Maternités et Hopitaux publics

Médiapart - Loi santé : les maternités ferment, des femmes et leurs bébés sont en danger

Avril 2019, par Info santé sécu social

3 AVRIL 2019 PAR CAROLINE COQ-CHODORGE

Le mouvement de restructuration des maternités s’accélère : les petites ferment, l’activité des plus grosses ne cesse d’augmenter. En zone rurale, les pouvoirs publics usent d’arguments de sécurité pour justifier le dangereux abandon de femmes enceintes.

À un rythme ahurissant, les maternités ferment : – 39 % depuis 1995. En 2016, il n’y avait plus que 517 maternités en France. Et c’est sans compter la dernière salve de fermetures en 2017 et 2018 : Le Blanc (Indre), Die (Drôme), Saint-Claude (Jura), Creil (Oise), Bernay (Eure) ou Decazeville (Aveyron).

En 2019 s’annoncent Thann (Alsace) ou Sarlat (Dordogne). Elles seraient « dangereuses », affirment de concert la ministre de la santé Agnès Buzyn et les autorités médicales. Les médecins manquent, le nombre d’accouchements serait insuffisant. Mais ces arguments d’autorité ne suffisent plus. Un imposant collectif de maternités fermées ou en danger s’est constitué les 22 et 23 mars dernier au Blanc, lors d’états généraux des maternités. Une centaine de personnes ont échangé, ce qui a abouti à l’écriture d’un manifeste, « Pour la renaissance des maternités condamnées ».

Ils y dénoncent la « négation des droits constitutionnels d’égalité d’accès aux soins ; la mise en danger des mères et de leur enfant ; les faux arguments sécuritaires déployés par le gouvernement et ses experts ; la logique centralisatrice et économique qui amène à fermer des services de première nécessité ». Leur combat sera mené sur « tous les fronts », promettent-ils – « juridique », « politique », « scientifique » et « citoyen » –, dans une démarche de « démocratie directe ».

C’est donc au Blanc que s’est tenu le véritable débat sur le projet de loi santé d’Agnès Buzyn. Car en première lecture à l’Assemblée, il a donné lieu à quelques protestations polies, surtout sur son article 8, qui crée des hôpitaux de proximité. À l’avenir, il devrait y avoir 500 à 600 hôpitaux de proximité, qui ne comprendront ni maternité ni chirurgie.

« Ce gouvernement est balèze en communication, souligne Hélène Derrien, la présidente de la Coordination des collectifs de défense des hôpitaux et maternités de proximité. Ils parlent, comme nous, d’hôpitaux de proximité. Mais les leurs sont des dispensaires. »

De tels petits hôpitaux, qui comprennent des services de médecine, de gériatrie, de soins de suite, éventuellement d’urgences, il en existe aujourd’hui 243, selon une étude de la Direction générale de l’offre de soins. Autant devraient, dans un avenir proche, perdre leur maternité ou leur chirurgie, et se voir déclassés en hôpitaux de proximité.

Ces décisions seront prises par ordonnance, précise l’article 8 du projet de loi, sans aucune concertation avec les élus ou la population. « Pour nous, c’est un déménagement du territoire », s’indigne Annick Gombert, maire du Blanc. Elle a derrière elle dix ans de combat contre les restructurations hospitalières, « cette machinerie administrative sur laquelle aucun politique ne semble avoir de prise ».

Menacée depuis plus de vingt ans, la maternité du Blanc a fermé en juin. Et l’inquiétude grandit concernant sa chirurgie : perte de la chirurgie ophtalmologique, la plus dynamique, soupçons de fermeture partielle et de déménagement du bloc à Châteauroux.

Jean-Paul Guy, néphrologue à la retraite de l’hôpital de Saint-Claude, qui a perdu coup sur coup sa maternité et sa chirurgie, décrit la cascade de fermetures : « Cela commence par la maternité. Puis la chirurgie devient ambulatoire : on n’y fait plus que de petites opérations programmées. Puisqu’il n’y a plus besoin d’anesthésistes 24 heures sur 24, les urgences se trouvent menacées, etc. »

À ce rythme, sur la carte sanitaire, de sérieux trous apparaissent : selon les travaux réalisés pour Le Monde par le géographe de la santé Emmanuel Vigneron, en 2019, 716 000 femmes en âge de procréer habitent à plus de 45 minutes d’une maternité. Au Blanc, le 24 mars, a été inauguré un monument « à nos territoires abandonnés, aux enfants qui ne naîtront pas ».

Dans les parcs naturels de la Brenne, du Haut-Jura ou du Vercors, autour du Blanc, de Saint-Claude ou de Die, les femmes enceintes vivent très loin d’une maternité : à 45 minutes, 1 heure, voire 2 heures de route sur les hauts plateaux du Jura.

« La sécurité dont ils parlent, ce n’est pas la nôtre, c’est la leur », a déclaré Anne Ruffet-Sciard, du Comité de défense des usagers de l’hôpital du Blanc, en ouverture des états généraux.

Habiter loin d’une maternité est en effet un risque avéré. En France, il y a en moyenne 3,1 accouchements pour 1 000 qui se déroulent en dehors de l’hôpital, parmi les femmes qui habitent à moins de 5 kilomètres de la maternité. Mais lorsque les femmes habitent à plus de 45 kilomètres, le risque d’accouchement inopiné – à domicile, sur le bord de la route – est de 11,59 pour 1 000, selon une étude de l’Inserm publiée en 2011.

« Ils savent très bien qu’il va y avoir des accidents, mais ils pensent que le nombre de cas sera trop faible pour que cela se voie. C’est la part du feu », analyse l’ancienne pédiatre de la maternité du Blanc, aujourd’hui en retraite, Hélène Yaouanc-Lapalle.

Seulement, cela commence à se voir. Le 19 mars, au Blanc, une femme a accouché d’un petit Anatole dans son salon, avec l’aide de son mari. Le couple s’était rendu la veille à la maternité de Poitiers, à une heure de route, pour un début de travail, mais il a été renvoyé, car l’accouchement n’a pas paru imminent aux équipes. En décembre, une mère en début de travail a préféré attendre un peu chez elle, sa petite fille est née aux urgences du Blanc.

À Saint-Claude, la maternité a fermé en avril ; en septembre, une femme a accouché aux urgences, une autre dans l’ambulance qui la conduisait à Lons-le-Saunier, à une heure de route. « Selon l’Agence régionale de santé, cela s’est parfaitement bien passé, raconte Jean-Paul Guy, médecin néphrologue, en retraite de l’hôpital de Saint-Claude. En réalité, le bébé dans l’ambulance avait une circulaire du cordon ombilical. Par chance, dans l’ambulance, il y avait une sage-femme libérale, volontaire chez les pompiers. »

À Die, la maternité a fermé le 31 décembre 2017. En février, une femme a donné naissance à son enfant dans sa voiture, sans drame. Le pire est arrivé quelques jours plus tard. Le petit Aimé est mort in utero. Sa mère a couché par écrit son terrible vécu : l’attente pendant plusieurs heures, les pompiers et les urgentistes impuissants, le voyage en hélicoptère, sanglée alors que le travail avait commencé.

Elle savait très bien ce qui leur arrivait : un décollement du placenta suivi d’une hémorragie, à huit mois de grossesse. Elle avait connu la même complication pour son deuxième enfant, né bien vivant à la maternité de Die quatre ans plus tôt.

« Ce qui s’est passé était leur angoisse depuis huit mois. Ce qui est arrivé, nous l’avions prédit l’an dernier, enrage Philippe Leeuwenberg, le président du collectif de défense de la maternité. L’hélicoptère était en Ardèche, pour un AVC, il a mis trois heures à venir. Ils ne lui ont laissé aucune chance. » Une enquête administrative est en cours, la famille a l’intention de porter plainte.

« L’irresponsabilité, c’est celle de cette organisation des soins obstétriques »
Paresse de l’État centralisateur ou mépris des populations rurales, les conséquences des fermetures de ces petites maternités isolées n’ont pas été anticipées. Après avoir campé sur sa ligne « sécuritaire », la ministre de la santé a pris quelques engagements, jeudi 28 mars, pour « répondre aux inquiétudes des femmes » : « des transports facilités, pris en charge à 100 % », des « sages-femmes disponibles 24 heures sur 24 », « la formation des urgentistes à des accouchements en urgence ».

Il n’y a pas là de quoi rassurer les femmes et leurs soutiens : « On va donner une formation de deux ou trois heures aux urgentistes ? On va mettre une sage-femme, toute seule, dans l’ambulance ? Cette dichotomie entre les arguments de sécurité qui ont justifié la fermeture et la réalité est incroyable. Cela me révolte », dit Jean-Paul Guy, le néphrologue à la retraite de Saint-Claude.

Du côté des défenseurs de la fermeture des maternités, le professeur de gynécologie Philippe Deruelle, secrétaire général du Collège national des gynécologues et obstétriciens français, admet qu’il serait « très mal à l’aise face à ces populations dont la maternité ferme. Mais je soutiens ces fermetures, il n’y a plus assez de gynécologues et d’anesthésistes, même les grosses structures sont en difficulté. On paie les décisions de technocrates, l’hypocrisie des politiques, qui refusent d’augmenter le budget de la santé, et se plaignent quand les maternités ferment ».

Le gynécologue obstétricien Paul Cesbron, ancien chef de la maternité de Creil (Oise), aujourd’hui à la retraite, pointe de son côté la responsabilité de ses confrères : « Une partie des gynécologues, dont les études sont payées par la nation, ne font pas le métier pour lequel ils ont été formés. L’irresponsabilité, c’est celle de cette organisation des soins obstétriques. »

« C’est vrai, admet Philippe Deruelle. Aujourd’hui, le métier de base, qui implique de se réveiller la nuit, d’assurer des gardes, de prendre des risques, ne fait plus rêver. » Pourtant, la comparaison avec les sages-femmes est cruelle pour les gynécologues : elles ont les mêmes contraintes de garde et exercent en nombre suffisant, bien réparties sur le territoire. La question de la sélection des médecins, y compris sociale, de leur formation, de l’encadrement de leur installation et de leur exercice, apparaît donc cruciale, une fois encore.

La maire du Blanc Annick Gombert, qui a fait des études de médecine sans exercer par la suite, raconte son internat au CHU de Poitiers « où des professeurs ne cessaient de dénigrer les petits hôpitaux. À les écouter, il n’y a qu’eux qui font une médecine valable. Moi je souhaite que tous les médecins fassent des stages de six mois obligatoires dans les petits hôpitaux ».

La pédiatre Hélène Yaouanc-Lapalle confirme : « Les professeurs considèrent que ceux qui travaillent dans les petites maternités sont fous, ou incompétents. J’ai toujours entendu ça. Moi, au Blanc, j’ai eu la satisfaction de me sentir utile, réellement indispensable. Pour les femmes qui habitent ici, notre petite maternité était ce qu’il y a de mieux. Mais on coûtait cher, parce qu’on avait recours à des intérimaires et des contractuels. La vraie raison de la fermeture est économique. »

Si Agnès Buzyn n’utilise jamais l’argument économique, les gynécologues n’ont pas ces pudeurs, car ils doivent au quotidien assurer la rentabilité de leur maternité, en réalité inatteignable. « Les tarifs de l’obstétrique sont très bas, toutes les maternités sont en déficit, explique Philippe Deruelle. On augmente sans cesse le nombre d’accouchements pour arriver à l’équilibre. Aujourd’hui, dans les plus grosses maternités, un obstétricien doit gérer en même temps une urgence, une femme qui ne va pas très bien, et son service. Une sage-femme suit trois accouchements en même temps. On ne peut pas continuer à traiter les femmes comme ça. »

Dans ces conditions, le “respect du projet de naissance de la femme”, pourtant inscrit dans la loi, semble un objectif illusoire.

Pendant les trois jours de débat, les états généraux des maternités ont tenté d’esquisser des alternatives satisfaisantes, et sûres, pour les femmes. Toutes reposent sur les compétences des sages-femmes, puisque les médecins font défaut, et que la ministre exclut toute réouverture de maternités. Ils ont discuté de l’expérimentation des maisons de naissance, ces structures associatives gérées par des sages-femmes libérales, qui procèdent à des accouchements physiologiques, sans acte technique, y compris la péridurale.

Pour l’instant, il n’existe que sept maisons de naissance, où accouchent chaque année quelques centaines de femmes. Mais la demande est là : celle de Paris, le Calm, a suivi 185 femmes en 2018, pour 639 demandes. Seulement ces maisons de naissance doivent être adossées à des maternités, avec un accès immédiat à un plateau technique.

« La France a une culture très sécuritaire, on ouvre beaucoup de parapluies, juge la présidente de l’Ordre des sages-femmes, Anne-Marie Curat. Au Canada, il existe des maisons de naissance à une heure d’une maternité, et ils n’ont pas plus de problèmes. » Elle rappelle que les sages-femmes sont « une profession médicale, qui travaille en autonomie. Nous pouvons prendre en charge un accouchement normal. Et 80 % des accouchements se passent normalement. En repérant en amont les grossesses à risque, on réduit beaucoup les risques ».

Faute de maternités, elle suggère une autre solution pour les territoires isolés, permise par la loi : le suivi des femmes par des sages-femmes libérales, tout au long de leur grossesse, jusqu’à la maternité où elles procèdent à l’accouchement, en toute sécurité, avec un accès possible au plateau technique. Mais cette solution coûte cher, non pas à la Sécurité sociale, mais aux familles : l’accouchement par une sage-femme libérale est si mal pris en charge – 349,35 euros – qu’elles sont contraintes de pratiquer des dépassements d’honoraires.

« Finalement, on est tous dans la même galère, dit le gynécologue de Strasbourg Philippe Deruelle. La politique telle qu’elle est menée actuellement n’assure pas la sécurité et le respect des femmes. La périnatalité française est très malade. »