Le chômage

Médiapart - La baisse du chômage masque la hausse de la précarité

Avril 2016, par Info santé sécu social

Chômage, par-delà la courbe. Analyse

27 avril 2016 | Par Mathilde Goanec

L’annonce de 60 000 chômeurs de moins le mois dernier offre un bol d’air frais au gouvernement. Mais les sortants semblent en réalité être passés dans les catégories regroupant les demandeurs d’emploi à activité réduite. La pression administrative s’accentue également pour comptabiliser radiations et cessations d’inscriptions.

La baisse est indéniable : il y a 60 000 chômeurs de moins en catégorie A depuis le mois dernier. Cela veut dire, en clair, que les « sans-emplois total » sont moins nombreux qu’avant. Il s’agit de la baisse la plus brutale depuis 2000, comme n’a pas manqué de le souligner sur BFM 3 la ministre du travail Myriam El Khomri. La référence n’est cependant pas vraiment significative quand on sait que depuis 2000, la catégorie A a enflé d’un million de chômeurs. Par ailleurs, si l’on compare également ce mois de mars avec celui précédant l’entrée en fonctions de François Hollande, en 2012, les chiffres montrent une augmentation de près de 645 000 demandeurs d’emploi supplémentaires, pour la seule catégorie A (un million de plus toutes catégories confondues).

Restons sur les douze derniers mois. Si l’on compare les chiffres d’un an sur l’autre, la différence s’élève à 14 000 personnes seulement, en raison d’une courbe qui ne cesse de faire le yoyo. À titre d’exemple, après avoir diminué de 27 900 personnes en janvier, le nombre de chômeurs en catégorie A a augmenté de 38 400 personnes en février, pour finir par rebaisser de 60 000 le mois dernier. Autant d’indicateurs qui incitent à manier les chiffres avec prudence, et à privilégier (ce que préconise d’ailleurs Pôle emploi) l’analyse tendancielle au relevé des compteurs mensuels.

De fait, si le gouvernement se réjouit légitimement de la baisse du chômage, il ne peut guère fanfaronner sur la réduction de la précarité. Le nombre d’inscrits en catégorie B et C a également fait un saut… dans le sens inverse. Ainsi, le nombre de demandeurs d’emploi en catégorie B – et donc ayant travaillé 78 heures ou moins le mois dernier – a augmenté de 13 800 personnes. Pour la catégorie C (plus de 78 heures travaillées dans le mois), la hausse s’élève à 37 500 personnes sur un mois. Soit, les B et C comptés ensemble, 51 300 personnes de plus pour mars 2016. Cette hausse est continue depuis un an.

Il n’y a rien d’automatique dans le passage de chômeurs à temps plein à travailleurs précaires toujours inscrits à Pôle emploi (contrats courts et missions d’intérim principalement). Mais une partie des chômeurs de catégories A de mars 2016 sont bel et bien passés à la catégorie suivante. Addition, soustraction, la baisse toutes catégories confondues avoisine donc au total les 8 700 inscrits. Un certain nombre d’économistes analysent néanmoins cette bascule comme un début de reprise économique, corroborant le discours déroulé depuis plusieurs semaines par le pouvoir socialiste : la France va mieux mais les Français ne s’en rendent pas compte (lire notre reportage sur le lancement de « Hé oh la gauche ! »).

« On arrive vraiment sur un plateau. Il y a une amélioration sur le marché du travail », note par exemple Bruno Ducoudré, du département analyse et prévision de l’OFCE sur France Info 3. Dans une interview à Mediapart réalisée en novembre dernier, l’analyste explorait déjà ce scénario : « À l’OFCE, on prévoit une baisse du chômage dans les prochains trimestres à partir du milieu de l’année 2016. Les chiffres de Pôle emploi sont ainsi assez cohérents avec une reprise de l’emploi, qui débute généralement par une augmentation de l’emploi précaire, CDD, intérim, avant de se traduire par une hausse des CDI. »

Les raisons de la reprise ? En premier lieu, les facteurs macroéconomiques, à commencer par la baisse du taux de change de l’euro qui joue en faveur des entreprises, le relâchement de la contrainte budgétaire ainsi que la baisse continue du prix du pétrole. Le gouvernement vante également son bilan, et notamment les exonérations sur les bas salaires accordées aux entreprises. Il y a bien eu une montée en charge du CICE (crédit impôt compétitivité) et du pacte de responsabilité sur la baisse des cotisations sociales, un mouvement qui s’est encore accentué après les annonces de François Hollande en janvier dernier.

Un certain nombre d’observateurs mettent cependant en garde : les sommes investies pour soutenir ces exonérations patronales sont financées au détriment de la politique de la demande, et en parallèle d’une réduction non négligeable des déficits depuis quatre ans. À terme, le retour de bâton sur l’emploi est possible.

Surtout, sur la masse d’inscrits à Pôle emploi, l’effet « reprise » est encore bien ténu. En analysant finement les sorties de Pôle emploi, sur les trois derniers mois, on observe que le retour à l’emploi concerne en réalité 19 % seulement des gens. Pour les autres, il s’agit d’une entrée en stage (9,6 %), d’un arrêt maladie, maternité ou passage à la retraite, et enfin, pour le gros des troupes, d’une cessation d’inscription ou de radiation. Les deux derniers objets cumulés représentent 54 % des effectifs de sortie.

Or la pression administrative pour contracter les chiffres du chômage est un marronnier de la politique publique, et ce gouvernement n’échappe pas à cette règle. Après la généralisation des équipes de contrôle fin 2015 – 200 agents y sont désormais dédiés –, Pôle emploi teste depuis janvier 2016 un nouveau dispositif. En Picardie, Guyane, Corse et Franche-Comté, les agences envoient ainsi aux chômeurs en activité réduite un nouveau questionnaire, dans le cadre de « leur projet personnalisé d’accès à l’emploi ». Sans réponse au bout de dix jours, c’est l’avertissement puis la radiation. Le procédé, décrit par la direction comme une manière de mettre à jour les profils et les cessations d’inscriptions, a été dénoncé par plusieurs sections CGT de Pôle emploi.