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Mediapart : La Sécurité sociale, au risque d’un déficit massif

Octobre 2021, par infosecusanté

Mediapart : La Sécurité sociale, au risque d’un déficit massif

07 octobre 2021

Par Caroline Coq-Chodorge

Le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2022 a été présenté en conseil des ministres. Le déficit se creuse encore, sans mesures de financement nouvelles. S’il consent un effort financier pour l’hôpital, ce dernier craint des sacrifices à venir. Les personnes âgées et handicapées sont d’ores et déjà victimes de ce contexte budgétaire : l’ambition d’un grand projet de loi pour l’autonomie a été abandonnée dans l’été.

Sans surprise, la Sécurité sociale a touché le fond en 2020, avec un déficit de 39,7 milliards d’euros. Elle se redresse péniblement en 2021, à − 34,8 milliards d’euros. « Une dégradation inédite », a insisté la Cour des comptes dans son rapport annuel sur la Sécurité sociale, rendu public mardi 5 octobre.
Le spectre du retour à l’équilibre financier

Le déficit en 2020 est l’addition de la chute de l’activité économique, du recours massif à l’activité partielle, des allègements de charges pour les indépendants et du dépassement des dépenses d’assurance-maladie de 14,6 milliards d’euros, a calculé la Cour des comptes dans son rapport rendu public mardi 5 octobre. Les mesures du Ségur de la santé, en particulier l’augmentation de 183 euros des salaires des personnels de l’hôpital public et des Ehpad, ne sont elles aussi toujours pas financées et creusent un peu plus ce déficit. Seule bonne nouvelle : le déficit en 2021 devrait être moins important que prévu, grâce au rebond de l’activité économique.

Le gouvernement n’a prévu aucun impôt supplémentaire pour financer ces dépenses exceptionnelles ou même les augmentations de salaire des professionnels de santé des hôpitaux, des Ehpad et de l’aide à domicile accordées par le Ségur de la santé. Le déficit bascule donc vers la Cades, la caisse qui amortit la dette sociale. Fin 2021, elle gèrera une dette de 166 milliards d’euros – 50 milliards de plus en deux ans – en empruntant sur les marchés financiers. Le PLFSS pour 2022 prévoit d’importants déficits pour les années à venir : 22 milliards en 2022, 15 milliards en 2023, etc.
La dernière fois que la Sécurité sociale a plongé dans de tels abysses budgétaires, c’était à la suite de la crise financière de 2008. S’est ensuivie une décennie de restrictions budgétaires.
Dans son rapport sur la Sécurité sociale, la Cour des comptes prévient : « Faire revenir les comptes sociaux à l’équilibre est indispensable. » Sans ressources supplémentaires, la seule voie possible est la recherche d’économies. La Cour des comptes préfère le vocable technocrate d’efficience – c’est-à-dire la recherche de la plus grande efficacité dans la dépense – et vise clairement « les domaines de l’assurance-maladie et des retraites ».
Des dépenses d’assurance-maladie sens dessus dessous

Dans sa première partie, le projet de loi de financement de la Sécurité sociale tire le bilan des années 2020 et 2021. Sans surprise, les dépenses d’assurance-maladie sont sens dessus dessous, à l’image de la vie bouleversée des Français. Selon la Drees, la Direction des études et des statistiques du ministère de la santé, les dépenses hospitalières ont dépassé les 100 milliards d’euros, portées par l’hôpital public (+ 5,6 %), mais surtout par les dépenses en laboratoires d’analyses médicales (+ 37,4 %). Le très fort recul de l’accès aux soins pendant le confinement est manifeste, à travers les dépenses pour les médecins de ville (− 4,8 %) ou les dentistes (− 8,9 %). Au total, la consommation de soins et de biens médicaux a augmenté de 0,4 % en 2020, soit « l’évolution la plus faible jamais observée depuis 1950 », relève la Drees.
La commission des comptes de la Sécurité sociale a étudié en détail l’évolution des hospitalisations en 2020. Les établissements de santé ont perdu 1,3 million de patients par rapport à 2019. Sans surprise, la chirurgie accuse la plus forte baisse. Le plus inquiétant est qu’il n’y a pas eu de rattrapage des hospitalisations entre les deux vagues, celle du printemps, quand la France entière était confinée, puis celle de l’automne.
Ce sont toutes les dépenses liées au Covid, mais annexes au soin, qui ont creusé les dépenses hospitalières : les équipements pour la réanimation, les tests PCR, les primes Covid accordées aux soignants, leurs nombreuses heures supplémentaires, puis les augmentations de salaire consenties lors du Ségur de la santé.
Un Ondam en hausse, des lits d’hôpitaux qui ferment
En temps normal, l’Objectif national de dépenses d’assurance-maladie (Ondam) est calculé par rapport à celui de l’année précédente. Mais comment raisonner à partir d’un budget aussi hors norme ? Certaines dépenses liées au Covid vont perdurer – les augmentations salariales, les dépenses pour vaccins et les tests –, d’autres vont se dégonfler, espère le projet de loi, si la crise sanitaire, au moins dans sa phase la plus aiguë, est bien derrière nous.
« Pour la première fois depuis des lustres, aucune économie n’est imposée à l’hôpital, là où chaque année l’Ondam hospitalier intégrait 700 millions à 1 milliard [d’euros] de mise sous tension », s’est félicité Olivier Véran, lors de la présentation du PLFSS le 24 septembre.
En réalité, l’Ondam sera en baisse de 0,6 % en 2022, car le gouvernement table sur une normalisation des dépenses de santé. En faisant abstraction des dépenses exceptionnelles liées à la crise sanitaire, l’Ondam serait en hausse de 3,8 %. Mais c’est en incluant les dépenses du Ségur, dont les hausses de salaire, qui sont des frais fixes pour les établissements de santé. En raisonnant hors crise sanitaire et hors coût du Ségur, l’Ondam augmenterait de 2,6 %, dans les clous des années précédentes. Pour les hôpitaux, le taux de progression serait de + 2,7 %, assure le gouvernement.
La Fédération hospitalière de France prend acte de ces efforts, mais assure en même temps que « les hospitaliers redoutent des lendemains difficiles ». Le Collectif inter-hôpitaux, créé lors de la mobilisation de l’hôpital en 2018-2019, rappelle de son côté à quel point les mesures du Ségur son insuffisantes puisque, faute de personnels, « des services d’urgences ferment régulièrement sur l’ensemble du territoire, plus de 10 % des lits sont toujours fermés à l’Assistance publique des hôpitaux de Paris, de nombreux blocs opératoires restent fermés, plusieurs établissements ont déclenché le plan blanc (Aulnay-sous-Bois, Mulhouse) », toujours en raison du nombre de postes vacants.
En 2020, 5 800 lits d’hôpitaux ont fermé.
Autrement dit, il n’y aurait pas dans ce PLFSS de quoi freiner le mouvement actuel de fermetures de lits, justifiées par des restructurations ou par un manque de personnel. Une récente étude de la Drees estime que 1,5 % des lits hospitaliers ont fermé en 2020, soit plus de 5 800. Il n’en restait fin 2020 que 386 000. Depuis 2013, ce sont 27 000 lits qui ont disparu (− 6,5 %). Et ce repli de l’hôpital n’est pas compensé par l’ouverture de places en « hospitalisation partielle », dédiée aux patients pris en charge sur la journée, grâce au développement notamment de la chirurgie ambulatoire. L’augmentation forte (+ 14,5 %) des lits de réanimation (+ 786 lits) en 2020 ne renverse pas non plus la tendance.
Le jackpot de la biologie médicale
Parmi les surcoûts directement liés au Covid en 2021, listés par le ministère de la santé, les tests PCR et antigéniques sont le plus gros poste, de très loin : 5,5 milliards d’euros pour les tests réalisés en ville, 700 millions pour ceux réalisés à l’hôpital. Le dépistage a coûté plus cher que la campagne vaccinale, de son organisation à l’achat de vaccins, jusqu’à la rémunération, pourtant très généreuse, des personnels qui ont travaillé sur la campagne vaccinale.

Pour 2022, le gouvernement prévoit de sérieusement réduire la dépense en tests Covid à 1,6 milliard d’euros. Pour y parvenir, il emploie les grands moyens : la fin de la gratuité des tests, à partir du 15 octobre, pour les personnes non vaccinées, à moins qu’elles ne disposent d’une prescription médicale. Les tests réalisés pour obtenir un passe sanitaire, à l’entrée d’un hôpital, d’un Ehpad, d’un restaurant ou d’un musée, coûteront entre 44 euros pour un PCR et 22 euros pour un antigénique.
La Cour des comptes estime le surcoût des tests, par rapport à nos voisins européens, à 800 millions d’euros.
La Cour des comptes épingle par ailleurs les tarifs des tests PCR pratiqués en France, qui dépassaient les 60 euros jusqu’au printemps 2021, quand l’Allemagne ou la Belgique les remboursaient entre 40 et 50 euros. La France a depuis aligné ses prix sur ses voisins européens, mais la Cour des comptes estime le surcoût à 800 millions d’euros.

Grand âge et handicap : un projet de loi abandonné, quelques mesures de consolation

Après Nicolas Sarkozy et François Hollande, Emmanuel Macron abandonne à son tour l’idée d’une grande réforme de la prise en charge de la perte d’autonomie, cette fameuse « cinquième branche » de la Sécurité sociale qui devrait mieux prendre en charge, grâce à la solidarité nationale, le coût du handicap et de la perte d’autonomie d’une personne âgée.
Officiellement, la cinquième branche est créée depuis la loi du 7 août 2020 relative à la dette et à l’autonomie. Elle est gérée par la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), à laquelle sont affectées des recettes fiscales, dont la contribution de solidarité pour l’autonomie (Casa) ou une partie de la CSG. Cette cinquième branche finance les Ehpad, l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) ou la Prestation de compensation du handicap (PCH).
Un rapport préconisait de créer 93 000 postes en Ehpad dans les cinq ans, le PLFSS en prévoit 10 000.
Pendant le quinquennat, les rapports se sont succédé, listant des besoins immenses. Le rapport Libault préconisait, en septembre 2018, un « plan national pour les métiers du grand âge », à domicile et en établissement, une hausse de 25 % du taux d’encadrement en Ehpad, une baisse du reste à charge de 300 euros pour les résidents les plus modestes. Le rapport El Khomri, du nom de l’ancienne ministre du travail, estimait en octobre 2019 que le nombre de personnes en perte d’autonomie devait bondir de 1,387 million en 2020 à 1,479 million en 2025. Pour les prendre en charge, 93 000 postes devaient être créés dans les cinq prochaines années, 260 000 professionnels formés. Or les métiers du grand âge sont aujourd’hui boudés, parce qu’ils sont sous-payés et très pénibles.
Les quelques mesures comprises dans le PLFSS 2022 sont loin du compte. Il comprend les mesures du Ségur, à savoir la revalorisation de 183 euros des salaires de tous les personnels en Ehpad, ainsi que des crédits pour des investissements dans les Ehpad. Un tarif plancher de 22 euros de l’heure est fixé pour les aides à domicile. Ce n’est pas une réelle hausse, mais un alignement par le haut des tarifs pratiqués par les conseils départementaux. 10 000 emplois supplémentaires doivent être créés dans les Ehpad, d’ici à cinq ans, très loin des 93 000 postes évoqués par Myriam El Khomri.
Le handicap paraît comme le grand oublié de ce projet de loi : 143 millions d’euros sont fléchés vers la création de nouvelles places en établissements.
Les associations de personnes âgées et handicapées qui siègent au sein de la CNSA, la caisse qui gère le cinquième risque, ont réagi avec dépit : à leurs yeux, le PLFSS 2022 est « l’aboutissement modeste et inabouti de l’ambition de l’autonomie du fait d’un défaut de vision d’ensemble des ses enjeux ». L’augmentation du nombre de personnes âgées dans les années à venir n’est pas « prise en compte ». Pour le handicap, les associations expriment leur « très vive déception » : « La prise en compte des besoins réels des personnes en situation de handicap, en matière de places et de droits, appelle un investissement collectif d’ampleur. »
Des mesures de santé publique

Le projet de loi prévoit d’étendre la gratuité de l’accès à la contraception : déjà garantie pour les mineurs, la mesure est étendue aux moins de 26 ans. Seront intégralement pris en charge par l’assurance-maladie une consultation par an, les examens biologiques, les contraceptifs remboursables et leurs poses.
Une deuxième mesure fait plus polémique : le gouvernement propose avec ce projet de loi d’étendre les missions des orthoptistes. Ces paramédicaux réalisent déjà, sous le contrôle d’ophtalmologistes, des bilans visuels simples pour les faibles corrections visuelles. Si le PLFSS est adopté, ils pourront réaliser ces bilans, pour les corrections faibles, sans prescription médicale. Ils pourront aussi prescrire des lunettes ou des lentilles. Cette mesure vise à réduire les délais d’attente de plusieurs mois avant de pouvoir consulter un ophtalmologiste, dont pâtissent de très nombreux Français. Cette mesure sera certainement très débattue, car les médecins ophtalmologues s’opposent à ce transfert de compétences, rappelant qu’un bilan visuel est aussi l’occasion de déceler des maladies