Industrie pharmaceutique

Mediapart : Labos pharmaceutiques : le grand racket

Mars 2023, par infosecusanté

Mediapart : Labos pharmaceutiques : le grand racket

Mediapart publie des extraits du livre « Chantage sur ordonnance. Comment les labos vident les caisses de la Sécu ». Dans cette enquête , Rozenn Le Saint révèle les palmarès des laboratoires et médicaments qui coûtent le plus cher à la Sécurité sociale. Et dévoile les « trucs et astuces » des firmes.

La rédaction de Mediapart

14 mars 2023

Combien l’industrie pharmaceutique extorque-t-elle d’argent public chaque année ? C’est la question posée par la journaliste Rozenn Le Saint dans un livre coup de poing, Chantage sur ordonnance. Comment les labos vident les caisses de la Sécu, à paraître le 17 mars aux éditions du Seuil, trois ans après les débuts de la pandémie et le « quoi qu’il en coûte » d’Emmanuel Macron. Si la question peut sembler formulée de façon provocatrice, la lecture des 200 pages, farcies de données exclusives ou véritablement exploitées pour la première fois, achève de convaincre qu’il est urgent de la poser en ces termes. Non seulement aux laboratoires eux-mêmes, mais à l’exécutif.

Spécialiste des questions de santé et collaboratrice régulière de Mediapart, Rozenn Le Saint est aussi la coautrice d’un documentaire remarqué, Médicaments, les profits de la pénurie, diffusé sur Arte en 2022. Ci-dessous, nous publions en avant-première plusieurs bonnes feuilles de son livre, où l’on entend Agnès Buzyn, ancienne ministre de la santé, se « lâcher » contre les méthodes des laboratoires ; où l’on découvre qu’une firme ne voit aucun inconvénient à soumettre l’attribution d’un remède vital à une loterie.

Le « trou » de la Sécu
Depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron à l’Élysée en 2017, le chiffre d’affaires des médicaments remboursés par l’État a flambé de plus de 16 %, pour atteindre 30,4 milliards d’euros en 2021 (1). Les frais de médicaments se sont hissés à un niveau jamais atteint. Cette spirale inflationniste s’est poursuivie en 2022, année de réélection d’Emmanuel Macron. Parmi les causes retenues par l’Assurance maladie, le vieillissement de la population, bien sûr, mais aussi « une augmentation ponctuelle et brutale des dépenses, liée à l’arrivée de nouveaux traitements coûteux ». (…)

Après un record en 2020 à près de 39 milliards d’euros, compte tenu des dépenses dues à la pandémie, le déficit de la Sécurité sociale s’est réduit pour s’établir autour de 19 milliards d’euros en 2022. Le trou de la Sécu... on en entend parler depuis la nuit des temps, comme s’il était appelé à demeurer et à traverser les différents gouvernements. Le budget de la Sécurité sociale est pourtant le socle de notre État providence, qui finance la santé, mais aussi les retraites, les politiques familiales… Plus le trou de la Sécu se creuse, plus il menace le fondement même de notre système de protection sociale à l’avenir. Avant le Covid 19, Emmanuel Macron avait prévu de le combler en 2025. Désormais, le gouvernement prévoit de l’abaisser à 7 milliards d’euros en 2023. Il faudrait donc encore 7 milliards d’euros pour parvenir à l’équilibre des comptes. Mais où trouver cet argent ? Qui priver ?

L’analyse et la hiérarchisation des dépenses de l’Assurance maladie laboratoire par laboratoire offrent une piste encore inexplorée. Selon notre classement du grand racket (tableau ci-dessous), on arrive sans mal à la somme qu’il faudrait dénicher, en additionnant l’argent de la Sécu versé à seulement quatre laboratoires en 2021, ceux qui en profitent le plus.

Pour 2023, pour soulager l’Assurance maladie, le gouvernement demande aux firmes un effort de moins de 1 milliard d’euros seulement sur les médicaments, en l’occurrence de 800 millions d’euros de baisse de prix, comme les années précédentes. À quoi correspond cette contribution ? À une broutille pour cette industrie : en un an, la Sécurité sociale a donné plus du double à un seul laboratoire, Novartis.

Avec leur nom de super héros, ils ont le pouvoir de sauver des vies, mais aussi de siphonner les comptes de l’Assurance maladie. Le premier de ce top est le Keytruda, star du combat contre le cancer. Ce médicament a coûté à lui seul plus de 1 milliard d’euros dans l’année.

Comme beaucoup de produits de santé hors de prix, le Keytruda est peu connu du grand public, car distribué aux grands malades par les pharmacies hospitalières. Il est en tout cas sacré champion toute catégorie, et de très loin, pour la deuxième année consécutive. Cet anticancéreux administré à l’hôpital est commercialisé par le laboratoire américain MSD. Il s’agit d’un remède à base d’anticorps monoclonaux, dont l’apport est souvent présenté comme révolutionnaire. Le Keytruda a l’avantage de soigner des cancers aussi variés que celui de la peau, du rein, du sein ou de l’œsophage.

Pour l’acheter, la Sécurité sociale a donc dépensé 1,2 milliard d’euros en 2021. Cette somme récompense t elle des coûts d’invention élevés ? Pas tant. Les investissements en recherche et développement (R&D) expliqueraient seulement 10 % du prix de vente, selon l’ONG helvète Public Eye (2). Au final, pour ce produit, MSD réaliserait une marge d’environ 80 %. L’argent public alimente donc surtout les profits de cette industrie et de ses patrons.

Celles et ceux qui gèrent ce budget le savent pourtant. Alors que la serveuse apporte nos infusions dans un café parisien, Agnès Buzyn, ministre de la santé de mai 2017 à février 2020, me cite de tête le montant de traitements exorbitants. « C’est toujours plus. Il y a une déconnexion totale entre le prix et le bénéfice réel. S’il y avait une réforme à faire au nom de la défense de l’intérêt public, ce serait de travailler à rompre cette échelle de hausse des prix », en appelle celle qui a commencé à repérer les manœuvres des firmes pharmaceutiques quand elle était à la tête de l’Institut national du cancer (2011-2016).

« Le coup de la niche »
« Des laboratoires développent des médicaments sur des niches, en les choisissant bien pour que l’évaluation montre leur apport extraordinaire, décrit l’hématologue. Cela leur permet d’obtenir un prix démentiel et, dès qu’il est fixé en mettant en avant un faible nombre de patients, ils élargissent les indications afin d’agrandir la population cible. » Il s’agit de demander à la Haute autorité de santé (HAS), qui évalue les médicaments innovants, un remboursement pour une maladie précise d’abord, puis d’autres, dans le but d’augmenter les consommateurs et consommatrices possibles.

Agnès Buzyn a présidé la Haute autorité, précieux poste d’observation des tactiques pharmaceutiques. Ce « coup de la niche », comme elle l’appelle, a été employé par MSD avec le Keytruda : le laboratoire a d’abord demandé son remboursement pour un type très particulier de cancer de la peau, puis un autre, plus fréquent, ensuite, pour soigner un cancer bronchique, puis du système immunitaire, du rein, du sein, de l’œsophage, du col de l’utérus. C’est même devenu le traitement oncologique le plus vendu dans le monde

« L’État est alors coincé, il n’arrive pas à descendre drastiquement le prix et comme de plus en plus de personnes atteintes de différents cancers en ont besoin, les dépenses flambent », déplore l’ancienne ministre. Le poids du Keytruda n’a fait qu’augmenter. En 2018 et 2019, il se trouvait encore sur la deuxième marche de notre podium.

Dans son rapport annuel publié en 2022, l’Assurance maladie note que le Keytruda « est le médicament au plus fort chiffre d’affaires : il a dépassé le milliard d’euros en 2021 en France en raison d’un coût de traitement élevé (34 600 euros en France en 2020) et d’une population bénéficiaire qui progresse fortement (25 200 en France en 2020, après près de 10 000 en 2018) ». Son producteur, MSD, profite à plein de son monopole sur son médicament hyper rentable. (...)

Les stratégies des laboratoires pour imposer des prix stratosphériques n’échappent ni aux autorités scientifiques ni aux ministres de la santé… qui s’y plient, soumis. Les pouvoirs publics ne peuvent pas laisser leur population sans traitement, l’industrie pharmaceutique le sait et en abuse.

Le chantage payant de Vertex
Depuis ses six mois, la mucoviscidose, cette maladie génétique qui empêche le bon fonctionnement des poumons, a envahi la vie de Lucile et celle de sa famille. Toute son enfance et son adolescence, sa survie dépend de chronophages séances de kinésithérapie respiratoire quotidiennes pour désencombrer les bronches d’un mucus épais, nid à bactéries, et de la prise d’une quinzaine de médicaments tous les jours. L’un d’eux impose même de porter longuement un masque branché à un appareil.

L’espoir d’une vie sans ce traitement le plus pénible, sans rendez vous chez le kiné, sans toux, sans risquer d’être placée sous intraveineuse de plus en plus souvent à mesure que l’âge avance et tout simplement d’un avenir au delà de 40 ans vient des États Unis. Un médicament miraculeux y a fait son apparition, le Kaftrio.

Il est autorisé en Europe fin 2018 et la HAS se prononce en faveur de son remboursement en mai 2020, mais les négociations de prix patinent en France, du fait du tarif astronomique exigé par le fabricant. La possibilité d’en bénéficier via l’accès précoce est très restreinte [ce dispositif exceptionnel permet la mise à disposition et la prise en charge financière d’un médicament avant que les négociations de prix avec l’État n’aboutissent. : pendant ce laps de temps, le tarif est unilatéralement et arbitrairement fixé par le laboratoire –ndlr]. Lucile doit patienter. « J’étais partagée. D’un côté, j’étais reconnaissante vis à vis du laboratoire pour sa découverte susceptible de changer notre vie et, de l’autre, le fait qu’il prenne autant de temps pour négocier en demandant un tarif important me procurait un sentiment d’injustice, de colère, d’angoisse et d’impuissance », témoigne l’étudiante parisienne.

Le livre « Chantage sur ordonnance, Comment les labos vident les caisses de la Sécu » de Rozenn Le Saint, éditions du Seuil. © Photo Sébastien Calvet / Mediapart
Quel est ce producteur qui n’hésite pas à priver les malades de son traitement miracle si l’État ne cède pas à ses caprices ? Il s’agit de Vertex, ce fameux laboratoire qui se paie les conseils du cabinet de l’économiste Nicolas Bouzou. Il est redoutable en affaires et en lobbying. C’est même l’entreprise que les négociateurs des prix des traitements craignent le plus au ministère de la santé. Il n’en est pas à son premier chantage émotionnel.

« Un chantage » dénoncé par le député Véran
Les associations de malades redoutent que les négociations s’éternisent comme elles l’ont déjà vécu avec l’Orkambi, un autre traitement pour soigner la même pathologie, commercialisé par Vertex. Il avait pu être distribué au compte goutte en 2016 via la procédure d’accès précoce, avec un prix unilatéralement choisi, donc, estimé autour de 170 000 euros par an.

Puis les autorités françaises ayant refusé d’accorder au laboratoire le prix définitif exigé, il avait menacé de cesser ses essais cliniques en France, et donc de priver des malades de ses traitements d’avenir. Olivier Véran, alors député, avait dénoncé « ce chantage, une tentative de rétorsion sur les patients eux mêmes » et l’association Vaincre la mucoviscidose, un « chantage à la mort ».

Les pourparlers pour son arrivée dans le circuit classique avaient abouti quatre ans plus tard, fin 2019. Et quatre ans pour un malade de la mucoviscidose, c’est extrêmement long. L’état de santé peut se dégrader sévèrement en attendant. Visiblement, le tarif obtenu au final est demeuré élevé puisque, dès 2020, l’Orkambi occupait la dix huitième place des médicaments les plus onéreux pour la Sécurité sociale, avec une facture globale de plus de 180 millions d’euros.

Depuis juillet 2021, Lucile « revit » : elle a enfin eu accès au Kaftrio, à l’âge de 21 ans. « On m’a toujours ajouté des médicaments à prendre. Là, on m’en a enlevé. Je n’ai plus eu besoin d’être alitée avec des piqûres en intraveineuse comme cela m’arrivait tous les six mois dernièrement. Je ne tousse plus, j’ai pris du poids et des muscles, de la force, je suis même secouriste bénévole à présent, ça inverse mon rapport aux soins », se réjouit la jeune fille. Même si la perspective d’un avenir qu’elle ne s’était jusqu’alors pas autorisée à penser et le décompte de l’Assurance maladie, tous les mois, lui donnent le tournis : près de 16 000 euros, soit pas loin de 200 000 euros par an.

Depuis l’annonce de son remboursement à l’été 2021 pour les adolescents et adultes, en une petite demi année seulement, le Kaftrio s’est hissé à la trente huitième place du top des médocs avec un coût de près de 120 millions d’euros. Le montant va grimper en flèche en 2023 car les malades âgés entre 6 et 12 ans vont aussi pouvoir en bénéficier.

Un ministre qui joue les hommes sandwichs
François Braun l’a fait savoir lui même dans les colonnes du Journal du dimanche à la veille de Noël 2022 : les centaines d’enfants qui n’espéraient pas meilleur cadeau sous le sapin auront droit au Kaftrio. Une bonne nouvelle donc, annoncée par l’exécutif, qui apparaît en sauveur. Mais le ministre joue aussi les hommes sandwichs de Vertex : le débat sur le prix indécent du médicament est totalement absent.

Pourtant, le Kaftrio devrait disputer les premières places du top des médocs 2023. Avec plus de 5 000 malades susceptibles de recevoir ce traitement révolutionnaire en tout, la facture pourrait monter à 1 milliard d’euros, directement dans les poches du labo. Encore une fois, c’est davantage que le mince effort collectif demandé par le gouvernement pour 2023 à l’ensemble de l’industrie pharmaceutique, sa contribution dans le but de réaliser des économies sur les médicaments.

Avec son offre réduite de traitements ultra spécialisés et sa poignée de blockbusters, Vertex, la petite start up devenue grande, se fait une place parmi les plus puissantes entreprises pharmaceutiques mondiales en arrivant vingt troisième de notre classement des fabricants qui bénéficient le plus de l’allégeance de l’État en 2021. Il a très vite adopté les codes de la cour des grands.

En plus des anticancéreux donc, rentables pour leurs prix élevés et le volume de ventes attendu, des laboratoires choisissent de se positionner sur quelques pathologies rares. Les malades en attente désespérée de traitements font pression comme ils le peuvent pour y accéder… Et les entreprises pharmaceutiques en jouent.

Même si la population cible demeure restreinte, le coût à l’unité obtenu en se jouant de la détresse des malades est tellement élevé que le marché se révèle extrêmement fructueux, aussi violent que cela puisse paraître. C’est aussi toute l’histoire du médicament le plus cher de France de Novartis : vendu en petite quantité puisqu’il soigne une maladie rare, mais à un prix très élevé.

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La fabuleuse histoire du médicament le plus cher de France
Une seule injection permet à un bébé de survivre à l’amyotrophie spinale. Cette maladie rare provoque une dégénérescence des muscles des jambes, du cœur, des poumons… Dans sa forme la plus sévère, sans ce nouveau traitement, elle terrasse les enfants en moins de deux ans. Grâce au médicament miracle, ils sont sauvés et apprennent à vivre avec leur handicap.

Quand ce type de médicament est trouvé, il suscite d’incroyables espoirs : les familles ont quelques mois devant elles pour en bénéficier avant qu’il ne soit trop tard. Cette lugubre logique pousse à se demander combien coûte la vie d’un enfant. C’est la mortifère question posée par Novartis avec le Zolgensma – sollicité, le laboratoire a refusé nos demandes d’entretien. Il est autorisé en France via le dispositif de « l’accès précoce ».

En théorie, l’État peut demander après coup un remboursement si le différentiel entre le prix imposé via l’accès précoce est trop important par rapport à celui finalement arrêté au terme de la longue partie de bras de fer, toujours en cours s’agissant du Zolgensma. En réalité, l’accès précoce constitue une « période d’essai » du médicament et crée une accoutumance à un tarif élevé : en l’occurrence, Novartis a imposé un prix de près de 2 millions d’euros pour une seule injection !

« Si on commençait à fixer le prix des Airbag en fonction du nombre de vies qu’ils sauvent, le coût des voitures serait beaucoup plus élevé. C’est ce qui se fait pour les médicaments », regrette Jean Poitou, pharmacien et juriste qui donne des cours à la faculté de Grenoble.

Le prix n’est plus du tout corrélé au coût de fabrication, mais à ce que les États les plus riches sont prêts à payer. Ceux ci se retrouvent sous la pire des pressions, celle de la demande des malades, pour accepter au plus vite des tarifs astronomiques au profit de l’industrie. Combien la France a t elle déjà déboursé pour ce remède de tous les excès depuis qu’elle lui a accordé cette autorisation exceptionnelle d’accès précoce ? Le montant total de l’addition n’a jamais été rendu public.

Une facture de 32 millions d’euros pour les soins de 16 bébés
Après plusieurs échanges avec l’Assurance maladie et le ministère de la Santé, je trouve la réponse auprès de l’Agence technique de l’information sur l’hospitalisation (ATIH). En 2020, l’État français a déjà versé près de 40 millions d’euros à Novartis pour soigner seulement vingt bébés et, en 2021, pas loin de 32 millions d’euros pour seize petits malades. Le budget 2022 devrait être équivalent puisqu’il avait été injecté à quinze enfants en septembre 2022. Autant de millions qui manquent à la Sécu.

Avec le maintien d’un tel tarif, ces frais devraient considérablement augmenter au fur et à mesure avec une population cible, c’est à dire un nombre de malades concernés, évaluée entre 60 et 100 chaque année par le CEPS. Le coût annuel pourrait alors avoisiner les 200 millions d’euros. C’est déjà la moitié de l’aide d’urgence arrachée au gouvernement en novembre 2022 pour les services de pédiatrie : les soignants et soignantes ne sont pas assez pour s’occuper de tous les petits malades sévèrement atteints de bronchiolite… Et l’État accepte cette extorsion de fonds sans broncher.

Par ailleurs, avec un tel coût, la plupart des nations n’ont même pas les moyens de se poser la question. « En réalité, ce sont des problématiques qui touchent uniquement les pays riches, les pauvres n’ont pas accès à ces traitements innovants hors de prix », constate l’ancienne ministre française Agnès Buzyn, réaliste. Cela limite déjà le marché potentiel de Novartis qui se concentre sur les pays aux revenus les plus élevés.

Mais cette fois, le prix du Zolgensma pose même problème aux nations les plus riches, du rarement vu. Certaines refusent ce chantage affectif, ce qui réduit encore le marché de Novartis. Le laboratoire entend alors forcer le passage. Comment ? En attisant encore plus la demande. Avec le Zolgensma, on passe à un niveau supérieur. Cette affaire, apogée des prix indécents imposés, montre jusqu’à quel stade de cynisme les laboratoires sont prêts pour gagner plus. (...)

Et Novartis lança un tirage au sort
À la veille des fêtes de fin d’année 2019, commence un conte de Noël de bien mauvais goût. Novartis instaure une sorte de loterie pour offrir cent doses de la thérapie génique dans les pays qui n’ont pas encore donné accès au traitement. Les dirigeants de la firme prévoient un tirage au sort des bébés malades qui gagneraient le droit d’être soignés… Ils ne semblent pas se douter de la vague d’indignation que cette initiative va provoquer.

La France n’est pas concernée, donc, puisque sa Haute Autorité de Santé (HAS) a préconisé de faire bénéficier du Zolgensma à une poignée d’enfants via l’accès précoce avant que les négociations de prix aboutissent (3). La présidente de cet organisme public, Dominique Le Guludec, commente : « Ces innovations comme le Zolgensma sont monstrueusement chères et on ne va pas dire à des parents : “Il y a un traitement, mais il est trop cher pour vous.” Pour l’instant, la France n’a pas fait ce choix, c’est compliqué… » Électoralement parlant, priver des malades d’un traitement révolutionnaire n’est pas payant. Emmanuel Macron et ses homologues le savent. Les laboratoires en jouent.

Via cette loterie, Novartis suscite l’envie, s’assure que les associations de malades concernées du monde entier soient bien toutes au courant que le traitement existe et que, au delà des frontières des nations riches qui ont refusé ce rançonnement, des enfants ont la chance d’être sauvés.

Ce sont celles visées par ce funeste jeu du hasard en cette fin d’année 2019. Agnès Buzyn était encore au gouvernement. Sur Twitter, entre Noël et le Nouvel An, elle se dit « très préoccupée par le tirage au sort mis en place dans certains pays pour l’accès au traitement Zolgensma ».

Trois ans plus tard, elle revient sur ce sinistre épisode. Son costume de ministre de la Santé ôté, elle ouvre les vannes. « J’étais hors de moi quand j’ai appris pour cette loterie. » Puis elle fait ce constat d’impuissance, cinglant : « Les associations qui représentent les patients hurlent car les malades n’ont pas accès à ces médicaments. Au ministère de la Santé, vous vous retrouvez entre le marteau et l’enclume. À la fin, vous mettez le prix car vous ne pouvez pas laisser penser que vous privez votre population d’un traitement efficace existant. » Et ce d’autant plus si les voisins, eux, y ont accès.

Avec ce tarif jamais atteint en France, l’affaire du Zolgensma laisse augurer un angoissant avenir, les pires chantages que l’industrie pharmaceutique pourrait systématiser avec des montants de rançons toujours plus élevés.

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Ce montant n’intègre pas les produits pris en charge par Santé publique France dans le cadre de la crise sanitaire comme les vaccins et traitements contre le Covid 19. « Rapport annuel 2021 » du CEPS publié sur son site le 2 janvier 2023.

Rapport « Nuit à la santé, Des marges de 40 à 90 % sur les médica ments anticancéreux » publié en 2022 par l’ONG Public Eye. Elle a cal culé la profitabilité de plusieurs anticancéreux en Suisse en intégrant le coût de fabrication et même les risques d’échec dans la phase de R&D.

Quand « l’accès précoce » concerne un médicament n’ayant pas encore d’autorisation de mise sur le marché, l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) émet un avis avant que la HAS ne s’empare du dossier. Quand il s’applique à un médicament ayant le feu vert des autori tés sanitaires, mais n’ayant pas encore été admis au remboursement par l’Assurance maladie, la HAS est l’instance qui permet l’accès précoce.

La rédaction de Mediapart