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Mediapart : Loi de veille sanitaire : un premier revers pour la majorité à l’Assemblée

Juillet 2022, par infosecusanté

Mediapart : Loi de veille sanitaire : un premier revers pour la majorité à l’Assemblée

Au cours de débats houleux, les oppositions ont réussi à mettre en minorité le groupe Renaissance sur plusieurs amendements à ce texte destiné à prendre le relais du régime de sortie de l’état d’urgence sanitaire. L’article 2, qui permettait d’exiger un passe sanitaire à l’entrée du territoire hexagonal, a été rejeté.

Jérôme Hourdeaux

13 juillet 2022 à 08h22

L’opposition est parvenue à mettre en difficulté la majorité et à fortement amender le projet de loi de veille et sécurité sanitaire, devant prendre le relais du régime d’exception sanitaire en vigueur à compter du 1er août prochain. Le texte qui a été adopté en première lecture dans la nuit du mardi 12 au mercredi 13 juillet par l’Assemblée nationale, est en effet éloigné de ce qu’espéraient les alliés d’Emmanuel Macron.

Véritable revers pour le gouvernement, les député·es de l’opposition ont notamment réussi à mettre en minorité la majorité lors du vote de l’une des deux principales dispositions du texte, son article 2 qui permettait au gouvernement de conserver, jusqu’au 31 janvier 2023, le pouvoir d’exiger une attestation de vaccination, de rétablissement après contamination ou un test négatif pour les personnes de plus de 12 ans « souhaitant se déplacer à destination ou en provenance du territoire hexagonal, de la Corse » ou d’un territoire d’outre-mer.

Cet article 2 avait déjà été largement remanié lors de l’examen des amendements. Pour répondre aux demandes de l’opposition, la majorité avait accepté de déposer et faire adopter un amendement visant à conditionner la mise en place d’un tel passe sanitaire à l’appréciation « d’indicateurs sanitaires ». Le gouvernement avait également concédé à ce que les exécutifs locaux ainsi que les parlementaires soient consultés, un amendement adopté à la quasi-unanimité.

Puis, plus tard dans la soirée, les député·es Renaissance ont été mis en minorité lors du vote d’une série d’amendements visant à reporter de 12 à 18 ans l’âge à partir duquel pourrait être exigé un passe sanitaire. Malgré l’opposition du gouvernement, ils ont été adoptés sous les vivats des bancs de l’opposition, provoquant un nouvel échange d’invectives avec la majorité ainsi qu’une interruption de séance.

Le texte soumis à l’Assemblée nationale était pourtant relativement court, composé d’uniquement quatre articles. Alors que le régime « de sortie de l’état d’urgence sanitaire » en place depuis le 31 mai 2021 doit prendre fin au 31 juillet, le projet de loi en prend acte et propose d’en proroger uniquement deux mesures.

Il prévoit tout d’abord de maintenir jusqu’au 31 janvier 2023 les fichiers SI-DEP, centralisant les résultats des tests de dépistage du virus, et Contact Covid, recensant les personnes contaminées et les cas contacts.

Il permettait ensuite, pour la même durée, au gouvernement de conserver le pouvoir d’exiger une attestation de vaccination, de rétablissement après contamination ou un test négatif pour les personnes de plus de 12 ans « souhaitant se déplacer à destination ou en provenance du territoire hexagonal, de la Corse » ou d’un territoire d’outre-mer.

Le gouvernement souhaitait initialement prolonger ces deux mesures jusqu’au 31 mars 2023. Mais majorité et oppositions se sont entendues, lors de l’examen du texte, sur une « clause de revoyure » réduisant de trois mois cette échéance.

Dans le cadre de cet accord, deux nouveaux articles avaient été introduits dans le projet de loi par les député·es. Le premier impose au gouvernement de présenter, trois mois après la promulgation de la loi, un rapport proposant un « cadre durable de réponse aux menaces, crises ou catastrophes sanitaires, compte tenu des limites du droit en vigueur ». Le second prévoit la remise d’un autre rapport gouvernemental présentant cette fois les mesures prises et analysant leur efficacité.

Mais ce compromis a volé en éclat dès l’ouverture des débats, mercredi 12 juillet dans la soirée – la première séance présidée par un député Rassemblement national, Sébastien Chenu. L’examen d’une motion de rejet déposée par la Nupes a été l’occasion de débats souvent tendus et confus.

« Il y a bien un problème de délégation aveugle de notre pouvoir au gouvernement. La rédaction étant si vague, qui décidera, le moment venu, si la mesure concerne tout ou partie des régions de France ? », a par exemple attaqué la députée de La France insoumise Raquel Garrido. « La première ministre nous demande donc de lui déléguer d’avance un pouvoir immense. En réalité, c’est le maintien d’une loi d’urgence qui ne dit pas son nom. »

« Je le dis avec force, a répondu le ministre de la santé François Braun, ce texte n’est pas, contrairement à ce que j’ai pu parfois lire dans certains réseaux de désinformation, un texte nous maintenant dans l’état d’urgence sanitaire ou ouvrant la porte au retour du passe vaccinal pour accéder à des lieux de la vie quotidienne. »

La réintégration de soignants non-vaccinés au cœur des débats

Durant ces deux soirées de débats, le ministre de la santé a été à de nombreuses reprises contraint de justifier sa position sur la question de la réintégration des personnels de santé suspendus pour avoir refusé de se faire vacciner. Cette mesure avait déjà été réclamée en commission des lois des députés de l’ensemble des groupes d’opposition. Mais François Braun avait opposé une fin de non-recevoir en affirmant que ce sujet n’était « pas d’actualité ».

En prévision de l’examen en séance publique, pas moins de dix-sept amendements avaient été déposés réclamant la réintégration des soignants suspendus ou l’abrogation de la loi du 5 août 2021 leur imposant la vaccination. Tous ont cependant été déclarés irrecevables avant même leur examen pour violation de l’article 40 de la Constitution qui interdit tout amendement constituant une charge pour les finances publiques. Une décision vivement contestée par La France insoumise.

Cela n’a pas empêché les député·es d’interpeller le ministre de la santé à de nombreuses reprises. « À nos yeux, la suspension des personnels qui acceptent de se faire tester n’a pas de justification sanitaire, ni juridique, a ainsi estimé le député Libertés, indépendants, outre-mer et territoires (LIOT) Jean-Felix Acquaviva. Premièrement, elle n’a pas de justification sanitaire car certains soignants vaccinés, pourtant positifs, sont incités à venir travailler. »

« Derrière la non-réintégration des soignants, il est possible que traîne ce goût de punir ceux qui ne seraient pas rentrés dans la règle, a de son côté plaidé le député Les Républicains Aurélien Pradié. Il nous faut à nouveau installer la concorde dans notre société. »

Après avoir maintenu sa position de principe, François Braun a finalement semblé, mardi tard dans la soirée, une nouvelle fois prêt à quelques concessions et a annoncé l’ouverture de discussions afin d’envisager une solution qui serait soumise à l’Assemblée.

« J’entends les questionnements, sur de nombreux bancs, a-t-il annoncé. Je consulterai donc dans les prochains jours les autorités scientifiques et éthiques, en particulier la Haute Autorité de santé, tel que c’est prévu par la loi, et le Comité national consultatif d’éthique. À la lumière de leurs avis, je réunirai les syndicats pour leur présenter ce point de vue et nous travaillerons ensemble pour apporter une réponse claire, objective, argumentée auprès de vous sur cette question. »

Bien que finalement adopté par 221 voix contre 187, ce premier examen de texte de la nouvelle législature, est un sérieux coup de semonce pour la majorité, malmenée durant une bonne partie des débats, mise en minorité à plusieurs reprises et incapable de faire adopter l’une des deux principales dispositions du projet de loi.

« L’apprentissage, c’est que ce soir nous avons un constat de la réalité des forces politiques présentes dans l’hémicycle, et de la réalité de la méthode que nous devrons adopter à l’avenir pour travailler », a pointé en fin de séance le député Les Républicains Raphaël Schellenberger. Le principal point, pour nous, qui achoppons dans ce texte, évidemment, c’est le silence et l’absence sur la question de la réintégration de soignants non-vaccinés, a-t-il poursuivi. C’est le sujet central qui préoccupe les Français. »

« Cette chambre d’enregistrement que vous désiriez, cette assemblée de Playmobil qui ne répond qu’aux injonctions de l’exécutif, elle est finie, a de son côté lancé la députée PCF Elsa Faucillon. Nous ne sommes pas là pour valider le programme d’Emmanuel Macron. Nous avons même été élus pour nous opposer résolument. »

Après le vote, François Braun a repris une dernière fois la parole pour prendre « acte de (la) décision de ce soir ». « Nous sommes au début du processus législatif [le projet de loi part au Sénat –ndlr] et, inlassablement, je continuerai à essayer de vous convaincre de la pertinence et de la justesse de l’article 2 », a-t-il ajouté à l’adresse des députés.

Jérôme Hourdeaux