Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Mediapart : Le passeport vaccinal vanté par la Commission fait déjà des vagues

Mars 2021, par infosecusanté

Mediapart : Le passeport vaccinal vanté par la Commission fait déjà des vagues

3 mars 2021

Par Ludovic Lamant

La Commission européenne veut dévoiler un projet de passeport vaccinal censé faciliter les déplacements à l’approche de l’été. Un nouveau coup de canif à l’encontre de la liberté de circulation, s’inquiètent des eurodéputés.

Alors que l’Union européenne peine toujours à convaincre de l’efficacité de sa stratégie d’achats groupés de vaccins – de plus en plus d’États membres se tournant vers Israël, la Russie ou la Chine, pour tenter d’obtenir de nouvelles doses –, Ursula von der Leyen s’est dépêchée d’annoncer 3, en début de semaine, son projet de « passeport numérique vert ». Un passeport vaccinal destiné à tous les Européens, inspiré du carnet jaune de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), et que l’exécutif européen s’est engagé à présenter plus en détail courant mars.

On trouverait, en particulier, trois informations sur ce document qui devrait être entièrement numérique : si la personne a été vaccinée, si elle a réalisé récemment un test PCR négatif, ou encore si elle a été malade du Covid et dispose d’anticorps. « Il devrait faciliter la vie des Européens », s’est réjouie la présidente de la Commission. Von der Leyen apporte ainsi des gages aux pays du Sud, Grèce, Italie et Espagne en tête, impatients de tout faire pour sauver la saison touristique qui s’annonce.

Paris et Berlin s’étaient d’abord montrés réticents face à ce projet. Il n’était pas question, expliquait-on à l’Élysée en début d’année, de rendre la vaccination obligatoire, ou encore de créer une société à deux vitesses, entre vaccinés (les plus âgés et les professions les plus exposées) et non vaccinés (les plus jeunes). Si le rythme actuel de vaccination se poursuit en France dans les semaines à venir, à peine 28 % de la population serait vaccinée à la fin septembre, calcule le journal Politico 3. Loin de l’objectif de 70 % d’adultes d’ici la fin de l’été fixé par la Commission.

Mais la France et l’Allemagne ont adouci leur position, lors du sommet européen de la semaine dernière. Notamment parce que le document prendrait aussi en compte les tests PCR négatifs. Il n’y a que Sophie Wilmès, la ministre des affaires étrangères de la Belgique, à s’être opposée vivement 3 à ce futur sésame : « Pour la Belgique, il n’est pas question de lier la vaccination à la liberté de se déplacer en Europe. »

Le débat ne fait que commencer, alors que les eurodéputés devront se prononcer sur le texte, peut-être dès le printemps. « D’un point de vue scientifique, nous n’avons pas assez de recul, s’inquiète l’eurodéputée écolo Michèle Rivasi. Nous ne savons pas si les gens vaccinés continuent de porter le virus. Nous ne connaissons pas non plus la durée de vie des anticorps. Je vois mal comment se lancer dans un “certificat vert” si l’on ne sait pas tout cela. » Elle dénonce l’emprise d’« un lobbying du transport et du tourisme », mais aussi d’« un lobbying du numérique », qui expliquerait la précipitation des autorités européennes : « Nous allons beaucoup trop vite ! », soupire-t-elle.

« La pandémie ne doit pas remettre en cause la liberté de circulation, renchérit la Belge Saskia Bricmont, une autre élue écologiste. Nous plaidons chez les Verts pour la mise en place de mesures les plus coordonnées possible, au niveau européen, de testing et de mise en quarantaine, qui sont des alternatives au passeport. » Sous la pression des variants anglais et sud-africain, plusieurs pays européens ont rétabli des contrôles aux frontières en ce début d’année, à commencer par l’Allemagne avec l’Autriche, la République tchèque et la France. Autant de mesures qui mettent à mal, là encore 3, la libre circulation prévue par l’espace Schengen.

L’eurodéputé socialiste belge Marc Tarabella, lui, n’est pas du même avis : « Je ne suis pas offusqué. Je tiens à Schengen comme à la prunelle de mes yeux. Mais il me semble acceptable de restreindre temporairement la liberté de circulation au nom d’un impératif de santé. L’important, c’est que ce soit temporaire. Les vrais sujets de débat, c’est le nombre d’entrées chaque jour dans les hôpitaux, c’est la lenteur de la campagne de vaccination. »

Pour l’eurodéputé LREM Pascal Canfin, « il est probable qu’un jour, nous arrivions à ce passeport, mais à ce stade, il est trop tôt ». L’influent patron de la commission Environnement du parlement de Strasbourg parie sur une mise en orbite, au mieux, au deuxième semestre 2021 : « Tant que tous ceux qui veulent se faire vacciner, ne peuvent pas se faire vacciner – et l’on sera encore dans cette situation jusqu’à l’été –, la mise en place d’un passeport vaccinal n’a pas de sens. Cela reviendrait à créer une entrave totalement injustifiée à la liberté de circulation. Juridiquement, cela ne tient pas : on ne peut discriminer sur la base du vaccin, s’il n’est pas accessible à tout le monde. »

Autre sujet d’inquiétude : la protection des données privées. « Cela ouvrirait une porte que l’on n’a pas envie d’ouvrir, avance Saskia Bricmont. Qui va gérer ces plateformes où vont remonter les informations en matière de santé ? Des autorités publiques ou des compagnies privées ? Cela pose énormément de questions. » Michèle Rivasi, de son côté, s’inquiète d’un débat parlementaire bâclé, au nom de l’urgence de la gestion de crise, et plaide, au lieu d’un passeport, pour une généralisation de tests salivaires, plus fiables et plus rapides.

Le passeport sera à l’ordre du jour d’une réunion la semaine prochaine d’un groupe de contact entre une poignée d’eurodéputés et des responsables de la commission, consacré à la crise sanitaire. « Les discussions doivent se dérouler en lien avec l’OMS, on ne peut pas penser ce type de passeports sur la base de règles uniquement européennes, insiste Pascal Canfin. Et très vite, des questions complexes vont se poser : pourrait-on délivrer, par exemple, une autorisation de voyage en Europe à un Chinois vacciné par le vaccin chinois, qui n’est pas autorisé chez nous ? »

Avec cette annonce d’un « passeport vert numérique », la Commission semble vouloir préempter le débat, pour éviter une énième cacophonie dont l’Europe a le secret. L’exécutif se souvient avec des sueurs froides de la première vague du Covid, lorsque les États avaient fermé leurs frontières intérieures au printemps 2020, et que l’exécutif européen avait eu toutes les peines du monde à imposer une approche commune.

Sur le terrain, des États s’organisent déjà pour des solutions bilatérales « à la carte ». Ainsi la Grèce a conclu un accord en février avec Israël, où le taux de vaccination est l’un des plus élevés de la planète, pour permettre aux citoyens israéliens immunisés de voyager sans obstacles dans le pays. Un accord similaire est à l’étude avec le Royaume-Uni. Interrogé par le Financial Times 3, le patron de l’agence de voyages en ligne Lastminute.com, Marco Corradino, doute que l’Europe parvienne à mettre en route ce passeport vaccinal dès juin, et prédit plutôt la multiplication des accords sur le modèle Grèce-Israël.

Ce retour du « chacun pour soi » coïncide avec une batterie d’annonces qui en disent long sur l’état des inquiétudes qui traversent les Européens – mais aussi sur la difficulté de tenir un front uni, à 27, dans la gestion de la crise sanitaire. Les dirigeants autrichien et danois, qui regrettent la lenteur des procédures européennes d’autorisation des vaccins, devaient se rendre en Israël jeudi, pour discuter d’une coopération pour produire des doses de vaccins.

De son côté, la Pologne lorgne des vaccins chinois, dans le sillage de la Hongrie 3 – vaccin qui n’a pas été approuvé par l’autorité européenne du médicament. Quant à la Slovaquie, elle vient de commander deux millions de doses du russe Spoutnik. Mardi midi, les porte-parole de la Commission répétaient que « les États membres ont le droit de travailler avec d’autres entreprises [que celles retenues par la Commission pour sa stratégie vaccinale – ndlr] mais notre priorité reste la sécurité et l’efficacité ».