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Médiapart - La maternité parisienne des Bluets sous le coup d’un plan social

Octobre 2018, par Info santé sécu social

1 OCTOBRE 2018 PAR MATHILDE GOANEC

La maternité des Bluets, à Paris, pionnière de l’accouchement sans douleur et foyer militant historique de la cause des femmes, est sous la menace d’un plan social. Une nouvelle crise pour cet établissement piloté par la CGT, dont la gestion est critiquée.

C’est une crise qui n’en finit pas. Les Bluets, emblématique maternité parisienne, pionnière de l’accouchement sans douleur, du droit à l’IVG et de la procréation médicale assistée, sont à nouveau sur la sellette, sous la menace d’un redressement judiciaire. Quinze postes devraient y être supprimés, sur les deux cent que compte l’hôpital, dans le cadre d’un plan social. L’association Ambroise-Croizat de la fédération métallurgie de la CGT, gestionnaire des Bluets mais également de trois centres médico-sociaux de rééducation professionnelle et sociale (CRP), devrait supprimer 35 postes au total dans ces établissements.

Si la situation peut s’apparenter aux déboires classiques que vit désormais l’hôpital, soumis à une pression financière aiguë, la situation des Bluets reste atypique. La maternité, adossée au plateau technique de l’hôpital Trousseau, est une structure associative, mais dont le financement dépend de la tarification à l’activité (T2A). Ce dernier varie donc en fonction des tarifs appliqués chaque année par les autorités de santé, qui ont tendance à les revoir à la baisse. L’équilibre budgétaire est difficile, à moins d’accroître considérablement son activité, de multiplier les naissances et d’accélérer les sorties après accouchement, ce que les Bluets, dont l’équipe milite depuis toujours pour une prise en charge globale de la femme et de l’enfant, rechignent à faire.

À ces difficultés budgétaires s’ajoute la relation exécrable qu’entretient le personnel avec la direction de l’association Ambroise-Croizat. L’hôpital a traversé une grave crise de gouvernance en 2016, que nous avons racontée dans cette enquête. Départ contraint du directeur des Bluets, suivi de démissions en série des médecins et d’une grève du personnel… L’association a été accusée à l’époque par une large part des salariés de « stalinisme », d’interventionnisme déplacé dans les recrutements, voire « d’incompétence » managériale. Une enquête conjointe de l’IGAS et de l’ARS a même alors été diligentée par le ministère de la santé, et la maternité des Bluets s’est retrouvée à deux doigts de perdre sa certification sanitaire.

« Cette crise nous a coûté plus de 3 millions d’euros, on a perdu de l’activité, connu des pertes abyssales et dû réaliser des économies de folie pour se relever, rappelle Virginie Gossez, sage-femme aux Bluets et déléguée syndicale Sud Santé. Mais nous sommes cette année à l’équilibre, malgré tout ce qu’on a subi, et avons obtenu une nouvelle certification, a priori très positive. Alors que nous nous relevons, ce plan social va à nouveau attaquer les forces vives de l’hôpital, amputant de moitié son comité directeur. »

2018 est-il un simple copier-coller de 2016 ? L’ancienne directrice de l’association Ambroise-Croizat, Anissa Chibane, très décriée à l’époque, a quitté ses fonctions, remplacée par Jacqueline Garcia, ancienne responsable du centre de rééducation Jean-Pierre-Timbaud, à Paris. Les suppressions de postes vont d’ailleurs toucher l’ensemble de l’association, plaide cette dernière, qui s’estime pieds et poings liés par l’ARS.

La tutelle administrative exige en effet de « supprimer les lignes hiérarchiques », trop nombreuses selon elle pour une association de 500 salariés : « On essaie de faire monter la mayonnaise sur les Bluets, mais le risque de redressement judiciaire, voire de liquidation, impacte les quatre établissements, insiste Jacqueline Garcia. Si l’hôpital a tenu jusqu’ici, c’est grâce à la trésorerie des trois centres médico-sociaux de l’association. C’est à cela que l’ARS s’attaque aujourd’hui. Il faut pouvoir lui répondre, sans y perdre notre âme. »

Ce n’est manifestement pas l’avis de l’équipe des Bluets, pour le coup unanime sur le sujet. La communauté médicale d’établissement, le syndicat Sud Santé (majoritaire) et même la section CGT des Bluets se sont tous prononcés contre ce plan social, alors que le directeur actuel aurait mis sa démission dans la balance. « L’association cherche à mutualiser les postes et à confier des responsabilités à des proches de la CGT, qui n’ont aucune expérience de la gestion hospitalière, s’indigne Virginie Gossez, qui prend l’exemple des personnes pressenties pour devenir responsable des ressources humaines, de la logistique ou des achats. De quoi détruire, selon les détracteurs de l’association, tous les efforts entrepris depuis deux ans.

« Pensez-vous qu’une femme qui veut accoucher va vérifier sur l’organigramme si tout le monde a bien tous ses diplômes et que les patients vont s’en aller parce que la comptable s’en va ? Soyons sérieux… » Jacqueline Garcia, d’Ambroise-Croizat, n’en démord pas : aucun soignant ne sera concerné par les suppressions de postes. « Faux », répond le personnel, qui relève la suppression de postes de deux aides-soignants, d’un infirmier et de la sage-femme coordinatrice des soins. Une partie de l’équipe critique aussi l’UFM (l’union fraternelle des métallurgistes CGT), propriétaires des locaux, et le coût du loyer, ces un peu plus d’un million d’euros par an que reversent les Bluets à la fédération des « métallos ».

L’ARS, interrogée par le Quotidien du médecin, a reconnu que « la situation en termes de dialogue social est extrêmement dégradée », a nommé un médiateur et avertit : il s’agit du « plan de la dernière chance » pour l’association. Pour un membre de la fédération santé de la CGT, « la mono-activité des Bluets est forcément déficitaire dans le modèle actuel. La CGT n’a pas été bonne gestionnaire ces dix dernières années, et il est normal que les salariés se battent pour leur emploi ». Mais ce proche du dossier croit au rapport de forces pour éviter la liquidation ou la faillite : « Vu l’état des maternités en Île-de-France, fermer les Bluets est impossible sans mettre en péril l’offre de soin parisienne et l’ARS le sait. »

Quelles sont les chances de survie des Bluets ? Une partie du personnel et des médecins sont désormais partisans d’une scission totale avec l’association Ambroise-Croizat, quitte à placer la maternité sous la houlette de l’hôpital public. « Rattacher cette maternité à l’assistance publique des hôpitaux de Paris serait une catastrophe, vu sa tendance gestionnaire ces dernières années, poursuit ce membre de la fédération santé. Pourquoi ne pas imaginer adjoindre à la maternité des centres de santé, pour développer une offre de soin centrée autour de la femme et l’enfant, sur un territoire en difficulté comme l’est parisien ? C’est le projet que nous poussons auprès de l’association. » Mais le climat actuel n’est pas le plus propice à la discussion : les salariés, excédés, ont déposé un préavis de grève pour mercredi 4 octobre.