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Médiapart - Le transfert des cotisations sociales vers la CSG annonce un changement de logique pour le modèle social français

Juin 2017, par Info santé sécu social

Par Romaric Godin

Le gouvernement d’Édouard Philippe envisage de supprimer deux cotisations sociales payées par les salariés et de relever la CSG. Une mesure présentée comme un soutien au pouvoir d’achat. Mais les gains de pouvoir d’achat seront inégalement répartis et cette décision induit un changement complet et majeur de modèle social pour la France.

Le transfert de deux cotisations sociales salariales vers la contribution sociale généralisée (CSG) est une des mesures phare du programme d’Emmanuel Macron. Sa mise en place a été confirmée pour le 1er juillet 2018 par le premier ministre Édouard Philippe et présentée comme une mesure de soutien au pouvoir d’achat. Pour rendre la mesure encore plus visible, le ministre de l’action et des comptes publics Gérald Darmanin a, du reste, dès ce mercredi 7 juin au matin, annoncé le report d’un an, « pour permettre un audit et une expérimentation », de la retenue à la source de l’impôt sur le revenu. La mesure, il est vrai, ne faisait pas l’unanimité, notamment au sein de l’administration fiscale. Mais l’occasion était aussi trop belle. L’effet de ce transfert des cotisations vers la CSG sur la feuille de paie eût été invisible pour les salariés en cas de passage, le 1er janvier prochain, à la retenue à la source.

Y aura-t-il réellement un gain de pouvoir d’achat ? La mesure envisagée prévoit de supprimer deux cotisations payées par les salariés : la cotisation santé (0,75 % du salaire brut) et la cotisation chômage (2,4 % du salaire brut). Parallèlement, la CSG sera relevée de 1,7 point pour se situer à 9,2 % d’environ 98,25 % du salaire brut. Pour l’immense majorité des salariés, il y aura donc un gain net. D’un côté, le salaire augmentera de 3,15 % du salaire brut, de l’autre il baissera de 1,67 % du salaire brut. Soit une augmentation de 1,48 %. Pour un Smic, soit 1 480,27 euros brut par mois, le gain sera de 21,9 euros mensuels, soit 262,8 euros annuels.

Globalement, les gains de pouvoir d’achat progressent proportionnellement avec les revenus. Selon les calculs du cabinet FiDroit publiés mardi 6 juin dans Le Figaro, un salarié gagnant 20 000 euros mensuels récupérera dans ce transfert vers la CSG 1 690 euros annuels, soit 130 euros mensuels. Cela pose un problème en termes macroéconomiques. Pour deux raisons. D’abord, la mesure va augmenter les inégalités entre les salariés. Ensuite, on sait que les gains de pouvoir d’achat issus des baisses d’impôts favorables aux plus fortunés finissent plus volontiers dans l’épargne que dans la consommation. Pour développer la consommation, il faudrait plutôt favoriser les salaires les plus modestes.

En réalité, la situation est plus complexe. En effet, les cotisations chômage sont calculées au maximum sur quatre fois le plafond de la Sécurité sociale, soit 13 076 euros. Pour les salariés gagnant davantage, la suppression de la cotisation chômage ne sera donc calculée que sur les 13 076 premiers euros. En revanche, la CSG frappera toujours 98,25 % du salaire brut. Les gains vont donc commencer à diminuer et, selon FiDroit, il y aurait même une perte sèche à partir de 33 450 euros brut mensuels. Un salaire très élevé et… très rare. Mais formellement, les salariés les plus riches ne sont donc pas les mieux lotis. Les grands gagnants de la réforme seront donc les classes moyennes supérieures. Le cœur de l’électorat d’Emmanuel Macron.

Pour les catégories de Français qui ne sont pas salariés du secteur privé, la mesure sera au mieux neutre, mais parfois négative. C’est l’esprit même de la mesure : l’avantage de la CSG est de s’asseoir sur une assiette plus large que les cotisations. On fait donc payer les non-salariés et les revenus du capital pour les salariés. À noter cependant que, concernant les revenus du capital, cette hausse sera compensée par l’introduction du prélèvement forfaitaire unique (PFU) qui alourdira la fiscalité pour les petits revenus et l’allégera pour les plus élevés. Au bout du compte, donc, la mesure sera inégalitaire, là aussi.

Ceux qui devront payer seront principalement les retraités qui déclarent plus de 1 200 euros mensuels (1 837 euros pour un couple) de revenus. Les retraités qui déclarent moins ne seront pas concernés par le relèvement du taux de la CSG. Les autres verront donc leurs pensions amputées de la hausse de la CSG sans compensation. Pour 3 000 euros de pension mensuelle, la perte sera de 50 euros mensuels, soit 600 euros par an. Le gouvernement prétend que ces retraités touchés pourront bénéficier de la suppression de 80 % de la taxe d’habitation. Certes, mais, comme cette mesure sur la fiscalité locale concernera aussi les salariés, l’effet d’inégalités perdurera. De plus, les retraités déclarant plus de 20 000 euros par an ne sont pas concernés par la suppression de la taxe d’habitation et devront assumer complètement la hausse de la CSG. Enfin, ces mesures s’inscrivent dans l’accord de novembre 2015 sur les retraites complémentaires qui prévoit une baisse du pouvoir d’achat.

Parmi les autres perdants de la mesure, on trouve aussi les chômeurs indemnisés dont l’allocation est soumise à la CSG et qui seront également mis à contribution. Enfin, les fonctionnaires et les indépendants ne paient pas de cotisations salariales, mais s’acquittent de la CSG. Le gouvernement a promis des mesures de compensation qui restent à définir, mais qui ne seront que des « compensations », il n’y aura donc pas d’amélioration du pouvoir d’achat de ces catégories.

Un changement de modèle social

Globalement, l’effet net devrait certes être favorable au pouvoir d’achat, les gagnants étant plus nombreux que les perdants. Il le sera sans doute aussi pour la consommation des ménages, mais, comme on l’a vu, en partie seulement puisque la répartition des gains de pouvoir d’achat est inégale et que la mesure sera neutre pour une grande partie des Français. Son effet sur la croissance restera donc incertain. Surtout, il reste à estimer un élément difficile à mesurer : l’impact sur les augmentations de salaires. Les chefs d’entreprise, notamment dans les PME, seront sans doute enclins à considérer qu’il n’est pas nécessaire de procéder à des revalorisations de salaires compte tenu de cette hausse du salaire net induite par le transfert vers la CSG. Cette mesure serait donc une forme de subvention à la modération salariale et irait dans la direction d’une politique plus large de baisse du coût du travail. Reste à savoir combien de temps cet « effet » durera. S’il se vérifie, cet effet ne manquera pas de poser problème, alors que la BCE, notamment, lie désormais de façon de plus en plus ouverte la faible croissance salariale et l’incapacité de l’inflation sous-jacente à rebondir. Or, avec une inflation faible, il faudra compter avec une croissance nécessairement réduite.

À plus long terme, l’effet sur les inégalités sera également un problème. On sait que la croissance des inégalités obère la croissance à long terme d’une économie. Or, en gravant dans le marbre la suppression des cotisations salariales et en la transférant sur un prélèvement plus large, on crée nécessairement des inégalités, notamment entre les classes moyennes et les classes populaires. Certes, ces inégalités sont moins criantes qu’avec une hausse de la TVA. Mais elles ne sont néanmoins pas absentes, loin de là. La majorité des salariés aux revenus moyens et élevés gagneront beaucoup dans ce transfert, alors que les salariés moins fortunés, les chômeurs et les retraités gagneront peu, voire perdront à l’affaire. Du côté des plus riches, les pertes enregistrées seront compensées par la baisse des taux marginaux de l’imposition des revenus du capital.

Dernier élément : cette mesure n’est pas qu’une mesure de « pouvoir d’achat ». C’est en réalité une redéfinition du modèle social. Car la suppression des cotisations contraint évidemment l’État à prendre en charge directement les assurances chômage et santé. Dès lors, elle ouvre la porte à un autre projet d’Emmanuel Macron : la nationalisation de l’assurance sociale qui devient inévitable. Cette nationalisation permettra d’intégrer les indépendants et les démissionnaires (à raison d’une fois tous les 5 ans) dans le système d’indemnisation, autre promesse du nouveau président.

Ce changement de paradigme, prévu pour le printemps 2018, n’est cependant pas sans poser de problèmes. D’abord, une telle évolution viendra se heurter au Conseil constitutionnel qui, en 2014, a censuré le projet de baisse des cotisations salariales sur les bas salaires au nom du principe d’égalité. Les Sages ont rappelé un fondement du système de sécurité sociale française : les cotisations doivent être payées par ceux qui ont des droits à l’indemnisation. Le financement par la CSG est donc en principe impossible. On ne peut demander à des retraités de payer via la CSG pour des prestations chômage auxquelles ils n’ont pas droit. Autrement dit, la suppression des cotisations ne peut s’articuler dans le système actuel, elle doit nécessairement s’accompagner immédiatement de la fin du système assurantiel. Il y a là un casse-tête juridique qui ne sera pas simple à régler.

Cette évolution pose un second problème : celui de la fin du paritarisme. Puisque le système n’est plus assurantiel, il devra être géré directement par l’État, qui le financera, et non pas par les représentants des cotisants, salariés et employeurs. Emmanuel Macron a promis de ne pas modifier, dans un premier temps, les indemnisations. L’État assurera-t-il ce maintien des indemnisations ? Car leur élargissement, ajouté à l’élargissement de la protection, mettra au défi la volonté de consolidation budgétaire du gouvernement. Mais, de manière plus générale, ce changement de logique devenu incontournable après la suppression des deux types de cotisations ouvre la voie à des ajustements brutaux.

En se débarrassant du paritarisme en matière d’assurance-chômage, le gouvernement s’offre, à lui ou à ses successeurs, la possibilité de réduire considérablement l’indemnisation, notamment en cas de crise où il faudra ajuster rapidement les comptes. Si les partenaires sociaux pouvaient construire, dans ce cas, des compromis, ici l’État, devenu grand ordonnateur du système, pourra agir seul en fonction de sa priorité. Et sa priorité sera avant tout budgétaire. Cette logique ouvre la porte au danger d’une incitation au travail par la réduction des conditions de l’indemnisation. Si ce n’est pas l’objectif affiché du gouvernement, c’est un outil qui pourra être utilisé dans ce sens. C’est donc ouvrir la voie à un traitement comptable du chômage.