Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Médiapart - Le Covid long, parent pauvre de la recherche française

Mai 2021, par Info santé sécu social

D’après nos informations, les ministères de la recherche et de la santé ont financé pour moins de 3 millions d’euros d’études sur le Covid long. Alors que plus d’un million de Français souffriraient de symptômes persistants, des associations envisagent un « Covidthon ».

« Les recherches sont engagées », a affirmé Emmanuel Macron, le 22 avril, juste avant sa visite à l’hôpital Foch de Suresnes (Hauts-de-Seine), où sont suivis des patients souffrant d’un Covid long. Certes. Mais d’après nos informations, les ministères de la santé et de la recherche ont débloqué à ce jour seulement 3 millions d’euros pour des études sur les formes prolongées de Covid-19. Un budget insuffisant pour percer les mystères de ces maux, souvent invalidants plus de trois mois après l’infection. Les États-Unis, eux, ont trouvé 95 millions d’euros.

Interrogé un mois plus tôt sur le retard européen en matière de vaccins, le président de la République avait pourtant déclaré : « Les Américains ont eu le mérite, dès l’été 2020, de dire “on met le paquet et on y va”. Et le “quoi qu’il en coûte” qu’on a appliqué pour les mesures d’accompagnement, eux l’ont appliqué pour les vaccins et la recherche. »

Car on ne connaît toujours pas l’origine de la persistance de symptômes du Covid et aucun médicament spécifique n’a été trouvé pour soulager les 1,5 million de Français qui pourraient bien avoir souffert, être touchés ou être prochainement concernés par ce syndrome du Covid long.

Autour de 22 % des Français auraient été infectés par le Sars-CoV-2, selon les dernières estimations de l’Institut Pasteur, soit près de 15 millions. Or une étude de l’Office national des statistiques anglais montre que plus de 10 % des personnes infectées par le coronavirus avaient encore des symptômes trois mois après leur test PCR positif. D’ailleurs, la Grande-Bretagne consacre quant à elle 21 millions d’euros à la R&D (recherche et développement) sur le Covid long. La France délaisse-t-elle la recherche sur cette face cachée de l’épidémie ?

« Dans un premier temps, les conséquences à moyen et long terme de l’infection n’étaient pas prioritaires sur les appels à projets lancés par l’Agence nationale de la recherche (ANR). Les pouvoirs publics et les chercheurs étaient dans le rush de la phase aiguë du Covid-19 qui concerne les patients les plus graves, en réanimation. Cela peut se comprendre », relate Olivier Robineau, médecin au service des maladies infectieuses du centre hospitalier de Tourcoing (Nord).

Depuis, l’ANR a choisi de financer 11 projets directement ou indirectement liés au Covid long, à hauteur d’un peu plus d’un million d’euros.

« Le problème, c’est que les membres des comités de sélection ne croient pas encore au Covid long », témoigne Dominique Salmon-Ceron, infectiologue à l’hôpital de l’Hôtel-Dieu, à Paris. Elle s’est vu retoquer une proposition d’étude visant à comprendre pourquoi les tests sérologiques de patients qui souffrent visiblement de symptômes post-Covid ressortent parfois négatifs.

« Il est difficile de convaincre la communauté médicale, commente aussi Olivier Robineau, à Tourcoing. Compte tenu de précédents avec d’autres pathologies infectieuses comme la maladie de Lyme, il y a la crainte de faire du surdiagnostic et de “créer une maladie”. »

Une réticence du monde des blouses blanches à laquelle bon nombre de patients souffrant de manifestations tardives du Covid-19 ont été confrontés, se voyant répondre à l’énumération de leurs symptômes que tout ça, c’est « dans la tête ».

Essoufflement au moindre effort, oppression et douleurs thoraciques, perte de l’odorat, troubles de la mémoire, de la concentration, de l’humeur et du sommeil… Des dizaines de signes cliniques fréquents sont pourtant recensés par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), qui a reconnu le Covid long en août 2020.

L’association AprèsJ20, née sur les réseaux sociaux, regroupe sous son mot-dièse toujours plus de témoignages de patients à qui l’on avait dit qu’ils seraient guéris après 20 jours.

Elle s’est dotée d’un conseil scientifique pour « se donner une crédibilité, d’autant qu’il y a eu beaucoup de déni sur le Covid long. Il y avait les patients en réanimation, les asymptomatiques, et entre les deux, sur un palier qui détruit pourtant une vie, ceux souffrant de Covid long, invisibilisés », estime l’une de ses membres, Amélie Guénolé-Perrier.

Cette Bretonne de 43 ans courait près de 80 kilomètres par semaine avant d’être infectée en mars 2020. Elle a perdu 10 kilos en un mois, puis a connu « un petit mieux et ensuite des rechutes, parfois graves, avec des passages à l’hôpital ».

Son médecin lui a prescrit des antidépresseurs. « Je n’avais jamais pris ces trucs-là, ça ne m’aidait pas du tout, au contraire », témoigne cette mère d’un jeune enfant. Son employeur, lui, a diagnostiqué que son état de fatigue était « psychosomatique ». Ils ont négocié une rupture conventionnelle. Aujourd’hui, elle déploie l’énergie que lui laisse la maladie pour tenter de mieux la cerner et la faire connaître.

Le chercheur Olivier Robineau fait partie du comité scientifique d’AprèsJ20. Il a frappé à la porte du comité ad hoc de pilotage national des essais thérapeutiques et autres recherches sur le Covid-19 (Capnet). Il a obtenu 1,2 million d’euros sur deux ans de la part des ministères de la recherche et de la santé pour réaliser une étude épidémiologique, « Coper ».

Le but ? Relever précisément les symptômes des patients souffrant d’un Covid long en envoyant des questionnaires à des milliers de Français, infectés ou non par le Sars-CoV-2. De premiers résultats devraient être obtenus avant l’été.

Une autre étude de cohorte, « French Covid-19 », menée à l’hôpital Kremlin-Bicêtre, à Paris, est en cours. Une partie concerne le Covid long, ce qui représente un budget d’environ 500 000 euros sur les 2,45 millions accordés au projet dans sa globalité par les ministères de la recherche et de la santé.

Au total, moins de 3 millions d’euros sont donc aujourd’hui dévolus à la recherche sur le Covid long. Un fonds d’urgence de 50 millions d’euros, en tout, a pourtant été débloqué « pour faire face à cette crise sanitaire, destiné en particulier à financer en temps court la recherche sur le Covid-19 », indique le ministère de la recherche. S’y ajoute « la réallocation des moyens », notamment des chercheurs d’instituts publics qui se sont consacrés à la R&D sur le Covid-19 depuis le début de la pandémie.

Des médecins interloqués par ces patients traînant des séquelles invalidantes des mois après leur infection ont aussi mené des projets avec leurs propres forces vives, sans budget supplémentaire.

C’est le cas de Dominique Salmon-Ceron, qui a ouvert une des premières consultations post-Covid de France à l’hôpital de l’Hôtel-Dieu à Paris, en mai 2020. Dans le même temps, elle a lancé l’étude « Persicor » pour identifier les signes cliniques de ses patients, dont les premiers résultats ont été publiés en décembre dans la revue Journal of Infection.

Elle compte à présent sur une possible collaboration avec l’Institut Pasteur, fondation à but non lucratif, pour lancer « Cocolate 2 », afin d’analyser les résultats obtenus sur les différents symptômes.

Toujours au sein de l’assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), l’épidémiologiste Viet-Thi Tran a lui aussi enclenché une étude sur le Covid long sans moyens supplémentaires. « Les recherches ont été lancées car il y en avait besoin », répond simplement le chercheur. Ses résultats ont été publiés le 29 avril dans Clinical Infectious Diseases. Les premiers résultats d’études françaises sur le Covid long ont donc été obtenus avec les moyens du bord.

Parmi les enseignements de son enquête, la qualité de vie des patients post-Covid est d’environ 40 % inférieure à celle de la population générale, et 77 % considèrent l’impact de leur maladie comme « insoutenable ».

Près de 70 initiatives locales de recherche présentant un lien direct ou indirect avec les conséquences du Covid-19 à moyen et long terme ont été recensées en février. Mais elles portent dans 90 % des cas sur des patients hospitalisés.

Or la majorité des malades du Covid long sont suivis en médecine de ville et restent ainsi dans l’angle mort de la recherche. Majoritairement des personnes de 20 à 45 ans, surtout des femmes, ils n’ont pas forcément développé des symptômes graves pendant la phase aiguë de l’infection.

Vers un « Covidthon »
Une prochaine source importante de financements publics sera celle octroyée à la nouvelle agence créée en janvier 2021, l’ANRS Maladies infectieuses émergentes.

L’État prévoit pour celle-ci une rallonge de 80 millions d’euros de financements dans le cadre du programme d’investissements d’avenir, en plus de son budget annuel. « Nous n’atteignons pas les niveaux américains mais cela permet de commencer à construire et coordonner la recherche sur le Covid-19 et les autres maladies émergentes pour mieux préparer l’avenir », commente Yazdan Yazdanpanah, directeur de l’agence.

Il entend consacrer des moyens spécifiques au Covid long, de l’ordre de 4 à 5 millions en 2021. « On est beaucoup dans la crise, c’est normal, mais il faut réfléchir à la manière de venir en aide à ces centaines de milliers de personnes concernées. Rien qu’à l’échelle de mon service à l’hôpital, je vois bien que beaucoup de soignants infectés il y a des mois souffrent encore d’épuisement et autres symptômes », estime Yazdan Yazdanpanah, spécialiste des maladies infectieuses.

Ce fonds sacralisé pour le Covid long permettrait de mener une vingtaine ou une trentaine de projets de recherche, selon Olivier Robineau.

« Il faut aussi du personnel, ce sont les mêmes qui soignent ou effectuent des recherches sur la phase aiguë de la maladie que ceux qui se penchent sur les conséquences à moyen et long terme de l’infection. On nous demande des résultats très vite avec peu d’argent et peu de personnel, on ne peut pas faire des miracles ! », commente le chercheur, membre du groupe de travail sur le Covid long de l’ANRS Maladies infectieuses émergentes.

Ce groupe de travail est composé de médecins, chercheurs et même de l’association de patients AprèsJ20. Cette dernière relaie les questions qui les obsèdent. D’abord, combien de temps vont traîner ces symptômes ? Les premières études, épidémiologiques, donc sur l’évolution de la maladie sur différentes populations, permettent d’apporter des réponses à mesure que le temps passe.

Des victimes d’autres maladies infectieuses respiratoires comme le Sars-CoV-1, qui a essentiellement touché l’Asie du Sud-Est, ou le syndrome respiratoire du Moyen-Orient (Mers-CoV) ont d’ailleurs contacté AprèsJ20, se plaignant elles-mêmes de symptômes persistant des mois, voire des années après l’infection par ces autres coronavirus…

Comment expliquer la persistance de ces symptômes après une infection par le Sars-CoV-2 ? Ils sont si différents que plusieurs mécanismes entrent a priori en jeu. Pour les identifier, il faut réaliser des études de physiopathologie sur des groupes de malades.

« Quand on connaîtra les raisons, derrière, la résolution de l’équation arrivera. On trouvera ensuite des traitements », croit Amélie Guénolé-Perrier, d’AprèsJ20. Pour l’heure, le seul connu est la rééducation, olfactive notamment.

Si l’hypothèse d’une persistance du virus dans le corps des patients souffrant de Covid long était validée, par exemple, chercher quel antiviral pourrait être efficace pour l’éliminer représenterait un grand intérêt.

« L’industrie pharmaceutique ne s’intéresse pas aux premières phases de recherche sur le Covid long mais si une cause était identifiée, l’objectif de vendre un traitement pourrait l’inciter à investir », analyse Olivier Robineau. D’où l’importance de la recherche publique en amont de la R&D.

Par ailleurs, de plus en plus de patients peinent à avancer leurs frais médicaux. Puisque le Covid long n’est pas reconnu comme une affection de longue durée à part entière, il est difficile de faire reconnaître ces symptômes comme tels et donc de bénéficier de la prise en charge à 100 % par l’assurance-maladie.

« Nous en sommes à organiser des cagnottes solidaires pour aider les plus précaires à avancer les frais. La semaine dernière, entre mon test d’apnée du sommeil, la consultation chez le pneumologue, le kiné, j’ai dû avancer 900 euros », illustre Amélie Guénolé-Perrier.

Étudier le nombre de personnes en arrêt maladie du fait de leurs symptômes persistants ou les dépenses de santé engagées chaque mois permettrait d’avancer dans la réflexion de l’amélioration de leur accès aux soins.

L’association AprèsJ20 attend aussi beaucoup de la recherche en sciences sociales pour mieux comprendre pourquoi les médecins ont pu sous-estimer leurs symptômes ou se tromper dans leur diagnostic. Cela a été le cas d’Amélie Guénolé-Perrier comme de milliers d’autres.

Auparavant, elle a travaillé pour le service des relations presse de l’AFM-Téléthon. Alors forcément, l’idée d’un « Covidthon » pour financer la recherche sur le Covid long a émergé.

« Soulever des fonds privés, notamment via de grandes entreprises avec qui nous sommes en contact, permettrait de pallier les budgets insuffisants de la recherche publique et de foncer si un chercheur nous présentait une super idée », explique Amélie Guénolé-Perrier. « Il faut souvent amorcer les études pour pouvoir obtenir des financements par la suite, une fois qu’il y a déjà eu des premiers résultats », souligne aussi Faustine, fondatrice d’AprèsJ20.

L’infectiologue Dominique Salmon-Ceron pousse aussi l’idée d’une collecte de dons. « Le Sidaction a beaucoup joué pour financer des thèses sur le VIH. On est dans une recherche d’urgence, on ne peut pas laisser les gens comme ça, avec des douleurs persistantes partout, au fond de leur lit. »

« Un Covidthon, ce serait super !, réagit quant à lui Olivier Robineau. L’idéal serait d’avoir suffisamment de fonds publics pour n’avoir de comptes à rendre qu’à l’État, mais comme ce n’est pas le cas, les dons privés, et notamment via le mécénat d’entreprise, mettraient un coup d’accélérateur à la recherche. »

Patricia Mirallès, députée La République en marche (LREM), a œuvré pour faire voter une résolution visant à reconnaître et prendre en charge les complications à long terme du Covid-19, le 17 février à l’Assemblée nationale. L’élue de l’Hérault a aussi lutté personnellement pour faire reconnaître ses symptômes persistants.

« Face à mes importantes douleurs dans les bras et les épaules suite à l’infection, un chirurgien m’a dit que je n’avais qu’à faire comme les poules qui avancent la tête, pour me détendre, témoigne la parlementaire. Il est nécessaire d’avancer dans la recherche pour que les patients n’entendent plus des bêtises pareilles. » Elle pousse à « l’organisation d’un gros événement sportif comme le Téléthon ».

En attendant, le 16 avril, avec son association Trouver les maux, elle a organisé un loto pour collecter de l’argent et amorcer un fonds de recherche. 2 500 euros ont été récoltés.