

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D’emblée, le ton était donné. Jeudi matin, à l’Assemblée, les caméras sont loin, il n’y a pas de questions au gouvernement. À l’ordre du jour figure la niche parlementaire d’un petit groupe dissident de La République en marche, EDS. Sur le papier, pas de quoi attirer les foules. Sauf que le débat est houleux et que Les Républicains (LR) ont tenté un coup de poker : investir l’hémicycle et faire capoter la proposition de loi pour favoriser l’accès à l’IVG, avec le soutien implicite du gouvernement.

La manœuvre a échoué mais elle illustre parfaitement la teneur des débats qui ont eu lieu jeudi 8 octobre : une coalition inédite de députés issus de la majorité du groupe La République en marche (LREM – majorité), de certains de ses alliés ou dissidents, et de toute la gauche, est parvenue à faire plier le gouvernement, malgré la vive opposition de la droite et de l’extrême droite.

La proposition de loi portée par la députée Albane Gaillot (Écologie Démocratie Solidarité, EDS) a été adoptée par 86 voix, contre 59.

L’article 1, le plus polémique, prévoyant l’allongement du délai de 12 à 14 semaines, a été adopté 102 voix contre 65. La majorité de LREM a voté pour (56 pour/12 contre/6 abstentions) ; tous les élus EDS, PS, PCF et La France insoumise (LFI) ont fait de même. Les groupes centristes Modem et Agir ensemble se sont profondément divisés. L’UDI a voté contre, sauf son président Jean-Christophe Lagarde. LR y est opposée (à la notable exception de trois député·e·s), tout comme l’extrême droite (Emmanuelle Ménard et Marine Le Pen ont voté contre).

Albane Gaillot, députée EDS, rapporteure de la proposition de loi sur l’accès à l’IVG. © Christophe ARCHAMBAULT / AFP
Albane Gaillot, députée EDS, rapporteure de la proposition de loi sur l’accès à l’IVG. © Christophe ARCHAMBAULT / AFP
Pendant les débats, les partisans de la proposition de loi se sont relayés pour rappeler que si l’IVG est un droit depuis plus de quarante ans, cet acte est de plus en plus difficile d’accès. En fonction des territoires et des milieux sociaux, comme le montrent les dernières études parues, celle de la Drees, ou le rapport élaboré par la Délégation aux droits des femmes de l’Assemblée.

De quoi justifier l’assouplissement de plusieurs dispositifs (détaillés ici) : les délais bien sûr, mais aussi la suppression de la double clause de conscience pour les médecins, la suppression du délai de réflexion de 48 heures pour les femmes qui demandent un entretien psycho-social avant une IVG, la publication d’un répertoire des professionnels de santé et des établissements qui pratiquent l’IVG par les ARS (agences régionales de santé), et la possibilité pour les sages-femmes d’effectuer des IVG instrumentales.

Les opposants ont invoqué des principes éthiques, et estimé que l’équilibre trouvé par Simone Veil en 1974 était rompu. « L’IVG devient un acte anodin », a déploré la députée Emmanuelle Ménard (apparentée RN), qui a aussi ressorti les débats du mariage pour tous (« Pour faire un bébé, il faut un père et une mère »). Xavier Breton (LR) a dénoncé la « logique militante idéologique à sens unique » du texte : « Nous devons concilier la liberté de la femme et la protection de la vie à naître. »

Les ex-LREM Agnès Thill et Joachim Son-Forget sont intervenus à plusieurs reprises : la première a ainsi insisté sur la notion de « détresse » supprimée depuis plusieurs années ; le second a parlé de « vilain travail » à propos de l’avortement. De 12 à 14 semaines, « le geste sur l’embryon n’est pas le même et il n’a pas du tout les mêmes conséquences psychologiques sur le personnel soignant », a également affirmé la présidente du Rassemblement national Marine Le Pen.

À quoi les gauches et LREM ont répondu par la défense des droits des femmes. « C’est à la femme d’apprécier elle-même sa liberté », selon l’Insoumis Jean-Luc Mélenchon.

« Nous sommes 45 ans après [Simone Veil – ndlr]... Et le débat est toujours couvert d’une forme dramatique. […] Arrêtons de culpabiliser les femmes ! », a rétorqué Émilie Chalas (LREM). « J’ai moi-même avorté, a aussi dit Clémentine Autain (LFI). C’est toujours un échec de la contraception, mais ce n’est pas toujours un drame. »

« Nous ne sommes pas en train de faire une révolution sur le droit à l’avortement. Nous sommes là pour parler des modalités pour rendre un droit effectif », a plaidé Erwan Balanant (Modem). Rendre un droit légal effectif, c’est aussi le principal argument de Marie-Pierre Rixain, présidente de la Délégation aux droits des femmes. « Nous ne cherchons pas un nouveau droit, mais à le rendre effectif », a dit la socialiste Marie-Noëlle Battistel.

Pendant les débats, bousculé par sa propre majorité, le ministre de la santé Olivier Véran a semblé bien embêté : si sa collègue Élisabeth Moreno, en charge des droits des femmes, était favorable au texte, le gouvernement y était hostile. Notamment le premier ministre Jean Castex – « sur le fond, il est mal à l’aise », confie une députée de la majorité.

Dans l’hémicycle, Olivier Véran, présent dans la matinée avant d’être remplacé par la ministre déléguée Brigitte Bourguignon, a fait le contorsionniste, reprenant à son compte les conclusions du rapport de la Délégation droits des femmes, dont il a salué le travail, tout en refusant le texte, sous prétexte d’une saisine du Conseil consultatif national d’éthique (CCNE). Une saisine dont la date n’a pas été précisée par le gouvernement, malgré les questions insistantes de la droite moquant la gestion brouillonne du débat.
« Allonger le délai d’accès à l’IVG sans avoir au préalable consulté les instances que l’État a installées de façon indépendante pour éclairer les décisions de politiques publiques […] est un problème », a expliqué le ministre de la santé Olivier Véran. « Je suis un fervent défenseur du droit à l’avortement. Je suis aussi un fervent défenseur de l’État de droit et du fonctionnement de nos institutions. »

Il s’en est donc remis à la sagesse de l’Assemblée – il n’a pas formellement donné de consigne de vote –, mais avec beaucoup de réticences. « Une sagesse hautement mesurée pour des raisons formelles mais qui sont significatives et auxquelles je crois », a précisé le ministre.

Cette position a mis le gouvernement en difficulté face à sa majorité. « Sur un sujet comme celui de l’IVG, chacun vote en conscience, explique de son côté la députée LREM Aurore Bergé, très favorable au texte. Aucune consigne de vote, d’où qu’elle vienne, ne peut prévaloir. »

En conséquence de quoi, dans la matinée, lors d’un débat sur un amendement, le gouvernement a émis un avis défavorable, avant de battre en retraite (avec la sagesse) face à sa majorité. Plus tard, en séance, un député LR a fini par ironiser : « On aimerait quand même connaître la sagesse du gouvernement… » « La sagesse quand ça vous gêne, et le suivisme, quand ça vous arrange », a moqué Jean-Christophe Lagarde (UDI), à propos de la ministre Bourguignon.

Les dispositions votées sont encore loin de devenir effectives : la proposition de loi doit d’abord être inscrite à l’agenda du Sénat, qui, dominé par la droite, devrait la rejeter. Il faudra ensuite une deuxième lecture avant un vote définitif du texte et, enfin, des décrets d’application.