Politique santé sécu social de l’exécutif

Médiapart - L’hôpital Georges-Pompidou a maquillé les causes du décès d’un patient

Décembre 2018, par Info santé sécu social

6 décembre 2018 Par Pascale Pascariello

En avril 2018, un patient est mort à l’hôpital public Georges-Pompidou, faute d’effectifs, faute d’avoir été pris en charge à temps. Pour masquer les dysfonctionnements du service de réanimation, l’hôpital parisien a maquillé le compte-rendu adressé à la famille, censé restituer les causes de la mort.

Manque de personnel, services débordés, demandes pressantes de rentabilité, les politiques de restrictions budgétaires dans les hôpitaux publics ne sont pas sans conséquences sur la santé des malades.

Celui qui devait être la vitrine de l’assistance publique, l’hôpital européen Georges-Pompidou (HEGP), à Paris, n’échappe pas à la règle. Sur un document que Mediapart s’est procuré, il apparaît clairement que la désorganisation du service de réanimation est responsable du décès d’un patient. L’hôpital a cependant falsifié le dossier médical remis à la famille pour masquer l’absence de prise en charge dont a été victime leur proche.

Le 12 avril 2018, Laurent, 58 ans, atteint d’un cancer, entre à l’hôpital Georges-Pompidou pour y être opéré d’une fracture de vertèbre. Au stade de sa pathologie, aucune contre-indication ne s’oppose à cette intervention qui se déroule bien. Dans les jours qui suivent, il contracte une infection à staphylocoque doré. Mis sous antibiotique, son état s’améliore.

Le 10 mai, comme ils le font chaque jour, sa sœur et ses deux frères viennent lui rendre visite. Mais ce jeudi, ils constatent une dégradation de son état.

« Après son opération qui s’était bien passée, et son infection contractée à l’hôpital, mon frère allait mieux. Mais depuis un ou deux jours, il avait des problèmes pour digérer et avait des convulsions. Ce jour-là, nous avons alerté l’infirmière. Vu que rien ne semblait être fait, j’étais inquiet. J’ai hésité à rester auprès de lui cette nuit-là. Je suis finalement parti vers 21 heures », explique Mathieu, son frère cadet.

L’infirmière du service d’orthopédie dans lequel Laurent est suivi appelle alors, une première fois, le service d’anesthésie-réanimation, l’alertant sur l’état du patient chez qui elle soupçonne une hypoglycémie (un manque de sucre dans le sang, qui se traduit par des malaises et des tremblements). Sans venir consulter le patient, la réanimation lui conseille, par téléphone, de mettre une perfusion de sucre.

Mais l’état de Laurent empirant, l’infirmière appelle à nouveau la réanimation.

La suite est accablante. Elle est décrite par un des médecins, chargé de la réanimation, dans un compte-rendu daté du 22 mai dont Mediapart a pu prendre connaissance.

« Appel vers 22 h : l’équipe de réanimation qui était débordée, n’a pas pu répondre à la demande pour régler le problème d’hypoglycémie. L’interne d’anesthésie-réanimation appelle son collègue d’orthopédie pour obtenir des informations sur le patient qui n’allait pas bien et connaître son nom, mais ces informations n’ont pas été transmises. L’interne d’anesthésie est donc retourné au bloc sans voir le patient. »
Cela signifie donc que la transmission du dossier n’a pas eu lieu et que l’interne est reparti sans le patient.

Enfin, à 4 heures du matin, l’infirmière d’orthopédie contacte « cette fois-ci directement le 2216 [numéro d’urgence du service de réanimation – ndlr] ». C’est seulement à ce moment-là, soit plus de six heures après les premiers appels, que Laurent est vu par l’équipe médicale qui constate « un patient conscient mais comateux, avec signes de détresse respiratoire, en désaturation à 80 % ».

En d’autres termes, Laurent est en semi-coma : faute d’avoir reçu une assistance médicale, il s’est étouffé en inhalant ses matières intestinales.

Toutes les tentatives pour le réanimer échouent. Il décède le 14 mai, lorsque l’équipe médicale décide d’interrompre la réanimation. Le compte-rendu du 22 mai l’atteste : les dysfonctionnements liés aux six heures de retard de la prise en charge du patient et l’absence de transmission de son dossier sont à l’origine du décès.

Mais c’est une tout autre version qui sera, plus tard, adressée à la famille.

Deux jours après le décès, le 16 mai, la famille insiste pour qu’une autopsie soit effectuée. L’hôpital refuse, au motif que les causes du décès sont connues. « Il est décédé des suites d’une crise cardiaque », leur explique-t-on.

« Nous faisons confiance aux médecins. Mais pourquoi mon frère qui est rentré pour une fracture et qui n’a pas de problème cardiaque décède ainsi ? Nous n’avons pas eu plus d’explications. En l’absence de vérité, nous ne pouvons faire notre deuil. C’est très difficile. Nous nous refaisons à chaque fois toute la chronologie de son hospitalisation et nous nous sentons coupables de ne pas avoir passé la nuit avec lui », explique Manon, sa sœur.

À la suite du refus d’autopsie, la famille réclame le dossier médical de Laurent. Ce n’est que cinq mois plus tard, en novembre, et après de multiples relances qu’elle reçoit, enfin, les pièces du dossier. Parmi elles, un compte-rendu de réanimation, signé le 23 mai, expurgé des éléments qui pointent la responsabilité de l’hôpital. Il n’est qu’une version trafiquée de l’original du 22 mai.

« Les demandes de rentabilité mettent en péril la qualité des soins et la sécurité des patients »

Les horaires des premières alertes n’y figurent plus, effaçant par là même les six heures passées à attendre l’arrivée des équipes médicales. Disparues aussi, les mentions concernant le service débordé et l’erreur de transmission des informations permettant d’identifier le patient. Plus dérangeant encore, il n’apparaît nulle part que Laurent n’a pas été vu par un médecin pendant tout ce laps de temps. Enfin, aucune trace des notes signalant son état de semi-coma et d’épuisement à son arrivée en réanimation à 4 heures du matin.

Les causes du décès liées au dysfonctionnement du service ont donc été totalement camouflées. Contacté par Mediapart, le professeur Bernard Cholley, à la tête du pôle anesthésie-réanimation, de garde le jour du décès et auteur du compte-rendu modifié remis à la famille, nous a demandé de prendre attache auprès de son « entreprise » (sic).

Fébrilité ou simple protocole hiérarchique, la réponse n’est pas venue de l’hôpital européen Georges-Pompidou auquel nous nous étions adressés, mais de la direction de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) qui « confirme plusieurs écarts aux bonnes pratiques. Ils concernent les délais de réponse lors d’un appel téléphonique à la réanimation, une information qui ne figurait pas dans le dossier médical du patient remis par ailleurs hors délai à la famille. Compte tenu de ces éléments, la direction de l’HEGP [hôpital européen Georges-Pompidou – ndlr] a confié une première enquête à la cellule qualité de l’hôpital et déclenché un audit afin d’analyser ces dysfonctionnements et mettre en œuvre des mesures correctrices ».

En revanche, concernant la falsification du compte-rendu de réanimation, l’AP-HP n’a pas souhaité répondre.

L’hôpital a maquillé ses erreurs en toute connaissance de cause. En effet, un an auparavant, dans un courrier daté de juin 2017, des médecins du service d’anesthésie-réanimation avaient déjà signalé à leur direction les risques encourus pour les patients. « Il est de notre responsabilité de vous alerter sur la dégradation croissante de nos conditions d’exercice. Nous sommes à flux tendu dans tous les secteurs et le risque est fort d’arriver à une déstabilisation de l’ensemble des services d’anesthésie-réanimation. Les demandes pressantes de rentabilité mettent en péril la qualité des soins et la sécurité des patients », écrivaient-ils.

Compte tenu de la gravité de la situation et en l’absence de réponse de la direction, un comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail est à l’époque organisé.
Dans le procès-verbal que Mediapart a pu se procurer, l’un des médecins signale qu’il a dû assurer pendant un week-end le suivi de tout l’étage de réanimation, alors saturé, avec le seul soutien d’un interne, « situation malheureusement trop fréquente ».

Depuis, « la direction a eu recours à l’intérim pour assurer l’anesthésie dans les blocs opératoires. Rien en réanimation. Mais ce recours à l’intérim qui est coûteux ne garantit pas la sécurité des patients. C’est un petit pansement sur une plaie béante », tient à préciser à Mediapart un médecin réanimateur de l’hôpital, qui souhaite garder l’anonymat.

Prudence justifiée par la réception d’une note datée du 31 octobre : « Chers Collègues, il apparaît que certains d’entre vous ont été contactés par des journalistes (Mediapart) pour répondre à des questions concernant l’hôpital. Je vous rappelle que nous sommes tenus d’informer la direction de la communication de l’hôpital AVANT d’accepter de répondre à ces demandes qui ne sont pas toujours bienveillantes… »

Ce message leur était adressé par le professeur Bernard Cholley, chef du pôle anesthésie-réanimation et auteur du compte-rendu falsifié.

« Nous avons alerté la direction sur les risques qu’on fait prendre pour la santé des patients, poursuit le médecin réanimateur, et aujourd’hui un drame s’est produit, un homme est mort. Un homme est mort parce que le service est débordé et qu’aucun médecin n’a pu le voir durant plus de 6 heures malgré les appels. Nous ne devons pas cacher les causes de sa mort en camouflant un compte rendu, c’est gravissime, illégal et pénalement condamnable. À nous d’assumer les conséquences de la crise dans laquelle nous ont plongé les réformes successives. Au lieu de sauver l’hôpital public, nous le tuons et en premier lieu les patients. »

Mathieu, le frère de Laurent, se rappelle ainsi avoir retrouvé lors d’une visite son frère seul sous la douche. « Il était là, abandonné depuis des heures. Je ne cesse de repenser à chaque jour de son hospitalisation. Nous avions conscience des problèmes liés au manque de personnel, mais nous ne pouvions imaginer que cela causerait le décès de mon frère. Le pire est que l’hôpital a sciemment déguisé la vérité. »

La famille de Laurent envisage de porter plainte contre l’hôpital et souhaite qu’une enquête judiciaire soit ouverte.