Europe

Médiapart - L’Autriche réduit les allocations familiales pour certains enfants vivant à l’étranger

Novembre 2018, par Info santé sécu social

26 novembre 2018 Par Vianey Lorin

Le Parlement autrichien a adopté une loi qui, à partir du 1er janvier 2019, indexera les allocations familiales en fonction du pays de résidence des enfants des travailleurs étrangers. Une mesure inédite en Europe et considérée par la Commission européenne comme contraire au droit de l’Union.

Vienne (Autriche), de notre correspondant.–

C’était l’une des mesures phares de l’accord de coalition à Vienne entre les conservateurs de l’ÖVP et l’extrême droite du FPÖ : réduire le montant des allocations pour les enfants résidant à l’étranger. Promesse tenue, avec la loi votée par les députés le 24 octobre. Elle indexe le montant des allocations familiales sur le niveau de vie du pays de résidence des enfants des travailleurs étrangers.

Pour les pays d’Europe de l’Ouest, les allocations devraient donc augmenter. Pour ceux d’Europe centrale et orientale, elles devraient être réduites. Mais la grande majorité des travailleurs qui seront touchés par la mesure vient des pays frontaliers, aux niveaux de vie moins élevés : Hongrie, Slovaquie, Slovénie, République tchèque mais aussi Roumanie. L’allocation pour un nouveau-né resté en Hongrie et dont l’un des parents travaille en Autriche passera ainsi de 172 à 93 euros par mois.

Sur les 250 millions d’euros que verse l’Autriche chaque année pour des enfants vivant à l’étranger, Vienne espère économiser plus de 100 millions par an. Mais il s’agit avant tout d’une mesure d’équité, à en croire le gouvernement : « Les allocations familiales servent en partie à couvrir les dépenses courantes, mais le coût de la vie n’est pas le même dans tous les pays d’Europe. Nous voulons traiter tous les enfants de la même manière et ce seulement en fonction de l’endroit où ils vivent et non pas de leur origine », soutient Juliane Bogner-Strauss, ministre (ÖVP) de la famille.

Un argument qui ne convainc pas la Commission européenne : « La législation de l’Union européenne n’autorise pas l’indexation, a réagi Christian Wigand, un porte-parole de la Commission. C’est une question d’équité : si les travailleurs contribuent aux systèmes nationaux de protection sociale, ils sont censés recevoir les mêmes avantages [que les autres], quels que soient leur nationalité et le lieu de résidence de leurs enfants. » L’Autriche risque donc désormais l’ouverture d’une procédure d’infraction qui peut conduire, en dernier recours, à des sanctions financières.

Pourtant, le gouvernement autrichien ne semble pas inquiet. Il reste convaincu que la loi est compatible avec le droit européen et s’appuie pour cela sur l’expertise réalisée par Wolfgang Mazal, professeur à l’université de Vienne et spécialiste du droit social : « La Commission européenne argumente que les prestations sociales, financées par les contributions des travailleurs, ne peuvent être indexées et je suis du même avis. Cependant, les allocations familiales autrichiennes ne sont pas financées par les travailleurs mais par une taxe spéciale que les employeurs doivent payer », avance le juriste.

Une position loin de faire l’unanimité parmi les experts. Nombreux sont ceux qui dénoncent une loi non conforme au droit européen, voire une manœuvre politique : « Le gouvernement a beaucoup profité des tensions liées à l’immigration. Les citoyens ne font pas la différence entre les demandeurs d’asile, les migrants économiques ou ceux qui bénéficient simplement de la liberté de circulation au sein de l’UE, explique Franz Marhold, spécialiste du droit social européen. D’après les études d’opinion, environ 80 % de la population soutient cette réforme, donc le gouvernement ne peut que gagner politiquement. Il se risque alors à une bataille juridique, qu’il sait perdue d’avance, c’est la définition même du populisme : faire quelque chose tout en sachant que c’est erroné, afin d’en retirer un gain politique. »
Une analyse partagée par les principaux partis d’opposition, furieux de voir le pays s’engager dans un bras de fer avec Bruxelles au moment même où Vienne préside pour six mois l’UE. Ils dénoncent également les conséquences néfastes de la loi, qui pourrait dissuader les travailleurs étrangers de venir exercer en Autriche.

L’Autriche est pourtant dépendante de la main-d’œuvre étrangère dans certains secteurs, en particulier celui des soins à domicile. La demande d’aide à domicile 24 heures sur 24 pour les personnes âgées a explosé ces dix dernières années. Une profession occupée dans son immense majorité par des citoyens d’Europe de l’Est, Slovaques et Roumains en tête. Parmi ces auxiliaires de vie, on compte ainsi moins de 2 % d’Autrichiens.

Marya Gliga, une Roumaine de 39 ans, est par exemple venue exercer en Autriche. Pendant un mois, elle vit à Zeillern, petite commune rurale de Basse-Autriche, au domicile d’un octogénaire qu’elle aide dans les tâches domestiques. Puis, après 30 jours, elle retourne en Roumanie, avant de revenir un mois plus tard.

Cette navette permanente l’oblige à laisser ses deux enfants dans son pays d’origine. La baisse annoncée de ses allocations familiales lui laisse un goût amer : « L’année prochaine, je vais perdre 160 euros par mois. C’est une discrimination. Mes enfants ne sont pas à égalité avec les enfants autrichiens. Pourtant, je travaille en Autriche, je paie des charges ici, ils devraient donc être traités de la même manière. Ce gouvernement nous discrimine alors qu’il a besoin de nous. Mais je vais me battre pour mes droits ! »

Cette mesure est d’autant plus mal acceptée par les aides à domicile étrangères que leur profession est mal rémunérée. Nombreuses sont celles qui voient alors dans les allocations familiales un complément de revenu. Un sondage réalisé en juin dernier par l’organisation Altern in Würde (« Vieillir dans la dignité »), une agence slovaque d’aide à domicile, montrait ainsi que sur les 1 400 auxiliaires de vie interrogées, près de 30 % étaient prêtes à mettre fin à leur activité si l’indexation entrait en vigueur, faisant ainsi peser sur l’Autriche le risque d’une pénurie de main-d’œuvre.
« Depuis l’annonce du vote, on a déjà une aide à domicile qui a arrêté son activité. Elle trouve ça injuste et veut maintenant travailler en Suisse, assure Zuzana Tanzer, directrice de l’agence Altern in Würde. Je ne comprends pas la décision du gouvernement. Il devrait savoir qu’il y a un manque de main-d’œuvre en Autriche et se réjouir du fait que ces personnes veuillent venir, mais cette mesure montre tout le contraire. »

Ce mécontentement est partagé par les gouvernements des États d’Europe de l’Est. Dans une lettre commune adressée à Marianne Thyssen, commissaire européenne à l’emploi, sept pays dont la Slovaquie, la Hongrie ou encore la Pologne ont critiqué la décision autrichienne, craignant des répercussions importantes pour leurs ressortissants. La Commission européenne doit maintenant étudier la conformité du texte de loi avec le droit de l’UE. L’indexation, elle, entrera en vigueur le 1er janvier 2019, au lendemain de la fin de la présidence autrichienne du Conseil de l’Union.