Politique santé sécu social de l’exécutif

Médiapart - La tragédie d’un reconfinement impérieux et prévisible

Novembre 2020, par Info santé sécu social

28 OCTOBRE 2020 PAR CAROLINE COQ-CHODORGE ET DONATIEN HUET

Le reconfinement était écrit dans les courbes épidémiques. Mais depuis l’été, le gouvernement a laissé filer le virus, en agissant trop tard, jamais assez fortement. L’hôpital est donc de nouveau débordé par le Covid, alors qu’en Europe, d’autres font mieux.

À deux mois des fêtes de Noël, le gouvernement fait le choix d’un confinement allégé, auquel échappent une partie de l’économie – les usines, le BTP – mais aussi les écoles, collèges et lycées.

Comme au printemps, il rejette la stratégie de l’immunité collective : il évoque 400 000 morts si le virus n’était pas maîtrisé. Ce chiffre inclut probablement les morts directs du Covid, et les morts indirects, ceux dus à la saturation du système de santé.

Il prend aussi acte de l’inopérance de la stratégie « dépister, tracer, isoler », pourtant évidente depuis plusieurs semaines : le virus est désormais partout, les 1,9 million de tests hebdomadaires du Covid-19 sont pratiqués largement en vain.

Le virus est partout, il n’est plus maîtrisable en raison des nombreuses personnes porteuses du virus sans symptômes, qui ne sont pas détectées, ou le sont trop tard, et contaminent autour d’elles. La France ne sait presque rien des lieux de contaminations (notre article ici). Elle n’a plus qu’une seule arme, fruste, massive et indistincte, pour maîtriser le virus : maintenir à son domicile une majorité de la population afin de ralentir fortement les interactions sociales.

« Nous avons tous été surpris par l’accélération de l’épidémie », affirme-t-il, contre toute évidence. Dans nos pages, l’épidémiologiste Catherine Hill prévoyait pourtant, fin septembre, le débordement du système de santé (lire son interview ici), et elle n’était pas seule.

Le président de la République tente ainsi de diluer sa responsabilité dans la gestion de l’épidémie en insistant sur la situation européenne, redevenue l’épicentre de la pandémie mondiale.

Seulement, la France est un mauvais élève depuis l’été, depuis qu’elle a vu repartir l’épidémie sans rien faire. En conséquence, depuis le début du mois d’octobre, la progression est linéaire, en pente très forte, quel que soit l’indicateur choisi : le nombre de cas positifs, le nombre de nouvelles personnes hospitalisées, le nombre de nouvelles admissions en réanimation, le nombre de décès.

La « tragédie » française, c’est cet été d’inaction, la chimère d’une « vie avec le virus » (lire notre article ici), avant la généralisation du port du masque, puis les mesures insuffisantes égrenées comme un supplice chinois : la fermeture des salles de sport, l’interdiction des rassemblements de plus de 10 personnes, les fermetures avancées de bars et de restaurants, puis le couvre-feu.

Pour être comprises, et admises, il faudrait au moins que ces mesures soient efficaces. Mais elles sont toujours trop tardives, trop faibles. C’est ce que montre la dynamique de l’épidémie dans plusieurs pays européens.

L’Irlande a, elle, fait le choix de casser beaucoup plus tôt sa courbe : depuis le 19 octobre, tous les commerces non essentiels sont fermés, mais les écoles restent ouvertes. Ces mesures ont déjà permis d’inverser la courbe.

Agir fermement, assez tôt, c’est aussi le choix que vient de faire l’Allemagne, elle aussi dans une situation bien plus favorable que la France. Les Länder et l’État fédéral se sont mis d’accord, ce mercredi 28 octobre, sur une fermeture du 2 au 30 novembre des bars et des restaurants, ainsi que des institutions culturelles et sportives, mais pas de ses écoles.

La France est dans la situation d’Israël mi-septembre, quand le pays a dû décréter un confinement strict. Tous les magasins non essentiels ainsi que les écoles ont fermé, les habitants ont été limités dans leur déplacement à un rayon de 1 kilomètre. Un peu plus de deux semaines plus tard, le nombre de cas détectés a commencé à baisser, puis à chuter très fortement. Six semaines plus tard, Israël entame un déconfinement progressif.

L’exemple israélien conduit à s’interroger sur le choix français d’un confinement partiel, dans une si mauvaise posture. La question de la fermeture totale ou partielle des écoles, dans les jours à venir, paraît inévitable. Le supplice chinois risque de continuer. Le gouvernement repousse encore les mesures les plus difficiles, au risque de menacer l’activité économique des fêtes de fin d’année.

Emmanuel Macron affirme avoir appris de la première vague, pourtant la France agit une fois encore au pied du mur, quand la submersion du système de santé paraît, en de nombreux endroits du territoire, inévitable. Le manque de lits ou de personnel n’est pas une explication suffisante à cette nouvelle crise. Quand l’épidémie atteint un tel niveau, aucun système hospitalier ne peut faire face. Si la France disposait de deux fois plus de lits ou de personnels, elle se trouverait débordée dans 10 à 15 jours, contrainte aux mêmes décisions. L’Allemagne l’a bien compris et décide d’agir sur l’épidémie avant de mettre en tension son robuste système hospitalier.

Pour bien mesurer le retard des décisions françaises, il suffit de regarder la courbe des malades du Covid en réanimation. Au lendemain du premier confinement, le 18 mars, ils étaient 771. Ils étaient 3 036 mercredi. Ils sont certes mieux répartis sur le territoire, mais c’est une fausse bonne nouvelle : si une région est submergée dans les prochaines semaines, à l’image du Grand Est et de l’Île-de-France au printemps, elle ne pourra pas compter sur les renforts d’autres régions.

Le décompte macabre des morts du Covid-19 a donc repris : 764 décès dans la semaine du 12 au 18 octobre, à l’hôpital et dans les Ehpad, un chiffre en hausse de 40% par rapport à la semaine précédente (voir la note de bas de page sur la comptabilité des décès). Dans les 3 à 4 prochaines semaines, d’une manière inéluctable, le nombre de morts quotidiens ne va pas cesser d’augmenter. Car les malades graves affluent à l’hôpital : près de 3 000 malades hier, 431 en réanimation. Leur état est toujours aussi grave, très instable. À Marseille, les réanimateurs voient même des malades dans un état « plus grave » que lors de la première vague (lire notre reportage ici).

Mais les malades du Covid ne sont pas les seuls en péril. Le Covid-19 est en train de dévorer hôpitaux et cliniques, qui se délestent des autres malades.

En Île-de-France le 26 octobre, le directeur général de l’Agence régionale de santé d’Île-de-France, Aurélien Rousseau, a écrit aux directeurs des établissements publics et privés : « La situation se dégrade fortement, et celle-ci va avoir des répercussions lourdes sur le système hospitalier », prévient-il. Il leur communique les projections de Pasteur : à la fin de cette semaine, « entre 1 000 et 1 100 lits de réanimation devraient être occupés par des malades du Covid ». En temps normal, il y a 1 000 lits de réanimation en Île-de-France. Au 27 octobre, 836 sont déjà occupés par des malades du Covid-19. Les prévisions de Pasteur seront probablement dépassées.

Pour garder un temps d’avance sur l’épidémie, l’ARS a demandé, lundi, aux établissements d’atteindre un nouvel objectif de 1 775 lits de soins critiques (réanimation et surveillance continue) et 4 797 lits de médecine dédiés au Covid. Pour y arriver, il faut impérativement « déprogrammer toutes les activités chirurgicales (y compris ambulatoires) et médicales dès lors qu’elles sont consommatrices de ressources humaines qui pourraient être utilement affectées dans les services de soins critiques et de médecine Covid ». Les seules activités pour lesquelles l’ARS demande une « attention particulière » sont la cancérologie, le prélèvement et les greffes, la dialyse et la pédiatrie.

« Les données en termes de contamination, d’hospitalisation et d’admission en réanimation sont pires encore que les projections faites par l’Institut Pasteur et de Santé publique France, que certains qualifiaient de “pessimistes”. Dans le même temps, les hôpitaux publics n’ont pas plus de personnels qu’au printemps, et ce personnel est déjà extrêmement éprouvé », alerte la Fédération hospitalière de France (FHF), dans un communiqué, ce jeudi 28 octobre.

La FHF appelle donc à un reconfinement qui « doit être total, c’est-à-dire sur tout le territoire et sauf exceptions à toute heure. Il n’est plus temps de tester des demi-mesures à l’efficacité incertaine ».

Le 14 octobre, en annonçant le couvre-feu, Emmanuel Macron a eu des mots justes sur l’épidémie : « On s’était progressivement habitué à être une société d’individus libres. Nous sommes une Nation de citoyens solidaires. Nous ne pouvons pas nous en sortir si chacun ne joue pas son rôle, ne met pas sa part. »

Faire société, et maîtriser cette épidémie, était un programme politique possible, et même souhaitable. Seulement, depuis l’été, le gouvernement a fait un autre choix : l’économie à très courte vue. Cette deuxième vague, trop longtemps niée, déferle à présent sur une société fragilisée.