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Médiapart - La réforme des APL pénalisera les jeunes travailleurs

Novembre 2020, par Info santé sécu social

26 NOVEMBRE 2020 PAR DAN ISRAEL

Malgré la crise, l’État devrait faire entre 500 et 700 millions d’euros d’économies en modifiant le mode de calcul des aides au logement à partir de janvier. Les plus touchés seront ceux qui entrent sur le marché du travail et les apprentis.

Reportée quatre fois, mais finalement appliquée. La réforme du mode de calcul des APL (aides personnalisées au logement), initialement prévue pour 2019, entrera en vigueur en janvier 2021 pour les 6,6 millions de Français qui en bénéficient, comme la ministre du logement Emmanuelle Wargon l’a annoncé le 20 novembre.

Les APL seront désormais calculées « en temps réel ». Aujourd’hui, le montant accordé dépend des revenus gagnés deux ans plus tôt par le bénéficiaire. Dès le début de l’année, l’aide sera calculée à partir des revenus actuels, ou presque : les revenus pris en compte seront ceux des douze mois précédents, avec une réactualisation tous les trois mois.

Il ne devrait pas y avoir de variation brutale, car les évolutions seront lissées sur les quatre trimestres de l’année. Le montant des aides versées en janvier, février et mars sera ainsi calculé en prenant en compte les revenus de décembre 2019 à novembre 2020. Le premier versement interviendra le 25 janvier pour les locataires du parc HLM et le 5 février pour les locataires du privé.

Pour autant, a juré la ministre, il est impossible de connaître la part des locataires qui verront le montant de leurs aides baisser, ou augmenter. « C’est déjà dur d’anticiper et de voir l’impact en temps normal mais, cette année, c’est encore plus difficile. Beaucoup ont eu leurs revenus impactés par la crise et le confinement. C’est difficile de voir ce qui dépend de la réforme et ce qui dépend de la crise… »

La source de l’embarras ministériel est en fait facile à comprendre. Même si le gouvernement s’en défend, mettant en avant la « justice sociale », la réforme est aussi pensée pour permettre à l’État de faire des économies. Comme le détaillait la loi de finances 2019, l’entrée en vigueur de la loi devait à l’origine permettre 900 millions d’euros d’économies pour les neuf derniers mois de 2019, et 1,2 milliard d’euros pour une année pleine.

Selon Le Canard enchaîné, il était prévu que 1,2 million de foyers bénéficiaires voient leur allocation diminuée, et qu’elle le soit de façon importante : 1 000 euros par an en moyenne. Jusqu’à 600 000 ménages auraient pu perdre toute allocation.

En raison de la crise économique déclenchée par l’épidémie de Covid-19, et de la dégradation des revenus de nombreux ménages parmi les plus modestes, ces économies devraient être moindres. Selon le budget 2021, elles devraient toutefois atteindre entre 500 et 700 millions d’euros. Somme non négligeable, mais chiffre « indicatif et non stabilisé », a précisé Emmanuelle Wargon.

Bien sûr, le gouvernement ne communique pas sur ce point sensible. Il préfère mettre en avant un autre versant de la réalité : une diminution subite de revenus entraînera une hausse de l’allocation versée trois mois plus tard. Beaucoup plus efficace, et utile, que d’attendre deux ans pour voir une amélioration dans le versement de l’APL. C’est indéniable.

Mais dans les faits, une possibilité est déjà offerte par la caisse des allocations familiales de faire recalculer ses droits rapidement en cas de baisse drastique des revenus, comme lors d’une perte d’emploi ou d’une séparation.

Et surtout, parmi les grands perdants de ce changement, on trouve les jeunes actifs, ceux qui touchent un salaire pour la première fois. Ces travailleurs, qui peuvent aussi être des apprentis, continuaient jusqu’à présent à toucher des aides au logement calculées sur les revenus, souvent nuls ou presque, perçus deux ans plus tôt. Ils touchaient généralement le maximum prévu, autour de 300 euros par mois, et perdront à coup sûr entre 100 et 200 euros par mois.

Dès 2018, les syndicats étudiants Fage et Unef, la Jeunesse ouvrière chrétienne, le Forum français de la jeunesse et les comités locaux pour le logement autonome des jeunes (qui accueillent 16 000 apprentis et stagiaires dans leurs résidences) ont réagi dans un communiqué commun. « La réforme des APL aura pour conséquence de diminuer fortement (bien que progressivement) le niveau de ressources des jeunes actifs ou étudiants cumulant étude et emploi », avertissaient-ils.

« Ces allocations ne sont pas seulement une aide au logement, mais une véritable aide à l’entrée dans la vie active et dans un premier logement autonome pour ceux que l’on appelle les primo-installants, expliquait au Monde Jérôme Cacciaguerra, directeur pour l’Île-de-France de l’Union pour l’habitat des jeunes. Ils sont, pour la plupart, très courageux, ont intégré la mobilité et la précarité que la société impose aujourd’hui, et doivent affronter le logement cher dans les métropoles, là où se trouvent leurs formations et les emplois. »

Le gouvernement tente de recentrer les débats sur les étudiants, en assurant que leur situation « sera plus favorable » s’ils ont un petit boulot. Et les APL des 850 000 étudiants bénéficiaires seront « préservées ».

La fondation Abbé-Pierre rappelle néanmoins dans son dernier rapport annuel que la population visée par cette réforme est particulièrement précaire, puisque « 80 % des locataires appartiennent aux 30 % des ménages les plus modestes de notre société » et que « les allocations logement tiennent une place de plus en plus importante dans l’ensemble des prestations sociales » : alors qu’elles en représentaient 13 % en 1975, elles pèsent aujourd’hui pour 35 % dans leur montant.

L’association spécialisée sur les questions de mal-logement appelle à « trouver des aménagements notamment pour les jeunes, pour que des reprises d’emploi ne se traduisent pas par des baisses d’APL trop brutales ». Elle demande surtout que les sommes économisées grâce à la réforme soient utilisées « pour revenir sur les coupes des dernières années et améliorer les APL ».

En effet, le gouvernement a multiplié les coupes dans les APL dès l’arrivée d’Emmanuel Macron au pouvoir. En octobre 2017, ce fut la baisse générale de 5 euros par mois, pour un « gain » total de 400 millions d’euros par an. Les « APL accession », une aide destinée à l’achat de logement ont ensuite peu à peu disparu. Et le niveau des APL a été gelé en 2018, puis seulement augmenté de 0,3 % en 2019, loin du niveau de l’inflation. Économie : plus de 770 millions d’euros, estime la fondation Abbé-Pierre.

Une autre mesure a été invisible pour les locataires, mais très difficile à supporter pour le domaine du logement social : la réduction de loyer de solidarité (RLS), par laquelle les locataires des logements sociaux ont vu baisser leurs APL.

En contrepartie, les bailleurs sociaux ont dû obligatoirement baisser les loyers perçus d’un montant similaire. Le coût a été pour eux de 800 millions en 2018, 900 millions en 2019 et 1,3 milliard d’euros à partir de cette année. Une énorme charge financière, qu’il n’est possible de contrebalancer qu’en vendant des dizaines de milliers de logements, comme le souhaite d’ailleurs le gouvernement.