Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Médiapart - Le handicap intellectuel, oublié des priorités vaccinales

Avril 2021, par Info santé sécu social

7 AVRIL 2021 PAR CAROLINE BOUDET
Une grande partie des personnes porteuses d’un handicap mental ne sont toujours pas prioritaires à la vaccination, contrairement à ce qui se pratique dans des pays voisins. Elles ont pourtant sept fois plus de risque de décéder des suites d’un Covid-19.

« C’est une situation incompréhensible. » Marion Aubry, vice-présidente de Toupi (Tous pour l’inclusion, association d’information et de soutien aux personnes porteuses de handicap cognitif), ne cesse de s’interroger. Elle a interpellé les autorités, sur les réseaux sociaux, par mail et via le Comité national consultatif des personnes handicapées (CNCPH) : en France, au contraire de ce qui se pratique dans des pays voisins, les personnes qui vivent avec un handicap intellectuel ne sont pas prioritaires à la vaccination contre le Covid-19.

Pourtant, la récente étude française EPI-PHARE, autoproclamée « l’une des plus vastes jamais réalisées en population générale sur le Covid », est très claire : les personnes avec un retard intellectuel ont quatre fois plus de risque d’être hospitalisées, et sept fois plus de risque de décéder des suites du virus que la population générale. Juste devant les personnes qui souffrent d’insuffisance rénale et les malades de cancer du poumon.

Cette vulnérabilité est notamment étayée par une étude publiée par Public Health England, l’équivalent britannique de Santé publique France, selon laquelle « les personnes avec une déficience intellectuelle ont plus de risques de ne pas reconnaître les symptômes du Covid-19, plus de difficultés à suivre les recommandations sanitaires à se faire tester, s’isoler, maintenir la distanciation sociale et prévenir l’infection. Il peut aussi être plus difficile pour leurs aidants de reconnaître les symptômes, si ces personnes ne sont pas en mesure de communiquer ». Par conséquent, dès février, le gouvernement britannique a invité ces personnes à se faire vacciner en priorité.

En Allemagne, celles-ci figurent dans les catégories prioritaires depuis le lancement de la vaccination. Rebecca Dernelle-Fischer, 42 ans, vit à Albstadt (Bade-Wurtemberg). Elle est mère de trois filles, dont la petite dernière, Pia, est porteuse de trisomie 21. Rebecca vient de recevoir sa première injection d’AstraZeneca : « Les personnes avec un handicap intellectuel sont sur la liste 2 des priorités au vaccin et deux de leurs proches aidants peuvent se faire vacciner. » Pas de complication : il a suffi à Rebecca de prendre rendez-vous puis, le jour J, de montrer deux justificatifs de sa situation d’aidante familiale.

Pendant ce temps, en France, la Haute Autorité de santé (HAS) a répondu fin mars, dans un mail à l’association Toupi que Mediapart a consulté, « avoir bien pris connaissance des résultats de l’étude EPIPHARE […]. Ils ne peuvent constituer à eux seuls, des éléments suffisants pour établir un lien entre la déficience intellectuelle et la survenue de décès associés à la Covid-19 compte tenu de la nature observationnelle de cette étude ». C’est pourtant sur la base de ces observations que, début février, les personnes atteintes de troubles psychiques ont été intégrées dans les priorités.

« Les adultes handicapés en foyer de vie ont été complètement oubliés »

Interrogée par Mediapart, la Direction générale de la santé (DGS) tient à rappeler que « dès le début de la campagne de vaccination, la France a choisi de classer parmi les publics cibles une partie des personnes atteintes d’un handicap ». Cette partie, ce sont les quelque 50 000 personnes hébergées en maison d’accueil spécialisée (MAS) et foyer d’accueil spécialisé (FAM), des résidences médicalisées.

Qu’en est-il des autres ? Le nombre de Français porteurs d’un handicap intellectuel est estimé à 700 000. Parmi eux, les adultes porteurs de trisomie 21 sont bien, depuis la mi-janvier, prioritaires, car de nombreuses études ont démontré leur sensibilité accrue aux infections pulmonaires. On est donc encore loin du compte : la France ne compterait pas plus de 60 000 personnes trisomiques, enfants compris (or la vaccination ne leur est pas ouverte).

Et pour les autres, et leurs proches ? La DGS avance un seul critère : « L’âge reste le facteur principal de décès pour cause de Covid-19 ». Même régime pour les handicapés intellectuels que pour la population générale, donc.

Interrogé par Mediapart, le Pr Alain Fischer, à la tête du conseil d’orientation de la stratégie vaccinale, répond : « Nous nous apprêtons à faire une recommandation en ce sens », probablement pas avant la mi-avril. Pourquoi ce nouveau retard à l’allumage ?

Du côté de l’Unapei, première fédération du pays d’associations de soutien et de défense des personnes avec un handicap mental et de leurs proches, on reconnaît que « c’est compliqué ». Christian Biotteau, président de la commission santé de l’Unapei, explique : « Sophie Cluzel [secrétaire d’État aux personnes handicapées – ndlr] nous a bien aidés en priorisant la vaccination des personnes avec trisomie 21, puis de celles qui vivent en MAS et FAM. Mais les adultes handicapés en foyer de vie ont été complètement oubliés. » Récemment, les clusters dans ces foyers se sont multipliés, comme à Illkirch, en Alsace, où le personnel se dit « abandonné et sans consigne » de la part de sa direction.

Christian Biotteau souligne, comme d’autres proches de personnes handicapées intellectuelles, que la priorité des vaccins ne fait qu’illustrer un problème plus profond : celui de l’accès aux soins médicaux. L’assurance-maladie soulignait encore dans une étude de 2020 le moindre recours aux soins des personnes en situation de handicap, malgré davantage de problèmes de santé que dans la population générale.

Christian Biotteau se souvient avec angoisse des cas de résidents du secteur médico-social malades du Covid pour lesquels, pendant la première vague, des décisions de « non-hospitalisation et sédation profonde » ont été prises. D’autres observateurs associatifs s’interrogent aujourd’hui : « Peut-être que beaucoup de gens ne voient aucune raison médicale ou biologique à cette priorité vaccinale et que cela serait difficile à faire accepter à la population générale ? »