Les mobilisations dans les hôpitaux

Médiapart - L’hôpital public dans la rue pour l’accès aux soins et à la santé

Mai 2021, par Info santé sécu social

29 MAI 2021 PAR CAROLINE COQ-CHODORGE

Un collectif international d’hospitaliers a appelé à manifester, samedi, dans de nombreuses villes. À Paris, le cortège était petit mais joyeux. Les soignants promettent d’être présents dans le débat public dans les prochains mois, en vue de la présidentielle.

Ils sont une centaine, mais ils sont tous là, ceux qui parlent au nom de l’hôpital public depuis qu’il s’est mis en branle, il y a deux ans. Ce samedi 29 mai, à Paris, ils sont confiants : « On se remobilise un beau week-end où tout le monde veut profiter des terrasses », reconnaît le docteur Anne Gervais, hépatologue à l’hôpital Bichat à Paris et membre du collectif Inter-hôpitaux. « Mais il y a un élan, de nombreux contacts avec le monde associatif, des projets de mobilisation, vous allez entendre parler de nous », promet-elle.

Tous les partis politiques, à l’exception de La France insoumise, étaient présents à la manifestation des policiers le 19 mai, jusqu’au ministre de l’intérieur. Avec les soignants, ce 29 mai, il n’y avait ni ministre ni partis, une seule écharpe tricolore au milieu du cortège, « peut-être un élu parisien », se demande le neurologue François Salachas.

« De toute façon, on ne les a pas invités. On est allés au bout de ce qu’on peut demander aux politiques. On veut construire un mouvement plus large, citoyen, interpeller les Français sur l’état de l’hôpital public, qui est en grand danger. Notre objectif est de poser ce débat pour la présidentielle. »

« On cherche la mobilisation de la société civile, au-delà de la gauche qui se déchire », renchérit Anne Gervais. « L’hôpital dépasse les partis. Pendant le grand débat national, 30 % des contributions portaient sur la santé, 12 % sur l’hôpital public. Si les politiques ne le comprennent pas, ils seront rejetés, au profit des extrêmes », met-elle en garde.

L’appel à la mobilisation, ce samedi, est « un SOS international pour la santé ». Les soignants ont manifesté à Paris, La Rochelle et Marseille, mais aussi à Bruxelles, Madrid, Rome ou Milan, à l’appel d’un nouveau collectif, La Santé en lutte, né à Bruxelles, en septembre 2020, de la rencontre entre les Français et les Belges, auxquels se sont joints une soixantaine de collectifs en Europe, au Royaume-Uni et en Amérique du Nord. Tous constatent la même « dégradation de l’accès, de la qualité et de la sécurité des soins », une même « perte de sens des métiers ».

En France, pour le collectif Inter-urgences, qui porte la voix des paramédicaux des urgences, la question n’est plus salariale. Ils se satisfont des 183 euros net d’augmentation obtenus en juillet 2020, au moment du Ségur de la santé. Mais sur tous les autres volets du Ségur, « on ne peut pas en rester là », dit Noémie Banes, présidente du collectif et infirmière à Oloron-Sainte-Marie (Pyrénées-Atlantiques) : « On veut que les soignants et les usagers soient associés à la gouvernance de l’hôpital. »

En France, le débat sur l’hôpital public va se cristalliser, dans les prochains mois, autour des grands projets hospitaliers, en particulier la construction du grand hôpital Nord à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis), où doivent fusionner les hôpitaux Bichat (Paris) et Beaujon (Clichy). La fusion est aussi une restructuration, puisque 300 lits doivent être supprimés dans l’opération.

Ailleurs en France, d’autres suppressions de lits d’hôpitaux sont prévues, dans d’autres grands projets hospitaliers, à Paris-Saclay (Essonne), Nantes (Loire-Atlantique) ou encore Tours (Indre-et-Loire). La politique de rationalisation de l’hôpital – qui vise à poursuivre l’augmentation de la productivité par la suppression des lits – se poursuit donc sur l’ensemble du territoire.

L’hépatologue Anne Gervais voit quelques raisons d’espérer, comme à Reims, « où la mobilisation des élus, aux côtés des hospitaliers, a permis de préserver les lits dans le projet du nouvel hôpital ».

La question des lits est étroitement liée à celle des effectifs : « Dans de nombreux hôpitaux, on ferme aussi des lits parce qu’il n’y a plus assez d’infirmières, d’aides-soignantes, explique Noémie Banes. C’est le chat qui se mord la queue. Pendant le Covid, les soignants se sont épuisés, ils quittent l’hôpital, qui ne fait rien pour les retenir. »

Les hospitaliers réclament des « ratios de soignants », explique Anne Gervais : « Aux États-Unis, il y a une infirmière pour six patients. En France, il y a une infirmière pour quatorze patients. On veut discuter, service par service, du juste nombre de soignants. »

Agnès Hartemann, professeur de diabétologie à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris, explique que, dans son service, « il y a trois postes d’infirmières vacants, en raison d’un arrêt maladie et de deux congés de maternité » : « On n’arrive pas à recruter pour les remplacer. Des infirmières qui voulaient venir à la manifestation ont finalement accepté de travailler 12 heures, sur un jour de repos. Des infirmières très qualifiées, formées par l’hôpital public, partent dans le privé, parce qu’elles y gagnent plus d’argent et ne travaillent pas le week-end. Pendant le Covid, on a eu des renforts, mais c’étaient des intérimaires beaucoup mieux payés. Tout cela crée des tensions, de la rancœur. »

Le « quoi qu’il en coûte » est terminé, les soignants voient revenir les restrictions budgétaires : « Nos collègues de Lorient et de Rennes nous ont raconté que leur direction leur a fait comprendre que les 183 euros net d’augmentation devaient se traduire par une augmentation de la productivité, rapporte Agnès Hartemann. Le budget de l’assurance-maladie augmente, mais moins que les besoins de santé. Au final, l’hôpital doit encore faire un milliard d’euros d’économies en 2021. C’est compliqué, mais il faut le faire comprendre aux Français. »

La psychiatrie est également bien représentée dans le cortège. Laurent Vassal, psychiatre à l’hôpital de Ville-Évrard (Seine-Saint-Denis), explique, avec lassitude, « tirer la sonnette depuis longtemps, sans effet » : « On nous annonçait un grand plan autisme, on n’a rien vu. On nous promettait un rattrapage en Seine-Saint-Denis, [département] notoirement sous-doté, on n’a rien vu. On va bientôt avoir des assises de la psychiatrie, mais franchement, je suis pessimiste. On a une population qui souffre de l’isolement, on voit plus de troubles dépressifs, de bouffées délirantes. Mais on a six services hospitaliers en grande difficulté, une dizaine de médecins manquent, 60 à 70 infirmières. Il y a six mois d’attente pour obtenir une consultation en centre médico-psychologique pour un adulte. Nos patients ne vont pas bien, certains se suicident. On n’a pas de lits pour ceux qui arrivent aux urgences. On doit les sédater, les contentionner, parce qu’on ne peut pas les laisser déambuler, en crise, dans les couloirs. Cela nous désespère. »