Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Mediapart : Macron assume la « vie avec le virus », quoi qu’il en coûte

Avril 2021, par infosecusanté

Mediapart : Macron assume la « vie avec le virus », quoi qu’il en coûte

30 avril 2021

Par Caroline Coq-Chodorge


Le président de la République a présenté un calendrier de déconfinement qui revient à « vivre avec le virus, y compris face à un haut niveau d’incidence ». Les nombres de morts et de malades graves du Covid ne baissent toujours pas.

Dans le service de réanimation de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris, « on est complètement saturés, on a des appels en permanence pour le Covid, c’est l’horreur. On espère que cela va baisser, mais ce n’est pas encore le cas », raconte le professeur Jean-Michel Constantin. Dans la nuit de mercredi à jeudi, il tenait la permanence téléphonique régionale des réanimateurs, il a reçu des appels pour « une femme de 33 ans qui venait d’accoucher, un homme de 33 ans sans comorbidités, une femme de 53 ans, tous dans un état gravissime ».

Le réanimateur confie travailler « 18 heures par jour, tous les jours. Ça commence à piquer un peu. Mon équipe est sur les rotules, elle voudrait des perspectives, savoir quand on pourra reprendre une activité normale. En cellule de crise hier, on a parlé du premier burn-out d’un réanimateur », terrassé par l’épuisement professionnel.

Les difficultés ne concernent pas que les réanimations. Dans les hôpitaux de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, 60 % des opérations chirurgicales ont été déprogrammées. « On a perdu un mois d’activité chirurgicale, c’est majeur, se désole Jean-Michel Constantin. On ne parle pas de déprogrammations, mais de reports, pour rester positifs. Mais on ne pourra pas rattraper cet été, on est trop fatigués. Il faudra mettre les bouchées doubles cet automne. »

La saturation des réanimations « embolise » tout l’hôpital, jusqu’aux urgences : « Pour des malades non-Covid, il faut passer des dizaines d’appels pour trouver des places, raconte l’urgentiste Wilfrid Sammut, qui travaille à l’hôpital de Versailles (Yvelines). Pour un gamin avec de multiples fractures, on a appelé 20 fois avant de trouver une place en réanimation pédiatrique, on a fini par l’imposer. Pour les malades critiques du Covid, une zone d’attente a été créée à l’hôpital Necker à Paris, on y envoie les patients si on ne trouve pas de places dans l’heure. Dans ces conditions, le nouveau pari du président paraît risqué… »

C’est en effet dans ce contexte que le président de la République dessine, ce vendredi 30 avril dans les journaux 3 de la presse quotidienne régionale, le calendrier du troisième déconfinement, qui s’échelonnera du 3 mai au 30 juin.

Lundi prochain, le 3 mai, lycées et collèges rouvriront en demi-jauges, et les restrictions de déplacement seront levées, les Français pourront donc se déplacer les deux longs week-ends de mai, à l’Ascension et à la Pentecôte. Le 19 mai, quelques jours avant la Pentecôte, le couvre-feu sera décalé à 21 heurs, les terrasses des bars et restaurants devraient rouvrir, dans une limite de 6 personnes à table, ainsi que les cinémas et théâtres, avec des jauges également. Reprendront aussi les activités sportives de plein air, ou sous abri. « Il nous faut retrouver notre art de vivre à la française, en restant prudents et responsables », dit Emmanuel Macron.

Le 9 juin, le couvre-feu sera repoussé à 23 heures, le télétravail assoupli, les cafés et restaurants rouvriront y compris en intérieur, ainsi que les salles de sport. Le président fixe au 30 juin la fin de la plupart des restrictions, mais la distance sociale et les gestes barrières seront maintenus. Et à chacune de ces étapes, la levée des restrictions pourra être retardée en cas de « situation sanitaire dégradée », notamment dans les départements où le taux d’incidence serait durablement supérieur à 400 cas pour 100 000 habitants.

« Nous avons assumé cette priorité éducative et cette stratégie de vivre avec le virus, y compris face à un haut niveau d’incidence, supérieur à celui de nos voisins », explique-t-il, sans qu’on ne comprenne très bien ce que recouvre ce « nous » collectif, puisqu’il prend depuis des mois des décisions seul. Cette fois, il promet « une grande phase de concertation à trois niveaux : avec les parlementaires, avec l’ensemble des partenaires sociaux et professionnels et avec les élus des territoires ». Mais le calendrier désormais présenté aux Français, que reste-t-il à discuter ?

« Je n’ai jamais fait de pari sur la santé et la sécurité de nos concitoyens, se défend-il. J’assume d’avoir fait des choix, mais ce ne sont pas des paris. Cela sous-entendrait que ce serait aventureux. Non. Nous avons été éclairés par la science et nous avons fait le choix de mettre l’humain avant tout. » Les membre du Conseil scientifique qui se sont prononcés pour un reconfinement préventif fin janvier, pour justement éviter le « haut niveau d’incidence » actuel, ainsi que la pénétration des variants préoccupants, apprécieront.

Dans un pays qui maîtriserait l’épidémie – soit la plupart des pays européens, à l’exception de la France, des Pays-Bas et de la Suède –, l’échelonnement proposé par le président du République ferait sens. Il prend en compte le rythme de la vaccination, qui doit s’accélérer : selon le dernier calendrier du ministère de la santé, la France devrait avoir reçu 45 millions de doses de vaccins en mai, 77,2 millions en juin. Il intègre aussi la connaissance acquise sur les lieux de circulation du virus : essentiellement en intérieur, lorsque la densité est forte et les gestes barrières non respectés. Les commerces et la culture ont des protocoles sanitaires solides, qui permettent de réduire les risques. Des risques de contaminations massives persisteront dans les lieux festifs. Un passe sanitaire sera exigé dans les « stades, festivals, foires ou expositions » : il consistera en une preuve d’une vaccination, ou d’un test PCR négatif.

Seulement, avec 300 morts par jour du Covid et 5 8000 patients en soins critiques (nombre qui ne baisse toujours pas 3), ces mesures ne peuvent pas être accueillies avec soulagement, au moins par le monde hospitalier, l’ensemble des malades, des personnes fragiles, et tous ceux qui se soucient d’eux.

« Si on a une 4e vague, je pars sur un voilier, tout seul »

« La réalité épidémique en France ne permet pas d’envisager un desserrement à court terme », réagit par exemple la Fédération hospitalière de France, qui rappelle le président de la République à la gravité de la crise sanitaire et à ses objectifs passés non tenus : « 30 000 à 40 000 » cas par jour, « quand l’objectif de déconfinement fixé en décembre dernier était à 5 000 cas par jour », « 6 000 patients Covid en réanimation depuis deux semaines, soit le double de l’objectif fixé par les pouvoirs publics ».

Emmanuel Macron fixe un seuil d’alerte extrêmement haut : « Nous pourrons actionner des “freins d’urgence” sanitaires dans les territoires où le virus circulerait trop. À l’heure actuelle, il y a dix départements dans lesquels l’incidence dépasse 400 cas pour 100 000 habitants. » En Allemagne, le seuil d’alerte est de 100 cas pour 100 000 habitants.

Emmanuel Macron est en réalité parfaitement lucide : l’incidence du virus, aujourd’hui de 300 cas pour 100 000 habitants en moyenne en France ne baissera pas rapidement. Jeudi, huit départements (Paris, Oise, Seine-Saint-Denis, Seine-et-Marne, Essonne, Bouches-du-Rhône, Val-de-Marne et Val-d’Oise) présentaient encore un taux de plus de 400 pour 100 000 habitants. « À 400 cas pour 100 000 habitants, la France deviendrait un danger pour les pays alentour, et prendrait le risque de se voir classée comme tel », a prévenu l’épidémiologiste suisse Antoine Flahault dans un tweet. De quoi jeter une ombre sur la perspective de reprise du tourisme cet été.

« Les mesures sont régulées pour éviter les à-coups, mais laissent le virus circuler à un niveau élevé, analyse l’épidémiologiste Renaud Piarroux, membre de l’Institut Pierre-Louis d’épidémiologie et de santé publique. Le but est-il d’atteindre l’immunité collective grâce aux contaminations et à la vaccination ? Ils font le choix de lâcher la pression sur le social et l’économique, malgré les malades, les morts, et le burn-out des soignants. C’est un choix politique : l’opinion s’est habituée, depuis décembre, à ce que 300 personnes meurent chaque jour du Covid. La crise dans les hôpitaux va se prolonger. Cela peut pousser des soignants, y compris des médecins, à quitter l’hôpital », prévient-il.

Malgré la légèreté des annonces du président, Renaud Piarroux ne voit cependant pas se reformer une « 4e vague, plutôt une 3e vague qui s’étire ». Ce n’est pas l’avis des modélisateurs de l’Institut Pasteur, dirigés par Simon Cauchemez. Ils ont publié le 26 avril leurs « scénarios de levée des mesures de freinage 3 ». Ils mettent en garde : « Une remontée importante des hospitalisations pourrait être observée en cas de levée trop rapide des mesures de freinage le 15 mai, même sous des hypothèses optimistes concernant le rythme de vaccination. »

Les scénarios des modélisateurs sont en réalité optimistes : ils considèrent que les vaccins protègent à 90 % contre le virus et ne prennent pas en compte l’émergence de nouveaux variants. « Laisser circuler le virus, c’est prendre le risque de voir émerger de nouveaux variants, met en garde Renaud Piarroux. En mai et en juin, beaucoup de personnes n’auront toujours reçu qu’une seule dose de vaccin : quand l’immunité est imparfaite, le virus peut trouver un échappement, muter. Il y a aussi le risque que les variants présentant une mutation plus résistante aux anticorps et à la vaccination prennent le dessus : le variant sud-africain surtout, plus marginalement le brésilien, mais aussi la forme mutée du variant anglais, sur le site 484 de la protéine Spike, qui est en train de gagner du terrain en Île-de-France. »

Selon les derniers chiffres de l’Agence régionale de santé : ces trois variants représentent près de 10 % des tests criblés à Paris, en Seine-Saint-Denis et dans les Hauts-de-Seine, plus de 13 % dans le Val-de-Marne, contre 5 à 7 % il y a 2 semaines.

Le Conseil scientifique a rendu, le 21 avril, son avis sur l’organisation de la sortie de l’état d’urgence. En préambule, il met lui aussi en garde sur la situation sanitaire « malheureusement préoccupante ». Il prévient : « La durée prolongée de l’épidémie et la présence de variants » sur le territoire français est susceptible de « rendre la situation plus difficile dans les mois à venir ». S’il « émet un avis favorable à l’instauration d’un régime transitoire de sortie de l’état d’urgence sanitaire », les gestes barrières doivent être maintenus et le dépistage encouragé. Dans un autre avis, il s’est notamment prononcé en faveur d’un dépistage une ou deux fois par semaine des enfants et des professeurs dans les établissements scolaires, grâce aux auto-tests. Et il insiste sur « la possibilité d’un retour à l’état d’urgence sanitaire en cas de nécessité, en particulier en cas de reprise importante de l’épidémie liée à un nouveau variant ».

« Si on a une 4e vague dans la foulée, je pars sur un voilier, tout seul », fait mine de plaisanter le réanimateur parisien Jean-Michel Constantin. Puis il précise : « Je partirais sur un voilier, parce que sinon je serais tout seul dans mon service. » Il reconnaît la nécessité de « desserrer le confinement, on en a tous besoin. Peut-être que si on lâche un peu, la population sera plus vigilante. On voit tous, quand on rentre chez nous, que les masques tombent. Cela nous affecte ». Il prévient aussi : « Si on rouvre, il faudra savoir refermer. Et cette fois, ne pas nous traiter de rabat-joie si on alerte. »