Emploi, chômage, précarité

Médiapart - Le confinement allégé met les chômeurs au régime sec

Novembre 2020, par Info santé sécu social

9 NOVEMBRE 2020 PAR CÉCILE HAUTEFEUILLE

Contrairement au premier confinement, aucune annonce n’a été faite en faveur des demandeurs d’emploi. La ministre du travail estime que cette fois l’économie « n’est pas figée ». Pourtant, les offres restent en baisse et certains demandeurs d’emploi sont à bout, financièrement comme psychologiquement.

« Je tourne en rond sur les offres. Il n’y a pas grand-chose. » Lucie, une Toulousaine de 27 ans, désespère. Elle recherche des missions d’intérim dans la préparation de commandes. En vain : « Je n’ai travaillé que trois jours le mois dernier. J’ai gagné 154 euros. » Ce sera sa seule et unique ressource, pour débuter le mois de novembre.

Lucie n’a plus de droits au chômage, épuisés depuis septembre. Elle ne peut pas prétendre à l’allocation de solidarité spécifique (ASS), car les revenus de son compagnon, qui est en contrat d’apprentissage, dépassent légèrement le plafond de ressources autorisé. « Ça se joue à quelques dizaines d’euros en trop », précise Lucie. Le RSA ? « Je n’ai même pas tenté de le demander. » La jeune femme a toujours travaillé dans l’intérim. Jamais elle n’a connu de telles difficultés. « À cette période de l’année, normalement on commence à préparer Noël, explique-t-elle. On a l’embarras du choix, il y a du travail. Là, j’ai l’impression que c’est très calme. »

Ce n’est pas juste une impression. Le nombre d’offres d’emploi est bel et bien en baisse. Après une chute historique en avril (– 72 %), le volume d’offres collectées par Pôle emploi n’a pas retrouvé un niveau normal, loin de là (selon les chiffres de la Dares). En septembre – avant même le nouveau confinement –, le nombre d’offres était encore en recul de 19 % en France, par rapport à l’année précédente. C’est pire dans certaines régions et certains départements : – 34% en Île-de-France ; – 37 % en Haute-Garonne. Et ça ne semble pas s’améliorer depuis la mise en place des nouvelles restrictions.

Pourtant, aucune mesure n’a été prise pour les demandeurs d’emploi. Au printemps dernier, les allocations des chômeurs en fin de droits avaient été prolongées, jusqu’au 31 mai. Cette fois, rien. Les demandeurs d’emploi n’ont même pas été évoqués au cours de la conférence de presse de Jean Castex et de plusieurs ministres, le 29 octobre.

Pour le justifier, la ministre du travail avance l’argument d’un confinement allégé grâce auquel « l’économie n’est pas figée et des secteurs recrutent », dit-elle, citant sur RTL « le BTP, les métiers du soin et de l’industrie ». Des propos qui ont ulcéré bon nombre de demandeurs d’emploi. « On doit tous se reconvertir en quelques jours, c’est ça l’idée ? », ironise Jérémy, 33 ans. Lui cherche du travail depuis des mois dans les relations publiques, en région parisienne. Il a vu des annonces pour lesquelles 200 candidats se présentaient. Et il a bien senti la frilosité des entreprises devant la perspective d’embaucher.

De guerre lasse « et surtout pour vivre », il vient de signer un CDD de quatre mois. Le poste et le salaire sont en deçà de ses ambitions. « Disons que c’est alimentaire », évacue Jérémy. Il n’avait pas le choix. Ses droits au chômage devaient s’épuiser le 15 novembre. Il s’estime heureux d’avoir trouvé ce travail in extremis. Et se dit heurté par l’absence de mesures en faveur des plus précaires. « C’est à hurler. Les chômeurs sont invisibles. »

« Le gouvernement s’est moqué des précaires pendant le premier confinement. Maintenant c’est de l’indifférence totale », peste Thomas* (le prénom a été changé à sa demande), un Lyonnais de 37 ans qui enchaîne les missions d’intérim dans les fonctions supports et approvisionnement. Il regrette que les droits des chômeurs n’aient pas été gelés pendant un an, comme pour les intermittents du spectacle. « Je n’ai jamais eu autant de périodes d’inactivité qu’en 2020, dit-il. Je travaille peu et je consomme mes droits. Il me reste cinq mois de chômage, à 1050 € par mois. »

En mars, un CDI lui avait échappé. Il devait le signer le premier jour du confinement. Aujourd’hui, l’entreprise n’envisage même plus d’embaucher. L’histoire vient de tristement se répéter. Il souffle : « Je venais de terminer une mission et devais enchaîner un autre contrat, le 2 novembre. Il a été annulé. J’en ai pleuré, j’étais effondré... »

Thomas enrage devant le discours de la ministre du travail : « Elle est déconnectée ! Qu’elle vienne passer une journée avec moi, je l’invite à me regarder chercher du boulot. » Chaque matin, dès 8 h 30, Thomas ouvre son « tableau de combat ». Un fichier Excel dans lequel il note scrupuleusement toutes les annonces auxquelles il répond. « Quand j’en inscris cinq à sept par jour, je considère que ma semaine est réussie. » Mais en ce moment, les succès se font rares. Peu d’offres, beaucoup de candidats et quasiment jamais de réponse.

Thomas ne nourrit plus d’espoir. « Je me suis conditionné pour ne plus être déçu », dit-il. Lucie ressent le même découragement : « J’ai le profil mais je ne suis jamais rappelée. C’est vexant. Ça démoralise d’être recalée pour du boulot alimentaire. » Tous deux constatent que certaines offres sont datées, périmées, déjà pourvues. Ou publiées en double, voire en triple par plusieurs agences d’intérim. « Sur le papier, ça donne l’impression qu’il y a de l’offre, ça fausse tout », déplore Thomas.

« Chaque jour, tu tombes d’un étage », décrit Jennifer, 32 ans. Avant le mois de mars, cette jeune femme était cheffe de rang, en extra, dans un hôtel haut de gamme de la région parisienne. Du jour au lendemain, elle n’a plus du tout travaillé. Ses droits au chômage se sont réduits à peau de chagrin. Pendant la saison estivale, Jennifer a alterné mi-temps et temps-plein dans un snack de plage. Et arraché, péniblement, les 610 heures nécessaires pour recharger ses droits.

Car si la réforme de l’assurance-chômage a été suspendue, un point n’a pas été modifié : le rechargement des droits reste plus difficile. Environ quatre mois de travail sont nécessaires, contre un mois auparavant. Là encore, les plus précaires le paient cher en cette nouvelle période de confinement. Et ce n’est pas terminé. La réforme (dont les effets ont été détaillés ici par Mediapart) est censée s’appliquer en avril 2021. Les partenaires sociaux doivent en discuter avec Élisabeth Borne le 12 novembre. Si elle devait s’appliquer comme prévu, ses effets seraient encore plus catastrophiques, à cause de la crise. Selon de nouvelles prévisions de l’Unédic (le gestionnaire de l’assurance-chômage) dévoilées par France Inter, 400 000 personnes verraient leur indemnisation baisser de 40 %. Et 1,2 million seraient, au total, concernées par les mesures.

Les principaux perdants : toutes celles et ceux qui multiplient justement les contrats courts. Sur CNews, la ministre du travail a assuré que ses services « regardaient attentivement » la situation des personnes « qui enchaînent les CDD, qui ne trouvent plus de travail et sont en fin de droits ».

Il serait temps. Cela fait maintenant huit mois que les travailleurs des secteurs de l’hôtellerie-restauration, événementiel et tourisme alertent quotidiennement sur les drames qui se jouent. Mediapart en a fait l’écho à de nombreuses reprises (ici, ici ou encore ici ou là). « Ils nous entendent. Ils nous voient. Mais maintenant c’est clair : ils nous ignorent, commente froidement Jennifer, qui s’attend à ne plus travailler dans les prochains mois. On a l’impression que ça discute, encore et encore, mais il ne se passe jamais rien. »

Le gouvernement semble vouloir gagner du temps. Les chômeurs, eux, perdent espoir.