Le chômage

Médiapart - La négociation sur l’assurance chômage s’ouvre sur des charbons ardents

Février 2016, par Info santé sécu social

Par Mathilde Goanec

En mettant sur la table la dégressivité des allocations avant l’ouverture de la discussion paritaire sur l’assurance chômage, le gouvernement a joué l’ingérence sur un sujet jusqu’ici tabou à gauche. Les syndicats préfèrent taxer davantage les contrats courts.

Le premier ministre Manuel Valls, la ministre du travail Myriam El Khomri, ou encore Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État aux relations avec le parlement, l’ont fait savoir, chacun dans leur registre, plus ou moins cajoleur. Ils souhaitent voir syndicats de salariés et patronat, réunis comme tous les deux ans pour sceller l’avenir de l’assurance chômage, s’entendre pour diminuer le montant mensuel des allocations dans le temps. Une manière d’inciter les chômeurs à se remettre au plus vite sur le marché de l’emploi. Avant eux, François Hollande avait lancé un premier ballon d’essai lors de ses vœux au monde économique et social, appelant les négociateurs pour l’Unédic « à revoir un certain nombre de règles », pour la survie du régime.

Pour asseoir le tout, la Cour des comptes a sorti la calculette, et un rapport le 18 janvier dernier. « Le niveau de la dette de l’Unédic, qui devrait atteindre 35 milliards en 2018, est devenu préoccupant et soulève la question de la soutenabilité du régime d’assurance chômage. » Rien que pour 2015, le déficit s’est creusé de plus de 4 milliards d’euros, en raison notamment de la hausse continue du nombre de demandeurs d’emploi (300 000 chômeurs de plus l’an dernier, dont 90 000 en catégorie A). En s’appuyant sur ce rapport, le message de l’exécutif est clair : faites quelque chose, et vite, car il y a le feu.

Sauf que la dégressivité des allocations chômage est un serpent de mer, qui n’a jamais vraiment fait ses preuves. Actuellement, un demandeur d’emploi touche tous les mois une somme fixe, environ 60 % de son ancien salaire, pendant une période correspondant à la durée de son dernier poste. Entre 1986 et 2001, cette somme était dégressive, sans que les économistes aient noté d’effets significatifs sur le chômage. Mais le gouvernement a promis en octobre dernier, par la voix du secrétaire d’État au budget Christian Eckert, 800 millions d’euros d’économie à Bruxelles, et cherche à tout prix la bonne martingale. Et tant pis si la dégressivité est une mesure habituellement portée par la droite.

Pour le Medef, ainsi que la CGP-PME et l’UPA, organisations patronales présentes autour de la table, la mesure est tout à fait envisageable. Le Medef y voit une piste « parmi d’autres », par exemple le renforcement des contrôles sur la recherche d’emploi (des équipes dédiées ont déjà été déployées depuis septembre 2015 par Pôle emploi), ou le raccourcissement de la durée d’indemnisation. L’Afep, qui regroupe les grandes entreprises, veut carrément une dégressivité de 25 % dès la première moitié des droits consommés.

Du côté des syndicats de salariés, la position est pour le moment unanime. « Nous sommes habitués aux pressions des pouvoirs publics sur la négo, constate Éric Aubin, négociateur pour la CGT. Mais ce n’est pas en période de crise qu’il faut baisser les indemnités chômage, ce serait une folie. » Les syndicats dit « réformistes » semblent sur la même longueur d’onde. « Pour nous c’est clair, ce n’est pas aux demandeurs d’emploi de payer les déficits », estime Philippe Louis, président confédéral de la CFTC, alors que la CFDT rappelle le rôle indispensable « d’amortisseur » social que joue l’assurance chômage. Tous sont cependant conscients qu’il devient urgent de trouver, vu la masse que constituent les trois millions de chômeurs indemnisés, des rentrées d’argent pour sauver l’Unédic. Recul de la borne d’âge pour la CFTC (qui allonge la durée de l’indemnisation au-delà de 50 ans), ou élargissement de l’assiette de cotisations pour Force ouvrière ou la CGT, qui proposent de faire davantage contribuer les gros salaires, chacun fait ses comptes.

La précarité coûte cher à l’Unédic

Un consensus semble cependant être en passe de se former, chez les syndicats de salariés, autour de la « surcotisation » des contrats courts, même si le Medef va vraisemblablement freiner des quatre fers contre toute hausse de cotisation patronale. Structurellement, la précarité coûte effectivement très cher à l’assurance chômage. Sur les CDI, en 2014, le solde entre les cotisations et l’indemnisation était positif de 11 milliards d’euros. Pour les CDD, il est négatif de 8,5 milliards. La logique, qui consiste à éviter de laisser croître la précarité en taxant davantage les employeurs ayant recours à des contrats courts et répétés, avait été initiée lors de l’accord national interprofessionnel de 2013, conforté par la négociation Unédic de 2014. « Nous n’avons pas été assez loin, en écartant par exemple l’intérim de cette majoration, déplore Éric Aubin. La contrepartie était la création d’un CDI intérimaire mais les employeurs n’ont pas joué le jeu, seuls 3 000 contrats de ce type ont été signés contre les 20 000 promis par le patronat. » Véronique Descaq, qui va négocier pour la CFDT, évoque l’hypothèse dans la revue Syndicalisme hebdo d’une « dégressivité universelle », cotisation patronale dégressive en fonction de la durée du contrat, pour contourner « l’enfermement dans la précarité des chômeurs de longue durée, des seniors et des jeunes ».

Les seniors vont bien faire l’objet d’une bataille. Les trois grandes formations syndicales que sont la CFDT, la CGT et Force ouvrière semblent souhaiter que les entreprises ne puissent plus masquer, par des ruptures conventionnelles, des « pré-retraites déguisées, payées par l’assurance chômage ». Les ruptures conventionnelles ont effectivement crû de manière spectaculaire ces dernières années. Près de 360 000 ruptures à l’amiable de CDI ont ainsi été signées en 2015, d’après la Dares. Le service statistique du ministère du travail rappelle aussi qu’un tiers d’entre elles seraient en réalité contraintes par l’employeur.

Une erreur de la négociation de 2014 devrait également être corrigée, d’autant plus que le Conseil d’État, à la suite d’un recours d’associations de chômeurs, a sévèrement désavoué les partenaires sociaux l’an dernier. Ainsi de la durée d’indemnisation spécifique, qui permet à Pôle emploi, si un salarié est licencié et touche des indemnités de départ, de décaler le début de sa prise en charge : syndicats et patronat s’étaient mis d’accord pour passer le différé à 180 jours contre 75 précédemment, plongeant une partie des demandeurs d’emploi dans la détresse financière. La mesure pourrait être revue. « Pour le reste, les partenaires sociaux ont été déclarés incompétents, il faudrait une loi, note Rose-Marie Pechalat, de l’association Recours Radiation. Et pourtant Pôle emploi continue de faire ce qu’il veut et notamment de prélever des trop-perçus sans preuves, allant même parfois jusqu’à prélever sur le revenu de solidarité active au-delà de 20 %, ce qui est totalement illégal. » Les droits rechargeables, dispositif également issu de la négociation 2014 et ardemment défendu par la CFDT, ne bougeront pas, un droit d’option ayant été introduit en cours de route par l’Unédic, devant l’indignation de milliers d’usagers de Pôle emploi.

En 2014, la signature d’une nouvelle convention assurance chômage avait été dénoncée par les intermittents du spectacle, qui s’étaient lancés dans une mobilisation extrêmement dure, pour protester contre la revue à la baisse de leurs conditions d’indemnisation. Le délai de carence qui leur avait été imposé a finalement été pris en charge par l’État et la négociation sur les annexes 8 et 10 (celles qui concernent les intermittents) fera pour la première fois l’objet d’une négociation à part, conséquence de la loi Rebsamen sur le dialogue social, votée l’an dernier. « C’est une bonne chose car le Medef ne comprend absolument rien à la situation des intermittents et voulait sa mort », rappelle Éric Aubin, à la CGT. Mais rien ne dit que la branche patronale spectacle soit plus conciliante, tant elle est protéiforme, sur un arc allant des petits directeurs de théâtre aux géants de l’audiovisuel… « On se méfie énormément parce que qui dit négociation à part dit budget à part, rappelle Samuel Churin, porte-parole de la coordination intermittents et précaires (CIP). Or nous martelons que nous appartenons au régime général, nous ne sommes ni plus ni moins que des précaires avancés. » Selon Les Échos, 150 à 200 millions d’économies seraient spécifiquement demandées à l’intermittence. Faute d’accord sur l’enveloppe, la période de calcul pour les indemnisations (douze ou dix mois) ou la lutte contre les CDD d’usage défendue par la CGT-spectacle, la décision sera renvoyée à la table principale de négociation du régime général. « Notre sort sera alors débattu, comme toujours, entre la poire et le fromage », met en garde Samuel Churin.

Quant aux pressions des pouvoirs publics, elles sont loin d’avoir disparu. Après les ballons d’essai lâchés en amont, les négociateurs dépêchés par chacun des syndicats vont tenter de tenir leur ligne en résistant aux appels du pied du gouvernement. « Il s’agit d’un jeu de rôle, avec des formations parfois très combatives, qui changent de braquet après avoir reçu un coup de fil d’un ministre », confie un habitué de l’exercice. Le Medef, malgré sa bonne étoile auprès du pouvoir socialiste, prend un risque en envoyant un novice, Jean Cerruti, à la table des négociations. « Nous sommes en période pré-présidentielle, la crise est de plus en plus lourde, et nous savons tous que cela risque d’être encore plus tendu qu’en 2014 », craint Éric Aubin, à la CGT, non signataire en 2014. Pour rappel, il suffit qu’une organisation syndicale de salariés signe l’accord pour qu’il soit valide et les partenaires sociaux ont environ quatre mois pour trouver un consensus. Sans cela, c’est l’État qui reprend la main.