Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Médiapart - L’obligation du port du masque à l’école va engendrer un surcoût pour les plus pauvres

Septembre 2020, par Info santé sécu social

1 SEPTEMBRE 2020 PAR FAÏZA ZEROUALA

En ce jour de rentrée scolaire, 5,7 millions de collégiens et de lycéens ont dû porter le masque toute la journée. Plusieurs acteurs des mondes éducatif et politique se prononcent pour la gratuité de cette protection au nom de l’intérêt public. Hors de question, dit l’exécutif.

C’est la principale nouveauté de cette rentrée bouleversée par le Covid-19. Quelque 5,7 millions de collégiens et lycéens vont, à compter d’aujourd’hui, devoir porter un masque toute la journée, cours de sport exclus. Enfin, en suivant les recommandations d’entretien des masques, chaque élève aura besoin chaque jour d’en avoir deux à disposition, jetables ou lavables.

Le budget mensuel pour l’achat de masques est important. Le Parisien a sorti la calculette. Chaque mois, une famille de quatre personnes devra ainsi dépenser 228 euros pour acheter des masques chirurgicaux, ou 96 euros si elle opte pour des masques en tissu, selon le quotidien.

Le Snes-FSU, principal syndicat du secondaire, s’est prononcé en faveur de la gratuité des masques pour les élèves.

Sarah*, principale d’un collège du Sud parisien dans un quartier prioritaire de la politique de la ville (QPV) et estampillé REP, partage cette position. Elle s’alarme et craint que cet achat indispensable grève des budgets déjà très minces. Elle ne comprend toujours pas pourquoi le gouvernement n’a pas décidé de distribuer gratuitement des masques aux élèves. Dans son établissement, elle dénombre beaucoup de familles défavorisées ou des primo-arrivantes.

Le confinement a exacerbé la précarité, les violences intrafamiliales et le mal-être des élèves. Ainsi, la reprise de tous les élèves en présentiel est-elle plus que bienvenue. Mais encore faut-il que toutes les garanties de protection soient réunies. Le collège de Sarah compte environ 400 élèves. Lors de la reprise post-confinement, la principale n’a pas connu de difficultés concernant le port du masque.
« En mai et juin, nous n’avons eu aucun souci, le rectorat nous avait envoyé un carton de 1 000 masques environ. On avait 50 % de nos élèves revenus en juin ; on en donnait à ceux qui entraient sans masques. Il nous en reste pas mal. »

Mais elle craint que cela ne suffise plus à effectif plein. « À raison de 9 à 13 masques par semaine, inutile de faire le calcul pour se rendre compte du coût exorbitant que cela représente pour une famille de quatre ou cinq enfants quand les parents ne travaillent pas (voire habitent en hôtel social), comme c’est souvent le cas dans mon collège. J’ai des élèves qui ont, deux jours par semaine, huit heures de cours. Si on compte l’heure de repas, il leur faut trois masques. Cela reste des enfants, ils le font tomber ou l’élastique va craquer. » Sarah se demande comment vont se débrouiller les familles sur le long terme, car la cohabitation avec le virus risque de s’étirer sur plusieurs mois.

Elle aimerait que les masques réutilisables soient une solution parfaite car moins onéreux, mais ils sont loin d’être la panacée. Dans son collège, plusieurs familles sont mal logées et vivent dans des hôtels sociaux ou logements exigus et insalubres, rendant difficile tout entretien de masques. Ceux-ci sont censés, selon les consignes officielles, être lavés à 60 degrés en machine pendant au moins trente minutes pour espérer être efficaces.

« J’ai vu une famille de trois enfants et leur mère habitant dans une chambre de 9 mètres carrés laver et sécher un pauvre masque jetable. Le gouvernement croit-il vraiment que ces familles vont pouvoir changer de masque tous les jours ? Même si on leur donne quatre masques en tissu, cela couvre deux jours, donc il faut s’organiser pour les laver et qu’ils soient prêts pour le mercredi. C’est toute une organisation. Le ministre me choque quand il dit qu’il s’agit de fournitures scolaires comme des autres. Il en connaît beaucoup des fournitures qui coûtent 30 euros tous les mois ? Oui, pour un salaire de ministre, c’est sûr que 30 euros, c’est rien. »

Marie-Aleth Grard, présidente d’ATD-Quart Monde et membre du conseil scientifique, est inquiète pour cette rentrée à plusieurs égards. Elle se demande si les effets scolaires du confinement vont se dissiper et si les élèves les plus fragiles vont parvenir à entrer de nouveau dans les apprentissages. Sur la question du masque, elle rapporte qu’il est encore tôt pour avoir des retours précis concernant ce surcoût engendré par cette obligation de port du masque.

Marie-Aleth Grard considère qu’il est toutefois évident que des soucis vont se poser, notamment pour l’entretien des protections réutilisables. « Ce qui est sûr, c’est qu’on vit dans des mondes différents, les personnes qui pensent que 4 millions de familles mal logées dans ce pays, sans machine à laver à disposition, pourront avoir le lendemain un masque qui aura séché dans un environnement sain se trompent. Il y a tout un tas de choses qui nous paraissent être un détail qui se révèlent difficiles pour beaucoup de gens. »

Rodrigo Arenas, le coprésident de la FCPE, considère évidemment que les masques doivent être fournis aux collégiens et lycéens, car cela relève d’une responsabilité régalienne. Les collectivités territoriales doivent, selon lui, assumer cette dépense supplémentaire. Aujourd’hui, en fonction des majorités politiques et de leurs moyens, certaines le font. Pour lui, il s’agit d’un choix idéologique fait par le gouvernement, au mépris d’une politique sanitaire cohérente.

« Il s’agit d’une question d’intérêt général dans le cadre du droit commun. Il faut que l’État en distribue à tous les élèves, quelles que soient leur condition sociale et leur habitation. Cette protection ne doit pas dépendre de l’initiative individuelle. L’éducation nationale ne se donne pas les moyens pour assurer l’efficacité du dispositif qu’elle établit dans son protocole sanitaire. »

Pas de mise à disposition de masques gratuits
Malgré cette question du surcoût engendré pour les familles, le ministre de l’éducation nationale a expliqué que les masques ne seront pas distribués gratuitement à tous les élèves, mais que les établissements scolaires auront la possibilité de mettre à disposition un stock de masques pour les élèves qui auraient des difficultés à s’en procurer.

« Donc aucun élève ne se trouvera exclu de l’école ou en situation de ne pas pouvoir entrer parce qu’il ou elle n’aurait pas de masque », a assuré le ministre. Les personnels de l’éducation nationale, eux, sont équipés en masques par le ministère.

Interrogé par la presse présidentielle sur le sujet fin août, Emmanuel Macron a fait part de son étonnement face à cette question. « On a eu un débat sur les masques gratuits sincèrement fou ! », considérant que la réponse de l’exécutif français avait été « à la hauteur » et « généreux sur le plan social ». « Quel pays au monde distribue autant de masques gratuits que nous ? », a défendu Emmanuel Macron face aux journalistes.

« 55 millions de masques ont été distribués », s’est encore vanté le président de la République. Ces masques sont utilisables 30 fois. Le ministre de la santé a expliqué que les « Français qui sont en dessous du seuil de pauvreté », soit 7 millions de personnes, en ont reçu.

Sur France Inter, le jeudi 27 août, le ministre de l’éducation nationale a confirmé que la gratuité des masques n’était pas à l’ordre du jour : « Aucun pays au monde ne fait la gratuité des masques à l’école. Ce qui est certain, c’est qu’un, nous avons envoyé des masques par la Poste aux familles qui ont des besoins sociaux. Et, par ailleurs, s’il y avait encore des trous dans la raquette dans notre dispositif, nous sommes dans chaque établissement avec des masques pour ceux qui en auraient besoin. »

Blanquer n’adopte pas une position originale, puisque le premier ministre, Jean Castex, avait dit la même chose la veille : « Pas de gratuité générale du masque. Pas plus qu’il n’en existe ailleurs. »

CheckNews est allé vérifier ces affirmations ministérielles. Elles se révèlent fausses, puisque la Grèce et l’Italie ont annoncé qu’elles allaient doter l’ensemble des élèves de protections gratuites « aussi longtemps que nécessaire ». Le ministre de l’intérieur grec, Takis Theodorakakos, a précisé que l’État grec avait débloqué 5,2 millions d’euros.

L’Italie, pour sa part, devra fournir chaque jour 11 millions de masques aux élèves à partir de six ans et aux enseignants. Le masque y sera obligatoire dans les écoles à partir de six ans, du moment que la distance d’un mètre entre chaque élève ne pourra être respectée.

En France, des collectivités territoriales comme les Alpes-Maritimes ou la Seine-Saint-Denis ont annoncé, de leur côté, offrir des masques réutilisables à leurs élèves, deux ou quatre, selon les cas. Mais ce n’est pas suffisant.

Sans compter que le problème va se poser avec acuité à l’université, puisque les étudiants doivent, eux aussi, porter le masque en permanence. Quelle solution pour les étudiants les plus précaires qui peinent à se nourrir ou se soigner ?

L’ancien président de la République François Hollande a assuré sur France 2 que lui aurait fourni gratuitement le masque aux élèves. « Je pense que le masque étant quasi obligatoire, il doit être, dans l’enseignement public comme privé d’ailleurs, gratuit pour tous et fourni par l’éducation nationale, a-t-il assuré. On fournirait des ordinateurs, mais pas de masque, tout ça n’a pas de sens », a-t-il argumenté.

À droite, la présidente de la région Île-de-France, Valérie Pécresse, s’est émue que la crise due au Covid-19 creuse les inégalités à l’école. Elle a expliqué sur RTL ne pas vouloir que « cette question financière sur les masques ou sur les équipements informatiques empêche les enfants d’aller en classe ».

En désaccord avec la non-gratuité instituée par le gouvernement, Valérie Pécresse persiste sur cette ligne : « Si on ne veut pas avoir une école à deux vitesses avec le risque de décrochage, oui, il faudrait donner ces masques. J’aurais souhaité que l’éducation nationale le fasse », a-t-elle regretté, également sur RTL.

Rodrigo Arenas, de la FCPE, pense, pour sa part, que le gouvernement refuse sciemment d’œuvrer pour l’intérêt général. Pour le coresponsable de la FCPE, équiper la population en masques relève de l’aide sociale : « On donne aux pauvres qu’on choisit. Il y a ceux qui peuvent ou non bénéficier de l’aide sociale. En se comportant ainsi, Blanquer casse l’idée de l’intérêt général et du service public. Ça participe du retrait de l’État régalien au sens de la Ve République. »

En juin, Sarah, la principale du collège, a dû batailler et trouver une ligne budgétaire pour pouvoir se fournir en masques et craint de devoir le faire de nouveau. « Ce n’est pas normal que les établissements prennent sur leur budget pour pallier le manquement du ministère. » Elle craint que les élèves conservent toujours le même masque et ne lavent pas celui en tissu. « On ne sait pas s’il sera propre, donc efficace. Il s’agit de la sécurité des enseignants, des adultes. »

Pour la présidente d’ATD-Quart Monde, Marie-Aleth Grard, il serait inquiétant que les enfants et les adultes vivant dans la précarité, et de fait les plus fragiles face au Covid-19, soient mal protégés. « Non, ce n’est pas une fourniture comme une autre, mais c’est une fourniture supplémentaire. Le plus pratique aurait été que les collèges et lycées les distribuent aux élèves à l’entrée, sans mettre à part ceux qui ont les moyens d’avoir un masque et les autres, ceux qui portent le même plusieurs heures. Arrêtons de faire des distinctions. »