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Médiapart - La « casse » de l’hôpital Necker : histoire d’une manipulation politique

Juin 2016, par Info santé sécu social

Par Gazette Debout
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REPORTAGE – Fracasser les vitres d’un hôpital pour enfants. Quel beau symbole pour le gouvernement, avide d’images choc pour discréditer les manifestants et minorer leur rancœur à l’encontre de ses choix politiques. Mais Gazette Debout a pu contacter certains militants qui étaient dans la tête du cortège. Et leur avis est sans appel : tous condamnent ce débordement à l’hôpital Necker.

Dès le lendemain du défilé du 14 juin, le Premier ministre Manuel Valls, s’est précipité à l’hôpital Necker en compagnie de la ministre de la Santé, Marisol Touraine, et du directeur général de l’Assistance Publique des Hôpitaux de Paris (AP-HP), Martin Hirsch. « Ce qui s’est passé ici est intolérable et doit sonner comme un signal d’alarme pour notre société », a-t-il déclaré. Lors d’une interview sur France Inter, il a parlé d’un établissement « dévasté ». De son côté, Bernard Cazeneuve a fustigé « les hordes de manifestants violents » qui s’en prenaient aux « vitres de l’hôpital » annonçant que « l’enfant des policiers tués à Magnanville était hospitalisé ».

Un collectif de chercheurs de l’Institut des maladies génétiques Imagine 3 a également publié dans (ô surprise) Le Figaro une tribune pour dénoncer « la frénésie destructrice et aveugle de ceux qui se sont attaqué au bâtiment » (…). « Cette violence est d’autant plus condamnable qu’elle était préméditée, comme le prouve l’usage d’instruments suffisamment puissants pour briser des vitrages de sécurité d’un bâtiment clairement identifié comme hôpital, structure neutre ouverte à tous mais contrainte de s’enfermer par crainte de l’agression. »

Cette récupération politique a rapidement agacé. Le site Lundi matin a publié le témoignage d’un parent d’enfant soigné à l’hôpital. « Certes, briser les vitres d’un hôpital, même par mégarde, c’est idiot ; mais sauter sur l’occasion pour instrumentaliser la détresse des enfants malades et de leurs parents pour décrédibiliser un mouvement social, c’est indécent et inacceptable ».

Par ailleurs, un membre du personnel soignant, interrogé par France Tv Info, qualifie d’entorse au secret médical les propos de Bernard Cazeneuve. « Beaucoup d’entre nous ne savaient pas que cet enfant était là, et ce n’était pas au ministre de l’annoncer en ‘prime time’. Les médecins ont besoin de tranquillité pour gérer ce petit garçon qui, en l’espace de 24 h, est devenu orphelin et a été instrumentalisé par l’échec politique de ce gouvernement, explique-t-elle. Des voyous ont vandalisé l’hôpital, mais il faut laisser la justice faire son travail. »

Même son de cloche du côté des syndicats, qui dénoncent, toujours chez France TV Info, une récupération politique. « Nous condamnons d’emblée les faits. Cette attaque de casseurs contre un hôpital public est inacceptable et n’a rien à voir avec la mobilisation », explique ainsi Olivier Cammas, représentant CGT à l’AP-HP. « Le problème, c‘est qu’on se retrouve à ne plus traiter le fond, c’est-à-dire l’opposition à la loi Travail, mais seulement à se focaliser sur cet événement médiatique et politique. »

En effet, ni Manuel Valls, ni Marisol Touraine, ni même Martin Hirsch n’ont évoqué la réforme des hôpitaux, dénoncée entre autre par Hôpital Debout. 3

Budgets restreints, cadences de travail harassantes, déshumanisation des relations avec les patients : l’hôpital public doit aujourd’hui se plier aux mêmes logiques de rentabilité que les entreprises.

Mais revenons un instant à l’événement : « l’attaque » des vitres de l’hôpital par ceux que les médias appellent les « casseurs », que nous désignerons ici comme « Black Blocs » par commodité.

Pourquoi auraient-ils décidé de s’en prendre à un tel lieu ? Leurs cibles sont habituellement plus symboliques et anti-capitalistes : banques ou panneaux publicitaires… Cette initiative ne correspond pas vraiment à leurs méthodes d’actions. Pour bien s’en rendre compte, il faut regarder la vidéo d’un journaliste du Monde, Pierre Trouvé 3, qui était présent sur les lieux. Elle a publiée notamment dans L’Autre Quotidien 3 :

Dans l’extrait que nous avons isolé, on voit un homme seul attaquer au marteau les vitres de l’établissement, avant qu’un manifestant (membre de la CGT) ne vienne l’arrêter. Un mode opérationnel bien éloigné de celui des « Black Blocs » comme l’explique Alexandre, militant de longue date : « Ils agissent souvent à plusieurs, et une fois qu’ils ont terminé, ils repartent en courant. Cet homme est reparti seul, les mains dans les poches. C’est très étrange ».

Pour lui, il s’agit soit d’un policier en civil, comme on a pu en voir pendant les manifestations contre la réforme des retraites 3, soit d’un individu isolé, un « abruti ».

« Si les Black Blocs avaient réellement voulu s’en prendre à l’hôpital, plus aucune vitre ne serait intacte aujourd’hui. Regardez ce qui est arrivé à celles des banques qui se trouvaient sur le parcours du cortège », poursuit-il.

Dès le lendemain, les vitres de l’hôpital ont été recouvertes de ballons et de mots « d’excuse » signé des « casseurs ». Certains y ont même déposé des jouets. Les vilains « casseurs » auraient-ils eu des remords ?

Si certains membres ont refusé de s’associer à ces mots d’excuses, au motif que c’était reconnaître quelque chose dont ils ne se sentent pas responsables, tous se sont dits émus qu’un individu s’en soit pris à un tel établissement.

« La majorité, dans la tête de cortège, voit plus ça comme un dommage collatéral qui s’est produit à cause de l’ignorance d’un autonome », explique un proche des autonomes à la Gazette Debout.

« Car nous savons bien que la casse de l’hôpital, c’est le gouvernement qui veut économiser 400 millions d’euros en supprimant 22 000 emplois, pas trois vitres brisées ».

Au final, personne, parmi nos contacts dans les manifestants en tête de cortège, ne cautionne de tels actes.

Rappelons au passage que les manifestations contre la loi travail sont bien moins violentes que celles qui ont eu lieu pour protester contre le CPE. À l’époque, on comptait une trentaine de cocktails molotov par soir, et des voitures étaient retournées pour ériger des barricades. « Les violences étaient autrement plus puissantes. Et que dire de mai 68, ou les « autonomes » pouvaient être 15 000 dans les cortèges. Rares sont les grandes avancées sociales qui se sont faites sans violences en France » conclut Alexandre.