Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Médiapart - Les leçons d’une rentrée sous Covid à La Réunion

Septembre 2020, par Info santé sécu social

2 SEPTEMBRE 2020 PAR JULIEN SARTRE

Les enfants réunionnais ont retrouvé leurs établissements scolaires depuis le 17 août. Dans la capitale, Saint-Denis, une bonne part des écoles est fermée. La gestion du protocole sanitaire et des gestes barrières a d’abord été chaotique.

À La Réunion, la rentrée scolaire coïncide avec la première vague de Covid-19. Jusque-là, l’île était épargnée. En juillet, pendant cinq jours d’affilée, aucun test n’a affiché de résultat positif. Fait inédit sur le territoire français, aucun mort de la nouvelle maladie n’était à déplorer.

Las, le 17 août, jour de la rentrée scolaire dans le département, l’agence régionale de santé (ARS) signalait vingt-cinq cas positifs en une seule journée. Plus tard, la moyenne journalière des cas dépistés devait bondir pour frôler la centaine. Ce mercredi 2 septembre, le bilan épidémique est dans la moyenne des jours précédents avec une quarantaine de nouveaux cas, cinquante-six personnes hospitalisées et quatorze personnes en réanimation.

Depuis le 24 août, quatre décès ont été directement imputés par l’ARS au nouveau coronavirus. Le mot « cluster » a fait son apparition dans la langue et plusieurs foyers épidémiques actifs ont été identifiés aux quatre coins de l’île.

Surtout, à partir du 17 août, au décompte quotidien des cas positifs au nouveau coronavirus il a fallu ajouter une litanie d’établissements scolaires fermés et d’élèves et d’enseignants placés à l’isolement. La conjonction des énumérations et des listes journalières a fait souffler sur l’île un vent de panique. « On ne peut pas dire que la rentrée se soit bien passée, vraiment pas, se souvient, désabusée, une enseignante du premier degré dans le sud de l’île, contactée au téléphone par Mediapart. Elle souhaite rester anonyme afin de ne pas franchir les limites de son devoir de réserve. Les éléments les plus marquants de cette rentrée ont été la cacophonie et la confusion. Rien n’avait été prévu : un protocole sanitaire bricolé nous avait été transmis la veille de la rentrée. Pour que vous puissiez vous faire une idée : au début nous n’avions même pas l’obligation de porter le masque. Cette obligation est arrivée à La Réunion en même temps que le protocole sanitaire venu de Paris, soit quinze jours plus tard. »
Au moment de la rentrée à La Réunion, comme dans l’Hexagone aujourd’hui, rien n’est clair concernant la démarche à suivre en cas de dépistage positif au sein d’un établissement scolaire. Qu’il s’agisse d’un élève ou d’un enseignant. Que faire ?

Dans un premier temps, les maires ont pris des décisions radicales de fermeture d’établissement. Et ces décisions ont été prises à la chaîne. À Saint-Denis, la capitale, 180 000 habitants, première ville de l’outre-mer français, la maire Ericka Bareigts a choisi le principe de précaution et ordonné la fermeture d’un très grand nombre d’écoles. Une semaine après la rentrée, la plupart des établissements scolaires étaient fermés, ce qui a conduit certains médias sur l’île et en métropole à évoquer un « report de la rentrée » à La Réunion.

Depuis mercredi 19 août, une procédure moins aléatoire est en place : chaque jour, une réunion a lieu à la préfecture entre ARS, rectorat et représentants de l’État. Désormais, seul le préfet peut décider de fermer un établissement. « C’est très compliqué, c’est l’usine à gaz, il faut un certain nombre d’enfants contaminés pour fermer une classe, un certain nombre de classes concernées pour fermer un établissement, synthétise Guillaume Aribaud, professeur des écoles à Saint-André, dans l’est de l’île et représentant de la Fédération syndicale unitaire (FSU). Ce n’est pas clair et nous manquons de personnel pour gérer ce type de situations. Dans mon école, par exemple, la directrice est seule pour appeler quarante familles et leur demander pourquoi leur enfant est absent aujourd’hui. L’administration scolaire manque de moyens et de possibilités d’action. Les collègues directeurs commencent à être fatigués. »

La politique de contact-tracing de l’ARS, que le gouvernement met volontiers en avant comme un succès à La Réunion, a également généré quelques tensions avec les médecins. « Les médecins et les laboratoires en ont vite eu assez qu’on leur envoie des élèves dès que l’un d’eux avait le nez qui coule ou des symptômes de toux », s’émeut l’enseignante du sud de La Réunion qui s’est confiée anonymement à Mediapart. « Je peux les comprendre : on est en plein changement de saison sur l’île et les bronchiolites, les rhumes, ce genre de petites maladies sont fréquentes. Dans les Hauts de l’île, énormément d’enfants sont enrhumés : on les renvoie chez eux, mais on ne veut plus de fermetures de classe parce que tous ces enfants ont besoin d’aller à l’école ! »

Aujourd’hui encore, le plus grand nombre de classes et d’écoles fermées se trouve à Saint-Denis, la capitale, au nord. Cela dit, dans l’est et dans le sud, des écoles ont vu plusieurs dizaines d’enfants renvoyés chez eux. Plusieurs collèges et lycées sont également concernés. Lundi 31 août, dix-huit élèves et deux enseignants ont été testés positifs au Covid-19, le rectorat a publié un communiqué de presse.

Contacté par Mediapart, le gouvernement tient à relativiser tant la gravité de la crise sanitaire en cours à La Réunion que son impact sur le système éducatif dans son ensemble. « Aujourd’hui, seule une fraction des établissements scolaires est fermée à La Réunion », précisent d’emblée les services de la rue Oudinot, en première ligne dans la gestion de la crise : Sébastien Lecornu, ministre des outre-mer, s’était rendu dans l’océan Indien précisément au moment de la rentrée. « Nous avons pu voir que le protocole sanitaire et les adaptations locales, c’est-à-dire le travail commun entre les mairies, le rectorat et la préfecture, fonctionnent. L’émoi sur place est compréhensible, il s’agit de la première vague épidémique, mais la situation sanitaire n’est pas catastrophique : la capacité de réanimation est bonne, les services hospitaliers sont loin d’être saturés et la capacité de tests et de contact-tracing est aussi très bonne. »

Sur place, ce point de vue optimiste n’est pas partagé. S’ils ne vont pas jusqu’à estimer avoir servi de « cobayes » pour la rentrée en métropole, les citoyens, qui critiquent la gestion de la crise et du protocole sanitaire par les autorités, estiment que l’île a servi de « laboratoire ». Et les enseignements qu’ils en tirent sont plutôt inquiétants. Guillaume Aribaud, le syndicaliste affilé à FSU, s’alarme de ce qu’« on commence à avoir les premiers cas scolaires. Personne n’a encore une bonne vision du phénomène, mais des collègues ont été testés positifs sans être de retour de vacances. Cela génère beaucoup de stress pour les personnes vulnérables notamment. Le protocole sanitaire prévoyait que pour les personnels à risque des masques FFP2 soient fournis : ils ne sont jamais arrivés. Peut-être sont-ils encore dans le bateau ? »

Changement de saison, rentrée universitaire entre visioconférences et présentiel limité : La Réunion est encore aujourd’hui en avance sur la métropole sur de nombreux sujets. La rentrée des étudiants, en particulier, sera scrutée. Elle a lieu ces jours-ci, de façon échelonnée. Après les taux records de réussite au bac, jamais autant d’étudiants ne se sont inscrits à l’université de La Réunion. Les masques seront bien entendu obligatoires sur les campus, mais leur distribution gratuite est très limitée et le syndicat étudiant Unef s’est déjà ému de l’impact financier sur les étudiants les plus démunis.

Après avoir été épargnée par la pandémie, l’île songe à se fermer à nouveau afin d’éviter une future propagation des cas de Covid-19. Plusieurs collectifs citoyens, rejoints par des maires de nombreuses communes, ont demandé la fermeture de l’aéroport ou a minima le retour de tests obligatoires sur place, de quatorzaines imposées. « Il n’en est pas question : même si on ne s’interdit rien, la circulation du virus est autochtone et la fermeture de l’aéroport ne résoudrait rien », répond le ministère des outre-mer dans une fin de non-recevoir très ferme et officielle. Qu’il s’agisse de la cause ou bien de l’effet, c’est bel et bien en restant ouverte et en maintenant un maximum d’établissements scolaires en activité que La Réunion devra affronter sa première vague épidémique de Covid-19.