Réforme retraites 2023

Médiapart - La réforme des retraites termine chaos debout à l’Assemblée

Mars 2023, par Info santé sécu social

La première ministre a pris la parole dans un hémicycle survolté pour annoncer le 49-3 sur la réforme des retraites. Une décision qui montre que le gouvernement a définitivement perdu sa majorité à l’Assemblée, et ouvre une crise politique et institutionnelle majeure.

Mathieu Dejean, Pauline Graulle et Christophe Gueugneau
16 mars 2023

À l’intérieur du palais Bourbon, siège de l’Assemblée nationale, jeudi 16 mars, l’ambiance est quasiment aussi survoltée qu’à l’extérieur, où les manifestant·es se sont rassemblés pour donner de la voix contre la réforme des retraites. À 15 heures, l’hémicycle se remplit bruyamment, le balcon des journalistes est plein à craquer, Yaël Braun-Pivet s’assoit au perchoir.

Mais c’est un faux départ : « Je suspends la séance, le gouvernement n’étant pas représenté aux bancs », lance la présidente de l’Assemblée. Un retard qui a tout du symbole. Des hurlements surgissent de toutes parts. « Inacceptable ! », lance le communiste Sébastien Jumel. Tout le monde reste en place.

Les ministres finissent par arriver quelques minutes plus tard, celui de l’économie, Bruno Le Maire, en tête. Huées à gauche comme à droite. Les député·es de la majorité se lancent dans des applaudissements de fortune. Moment chaotique : la séance est toujours suspendue, Yaël Braun-Pivet attend l’arrivée de la première ministre pour reprendre sa place. Élisabeth Borne fait son entrée dans l’hémicycle sous un « hooooouuuu » géant et les applaudissements debout de la majorité.

Neuf minutes s’écoulent avant que la présidente de l’Assemblée ne parvienne enfin à donner la parole à la cheffe du gouvernement. C’est alors que l’ensemble des député·es de la Nouvelle Union populaire, écologique et sociale (Nupes) se lèvent, en brandissant des pancartes « Démocratie », « 64 ans c’est non », et commencent à entonner La Marseillaise sous le regard satisfait du chef de file de La France insoumise (LFI), Jean-Luc Mélenchon, présent en tribune.

Yaël Braun-Pivet laisse passer le premier couplet. Élisabeth Borne commence à ânonner. Les député·es de gauche enchaînent sur le deuxième couplet et ne s’arrêteront pas jusqu’à la fin de l’intervention de la première ministre. Son discours n’est pas connu, mais sa conclusion, elle, l’est depuis une demi-heure déjà.

Le discours inaudible d’Élisabeth Borne
Un quart d’heure avant l’ouverture de la séance au palais Bourbon, Emmanuel Macron a en effet convoqué un conseil des ministres extraordinaire, et a décidé d’autoriser le recours au désormais fameux article 49-3 de la Constitution, qui permet au gouvernement d’engager sa responsabilité devant l’Assemblée nationale pour faire adopter la réforme des retraites sans vote, à condition de ne pas subir une motion de censure. C’est la centième fois, aujourd’hui, que l’article est utilisé depuis 1958.

Aussi imperturbable qu’inaudible, la première ministre poursuit son discours sous les huées. Du côté du Rassemblement national (RN), des appels à la démission fusent depuis les bancs, où plusieurs élu·es font claquer leurs pupitres. Les député·es de la majorité applaudissent autant qu’ils peuvent, mais souvent en décalé par rapport aux phrases de la cheffe du gouvernement.

De ce moment de chaos ne surnagent que des bribes de discours. Élisabeth Borne s’en prend à celles et ceux qui se sont opposés avec des « insultes » ou du « vacarme » et qui ont, ajoute-t-elle, « remis en cause nos institutions ». Elle pointe aussi du doigt le « mutisme » de l’extrême droite. On l’entend parler de « concertations denses » avec les syndicats, de recherche de « compromis »... Mais, à l’image de ce projet de réforme : rien n’imprime.

C’est au nom de son « attachement à notre modèle social » que la première ministre finit par se dire « prête à engager sa responsabilité » en recourant à l’article 49-3 de la Constitution – pour la onzième fois depuis sa nomination à Matignon. Ne doutant pas du dépôt d’une – voire de plusieurs – motion de censure, Borne ose même, en conclusion : « Un vote aura donc bien lieu comme il se doit. »

La bataille des motions de censure
Il est 15 h 21 quand Yaël Braun-Pivet suspend la séance. La bataille des motions de censure s’engage immédiatement. Marine Le Pen annonce l’intention du RN d’en déposer une. Et les négociations reprennent autour d’une initiative « transpartisane », avec des élu·es Libertés, indépendants, Outre-mer et territoires (LIOT), Nupes, et peut-être même quelques Républicains (LR). Ces motions devraient être votées dans le courant du week-end ou en début de semaine prochaine.

Quelques secondes avant le début de la séance, les député·es Renaissance passent en rang d’oignons devant les journalistes amassés dans la salle des Quatre Colonnes. Stéphanie Rist, élue Renaissance et rapporteuse du texte, fuit les caméras, en glissant simplement qu’elle « espère » un vote. « Je leur ai adressé mes condoléances », raille le député LR Philippe Gosselin, qui fait la queue dans la file.

Une réunion du groupe macroniste vient d’avoir lieu, dans une ambiance électrique. La veille, l’ensemble des membres de la majorité s’étaient prononcés pour aller au vote. Pour eux, ce 49-3 sonne comme une défaite. Une de plus. « On est déçus, pas une voix ne manquait chez Renaissance, confie une députée macroniste. Les LR auraient été mis face à leurs responsabilités, c’est une occasion ratée de les avoir mis face à leur incohérence. »

« Le président de la République redoutait que la motion de rejet passe, d’où ce choix, mais c’est une catastrophe, on a tout perdu, on entre dans une crise institutionnelle et politique dont personne ne sait comment on va sortir », ajoute un autre membre du groupe, conscient que ce jeudi 16 mars ouvre une nouvelle ère : le gouvernement n’a plus de majorité, même relative, à l’Assemblée nationale.

Je voudrais dire aux manifestants que leur mobilisation, leurs jours de salaire en moins, tout cela a payé.
Sandrine Rousseau, députée écologiste

« La motion de rejet du texte allait passer, c’est pourquoi Macron a choisi ce 49-3, c’est scandaleux pour la démocratie », tonne Bertrand Pancher, le président du groupe LIOT. L’écologiste Sandrine Rousseau passe une tête. Évoquant un « 49-3 de trop », elle estime qu’une motion de censure a « de bonnes chances de passer » : « Je voudrais dire aux manifestants que leur mobilisation, leurs jours de salaire en moins, tout cela a payé, c’est grâce à eux que Macron est en difficulté aujourd’hui. »

Un peu plus loin, le communiste Fabien Roussel envisage aussi la suite. Et si la gauche et les syndicats, unis, proposaient un référendum d’initiative partagée (RIP) ? Vu le contexte, obtenir 4,7 millions de signatures serait possible. « Ce serait un formidable signe démocratique, et pendant les neuf mois de collecte des signatures, la loi serait suspendue », glisse-t-il.

« Nous emploierons tous les moyens à notre disposition : motion de censure transpartisane, RIP, caisses de grève… Nous allons continuer, c’est le premier jour de la fin du quinquennat d’Emmanuel Macron », explique aussi la présidente du groupe LFI, Mathilde Panot, avant de rejoindre les manifestant·es réuni·es place de la Concorde, à Paris, avec une délégation d’Insoumis.

Une défaite dans le « déshonneur »
Ce premier jour de la fin du quinquennat s’est déroulé sous haute tension. Juste après le déjeuner, une petite délégation de député·es socialistes passe en coup de vent dans les jardins du palais Bourbon, tous persuadés d’un « game over » très prochain pour Macron. Jérôme Guedj sifflote distraitement « On est là », l’hymne des Gilets jaunes, après avoir regardé sur son téléphone une vidéo des manifestations.

« Si Macron sort le 49-3, ça va remettre une pièce dans la machine du mouvement social, le point politique sera pour nous et à la fin de la séquence, ce sera l’échec de Macron », anticipe le député PS. « Ils ont déjà perdu : maintenant est-ce qu’ils perdent avec honneur ou déshonneur ?, interroge son collègue insoumis Matthias Tavel. L’enjeu c’est de savoir s’ils renversent le gouvernement avec le 49-3 ou s’ils renversent le régime en cas de vote. Vous croyez qu’ils vont tenir quatre ans comme ça ? »

La journée avait pourtant bien commencé pour le gouvernement par un vote du Sénat. Une formalité, la droite y étant majoritaire. Sur 345 votants, dont 307 votes exprimés, 193 ont voté pour, 114 contre le texte négocié, la veille, en commission mixte paritaire. Mais l’analyse du scrutin a montré, là aussi, une légère érosion de la majorité. Lors du vote du texte du 11 mars, ils étaient deux de plus à voter pour.

Dans la vaste salle des conférences du palais du Luxembourg, l’écologiste Mélanie Vogel s’inquiète de la tournure que prendra la suite : « Que Macron recoure au 49-3 ou qu’il opte pour un vote qui va se finir à deux voix près, ce sera une catastrophe, anticipe-t-elle. Ils ont essayé d’acheter les voix des députés une à une, excusez-moi l’expression, mais ce sont des méthodes de “voyous”. Entre les débats contraints, le vote bloqué, l’absence de vote sur l’article 7 à l’Assemblée, le processus parlementaire, quoique constitutionnel, n’a rien eu à voir avec un processus démocratique normal. »

Mathieu Dejean, Pauline Graulle et Christophe Gueugneau