Réforme retraites 2023

Médiapart - L’intervention de Macron ne rassure pas les dépités de la majorité

Mars 2023, par Info santé sécu social

Déclenchant la fureur des oppositions et des responsables syndicaux, l’entretien télévisé du chef de l’État n’a guère rassuré les membres de sa propre majorité où « les charmes présidentiels n’opèrent plus », selon l’expression d’une députée macroniste.

Pauline Graulle
23 mars 2023

Certains attendaient « un cap ». D’autres exhortaient le président à un « changement de méthode ». Après avoir encaissé un 49-3 dont ils ne voulaient pas, affronté un retour en circonscription compliqué, et essuyé quelques sueurs froides avec le vote ric-rac de la motion de censure transpartisane, les députés macronistes espéraient une expression présidentielle en forme de point final. Ils ne sont pas près de voir le bout du tunnel.

La prise de parole d’Emmanuel Macron aux 13 heures de TF1 et France 2 n’a pas réussi à dissiper leurs inquiétudes. Mercredi 22 mars, après l’intervention tant attendue du chef de l’État, les téléphones sonnaient dans le vide. Il aura fallu s’armer de patience pour enfin croiser le chemin d’une poignée d’élus venus s’aventurer dans la salle des Quatre-Colonnes de l’Assemblée nationale, où se pressaient les journalistes.

Une heure à voir défiler les députés de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) venus dire tout le mal qu’ils pensaient de ces « 30 minutes d’impuissance » (Jérôme Guedj, Parti socialiste – PS) durant lesquelles « l’enfant gâté de la République » (Sébastien Jumel, Parti communiste français – PCF) a « jeté des barils d’essence sur le feu » (Manuel Bompard, La France insoumise – LFI).

Une autre à écouter les élus du groupe Les Républicains (LR) fustiger un « pouvoir dans l’impasse » (Éric Ciotti, le patron du parti) et un président de la République « autosatisfait qui a cette capacité à avoir des propos exactement contraires à ses actes » (le député Fabien Di Filippo, qui a voté, lundi dernier, les deux motions de censure déposées contre le gouvernement).

Les fantômes de l’Assemblée
La porte-parole de Renaissance, Prisca Thévenot, a fini par passer une tête, sourire vissé au visage, pour distiller quelques éléments de langage et évoquer un chef de l’État « en responsabilité », s’étant adressé aux Français et aux Françaises « non pas pour dire ce qui est facile à entendre, mais des réalités, très dures, très compliquées ». Et puis... un grand silence.

Quarante-huit heures plus tôt, ils n’étaient guère plus bavards ni nombreux à siéger sur les bancs de l’hémicycle, au moment des votes des motions de censure. Hormis la quinzaine de lieutenants venus faire la claque pour soutenir Élisabeth Borne, la moitié des fauteuils en velours rouge de la majorité étaient demeurés vides.

C’est donc face aux rangs clairsemés de la majorité que la présidente du groupe Renaissance, Aurore Bergé, a tenté de resserrer ses troupes, louant le « courage » de celles et ceux qui ont « assum[é] de défendre ce texte » et lançant la charge contre des oppositions ayant selon elle privilégié les « calculs politiques » à « l’intérêt général ».

Le lendemain, la séance dite de « câlinothérapie » des parlementaires macronistes, exceptionnellement reçus mardi soir à l’Élysée avec petits fours et allocution aux airs de « team building » d’Emmanuel Macron, n’a remonté le moral de personne. Ni fait redescendre la colère de ces députés qui avaient plaidé jusqu’à la dernière minute pour un vote à la loyal avant d’apprendre, en même temps que la presse, que le président de la République avait décidé de passer en force.

Tout le monde est dépité dans la majorité.

Bertrand Pancher, patron du groupe Liot
« C’était gentil de nous avoir invités, mais je ne suis pas convaincue. C’est comme si les charmes présidentiels n’opéraient plus », relatait une réputée Renaissance au sortir de la réception. « Macron n’a jamais “traité” sa majorité donc ça ne pouvait pas faire de mal de la recevoir les petits plats dans les grands », tente de relativiser un autre membre de la majorité.

L’interview de mercredi n’a pas plus changé la donne. Devant la télévision sur laquelle les parlementaires regardaient le 13 heures en direct, pas d’effusions ni d’enthousiasme. Plutôt un silence pesant, duquel un député LR, présent devant l’écran, a cru entendre émerger « quelques sarcasmes, y compris du camp présidentiel ». « Tout le monde est dépité dans la majorité », témoignait, quelques instants plus tard, le patron du groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires (Liot), Bertrand Pancher.

La défense de la « nécessité » du report à 64 ans de l’âge légal de départ à la retraite – « J’aurais voulu ne pas [le] faire, mais il faut avoir le sens des responsabilités et de l’intérêt général », a plaidé Emmanuel Macron – a été accueillie plutôt favorablement. « Il a admis la difficulté de la réforme et que c’est difficile pour les Français », note Erwan Balanant, député MoDem, qui avait ostensiblement quitté l’hémicycle au moment de l’annonce du 49-3, pour montrer son « désaccord profond » à l’égard de cette « erreur politique ».

Des réactions mitigées aux propos d’Emmanuel Macron
« Dommage qu’on n’ait pas eu ce moment il y a deux mois », glisse, laconique, Frédéric Valletoux, membre du groupe Horizons, le parti d’Édouard Philippe. Si quelques sorties malheureuses du chef de l’État – « Nous passons trop par la loi dans la République » ou « oui, on va continuer à avancer, à marche forcée » – ont fait tiquer ses soutiens parlementaires, le reste de l’entretien a suscité des réactions mitigées.

La dite « aile gauche » de la Macronie aurait aimé entendre, si ce n’est un tournant social, du moins un peu de grain à moudre sur ce que l’on appelle pudiquement en Macronie le « partage de la valeur ». Ce qu’a décelé dans le discours du président Sacha Houlié, le président de la commission des lois, soulagé qu’il « assume enfin la taxe sur les superprofits qui rapporte 26 milliards ou encore ses mots sur la répartition de la richesse ». Mais « peut-être à cause du format, le message n’a pas eu tous les effets escomptés, sans compter que les annonces sont reportées », tempère-t-il.

« J’ai trouvé le président calme et humble, mais aussi déterminé à ne pas laisser tout partir en vrille », lui reconnaît aussi la députée Renaissance Nadia Hai. « Macron a fait un discours pour tenter d’éteindre l’incendie, soit. Mais il aurait sans doute mieux valu ne pas l’allumer », pointe en revanche son collègue du MoDem Bruno Fuchs.

Sur le fond, c’est la promesse de « nouvelle méthode » qui fait le plus de sceptiques parmi les soutiens d’Emmanuel Macron, qui l’ont entendu formuler cette promesse plus d’une fois depuis 2017. Les propos sur la gouvernance « à 48 heures d’un 49-3 », tout cela manquait aussi un tout petit peu de crédibilité, raille un député, qui a vu à la télé un joli numéro de « patinage artistique ».

On ne peut plus être enfermés comme des poulets dans l’hémicycle pour voter des lois à gogo.

Sabrina Agresti-Roubache, députée Renaissance

Être davantage à l’écoute des corps intermédiaires et des syndicats, laisser aux parlementaires plus de temps en circonscription, proposer moins de lois, plus courtes, et plus proches des préoccupations des gens… Sur le papier, tout cela à de quoi ravir la députée Renaissance Sabrina Agresti-Roubache : « On ne peut plus être enfermés comme des poulets dans l’hémicycle pour voter des lois à gogo, il faut arrêter de perdre du temps sur le législatif, respirer, rouvrir les écoutilles, et ne pas laisser s’embraser le pays car si on laisse faire, il va y avoir un mort », redoute celle qui, ces derniers temps, pense beaucoup aux 40 000 demandes de logements sociaux en souffrance à Marseille (Bouches-du-Rhône) et aux bouteilles d’huile à 5,98 euros qui affolent les habitants de sa circonscription.

« Reprendre les débats sur des sujets de proximité, reparler aux syndicats, c’est ce qu’il faut faire », estime son collègue Éric Bothorel qui assure avoir discuté sereinement avec les syndicats locaux de sa circonscription depuis le début du conflit. L’élu militait en interne pour une « suspension de la promulgation de la loi », histoire de reprendre un dialogue « apaisé » avec les centrales. Mais l’interview de mercredi complexifie encore l’équation.

Quoi qu’il en soit, le refrain du « changement de méthode », entendu à maintes reprises depuis le mouvement des « gilets jaunes », laisse perplexe au sein des rangs macronistes. « Je crois ce que je vois ! », élude Sacha Houlié. « Là, il va falloir que ça marche car aujourd’hui, nous sommes les seuls capables de faire barrage au RN », avertit quant à elle Nadia Hai.

« Macron nous demande d’être plus sur le terrain, très bien, il demande aux ministres de travailler davantage avec nous, très bien, il ouvre la porte à une meilleure répartition de la valeur, très bien… Cela fait des années qu’on le demande, mais on n’a été écoutés sur rien. Résultat : il y a eu les gilets jaunes et aujourd’hui, la mobilisation sur les retraites », observe Bruno Fuchs qui veut néanmoins croire, cette fois, à un changement possible parce qu’« il y a le feu ».

Une majorité sans boussole
Pour beaucoup, l’appel présidentiel à « élargir la majorité » à l’Assemblée a résonné comme un énième vœu pieux. L’idée de débauchages individuels au sein de la droite et de la gauche hors Nupes a fait ricaner au PS comme chez LR. « Il manque 45 voix pour avoir la majorité absolue, il n’est pas près d’y arriver ! », glisse le député LR Raphaël Schellenberger.

Quant à l’annonce de « saucissonner » les lois – à commencer par celle sur l’immigration, reportée sine die – pour s’assurer des majorités de circonstance en fonction des textes, elle s’est d’ores et déjà fracassée sur le mur des oppositions. À commencer par celle du président du Sénat, Gérard Larcher, qui a refusé un texte « à la découpe » : « C’est un texte, comme les retraites, indispensable, qui doit être débattu sur le fond et qui doit apporter des réponses [...] Le passage en slalom est sans doute un exercice intéressant pour les skieurs, mais je pense qu’en politique il faut de la cohérence, du courage », a-t-il cinglé sur LCI jeudi matin. « On passe d’un “en même temps” hégémonique à un “en même temps” opportuniste. On ne va pas être les cocus de l’histoire ! », commente l’élu LR Fabien Di Filippo.

Chez les macronistes, on a beau rappeler que la loi sur le nucléaire est passée sans coup férir cette semaine, les velléités d’élargissement se heurtent à la personnalité d’Aurore Bergé, peu appréciée des alliés d’Horizons et du MoDem qui lui avaient savonné la planche lors de la présentation de sa proposition de loi sur l’inéligibilité des élus. « Elle est un peu brutale, toujours dans une forme d’exagération, n’a pas le “mindset” pour comprendre comment il faut travailler avec les partenaires », confie un député.

En interne, beaucoup lui reprochent son « caporalisme ». « Elle ne pourra pas rester à la tête du groupe longtemps », prédit une élue macroniste qui peine néanmoins à imaginer qui d’autre pourrait prendre la tête de cet attelage composite qui forme aujourd’hui cette majorité qui n’en est plus vraiment une à l’Assemblée. Des troupes sans cap ni boussole, qui sont au moins ressorties avec une certitude de ces derniers jours : il faudra continuer de naviguer à vue en pleine tempête.

Pauline Graulle