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Médiapart - Marie-Aleth Grard : « L’augmentation de la pauvreté n’est pas la préoccupation du gouvernement »

Mars 2021, par Info santé sécu social

PAUVRETÉ ENTRETIEN
25 MARS 2021 PAR FAÏZA ZEROUALA

Le couperet vient de tomber. ATD Quart Monde ne siégera plus au Conseil économique, social et environnemental (CESE) en mai. Dans un entretien avec Mediapart, sa présidente, Marie-Aleth Grard, demande au gouvernement de revenir sur sa décision.

La présidente d’ATD Quart Monde, Marie-Aleth Grard, est inquiète. Alors que la pauvreté est galopante, la nouvelle qu’elle redoutait est confirmée : le mouvement ne siégera plus au sein du Conseil économique, social et environnemental (CESE).

Créée en 1925 sous le nom de Conseil national économique, cette institution a pour première mission de conseiller le gouvernement et le Parlement par des avis consultatifs. Elle est considérée comme la troisième assemblée de la République.

Inlassablement, Marie-Aleth Grard y porte la parole des plus pauvres, des exclus. Mais à partir du 15 mai, cela sera fini. Déjà, en mars, les organisations de jeunesse ont protesté, dans une lettre ouverte adressée au premier ministre Jean Castex, contre leur éviction prochaine et la perte de représentation des jeunes au sein de l’instance.

La réforme du CESE a fait peu de bruit, alors que la loi organique du 15 janvier 2021 a changé son rôle et sa composition. Elle a désormais vocation à être moins professionnelle et plus citoyenne : moins nombreuse – 175 membres contre 233, toujours répartis en trois pôles, économique, social et environnemental –, elle abritera respectivement 52 représentants des salariés ; 52 des entreprises, des exploitants agricoles, des artisans, des professions libérales, des mutuelles, des coopératives et des chambres consulaires ; 45 au titre de la cohésion sociale et territoriale et de la vie associative, dont 8 des outre-mer et 26 au titre de la protection de la nature et de l’environnement.

Les organisations soumises à une règle de représentativité, comme les syndicats ou les organisations patronales, peuvent obtenir une place au CESE sur la base de leurs résultats aux élections professionnelles. En revanche, pour le secteur associatif, la décision revient à l’Élysée et Matignon. Le choix est d’autant plus délicat que les places ont été restreintes par la réforme.

Marie-Aleth Grard milite depuis quarante ans dans le mouvement, « un engagement d’une vie », et a succédé en 2020 à Claire Hédon, devenue Défenseure des droits. Elle porte aussi la voix des plus déshérités au sein du Conseil scientifique.

Elle explique à Mediapart l’enjeu de la présence d’ATD Quart Monde au CESE et dénonce l’absence de stratégie réelle du gouvernement pour lutter contre la pauvreté de manière structurelle.

Mediapart. Quelle est votre réaction quant à l’éviction d’ATD Quart Monde du CESE ?

Marie-Aleth Grard : Ce n’est pas la décision du CESE mais du gouvernement. Un décret a été envoyé au Conseil d’État pour déterminer la nouvelle composition du CESE préconisée par le rapport de Jean-Denis Combrexelle, le conseiller d’État chargé de dessiner avec des sénateurs et députés le nouveau Conseil économique, social et environnemental. Nous passons de 233 membres à 175.

Je précise que je ne m’intéresse qu’à la lutte contre la grande pauvreté, je ne veux pas rentrer dans les querelles entre ceux qui sont nommés ou pas. Mais il faut bien expliquer que pour la lutte contre la grande pauvreté dans notre pays, la Croix-Rouge, un opérateur public plutôt versé dans le domaine de la santé, ne pourra porter ce sujet seule.

Dans le mandat actuel, il y a la Croix-Rouge, Les Petits Frères des pauvres et ATD Quart Monde. Là, il est proposé que reste la Croix-Rouge et que s’ajoute un représentant du collectif Alerte. Point. Nous dénonçons, au regard des travaux menés par ATD Quart Monde, le fait que nous ne soyons pas présents au CESE. Nous avons une place particulière dans cette maison, car nos rapports, même si je n’aime pas forcément nous mettre en avant, ont fait avancer la lutte contre la pauvreté et la grande pauvreté.

Quelles idées avez- vous défendues au CESE et qu’avez-vous obtenu ?

En 1987 par exemple, Joseph Wresinski a été à l’initiative d’un rapport qui a fait date : « Grande pauvreté et précarité économique et sociale », qui a donné une définition de la pauvreté et de la grande pauvreté. Il a permis la mise en place de mesures phares comme l’instauration d’un revenu de dignité pour les personnes très pauvres, le revenu minimum d’insertion voté en 1988.

Geneviève de Gaulle-Anthonioz a présenté à l’Assemblée nationale en 1998 une loi de lutte contre les exclusions qui a débouché sur la CMU, la couverture maladie universelle. Nous avons aussi lancé l’idée du droit au logement opposable, le Dalo, pour ne prendre que quelques exemples.

C’est au regard de ces avancées, et du nombre de personnes qui vivent dans la grande pauvreté dans notre pays, au moins 16 % de pauvres, que nous demandons un poste supplémentaire pour ATD Quart Monde avec la Croix-Rouge et le collectif Alerte. Il faudrait trois représentants a minima pour être à la hauteur pour la lutte contre la pauvreté.

Pourquoi est-ce si important pour ATD Quart Monde d’être présent au CESE depuis 1979 ?

Pour nous, cette troisième assemblée de la société civile est très importante. J’ai par exemple produit un rapport sur l’école de la réussite pour tous. J’ai réussi à faire travailler durant trois séances du CESE des conseillers avec des personnes qui ont l’expérience de la grande pauvreté. Ils ont formulé des préconisations sur l’école de la réussite pour tous. C’est rare de pouvoir apporter dans un lieu de la société française les expériences, les pensées et savoirs des personnes les plus pauvres.

Nos députés et sénateurs et les décideurs de notre pays s’inspirent de nos travaux. C’est la parole de la société civile, c’est un lieu comme il n’en existe pas d’autres. Toutes ces composantes se retrouvent et on ne fait pas de concessions dans nos discussions. Je donne toujours cet exemple un peu caricatural mais, entre la CGT et le Medef, on s’écoute et on fait avancer les positions des uns et des autres. Et là clairement, les plus pauvres ne vont plus avoir la parole.

« On ne va pas laisser sur le bord du chemin dix millions de personnes »
Quel est le signal envoyé par votre absence ? Les organisations de jeunesse ont également protesté contre leur éviction donc leur moindre représentation…

Pour moi, le gouvernement montre ici combien l’augmentation de la pauvreté et de la grande pauvreté n’est pas sa préoccupation. Depuis trois ans, la première augmente, et depuis un an c’est la deuxième qui augmente, c’est un donc un signal fort de désintérêt de la part du gouvernement. Il dit que ce n’est pas son problème majeur. En tout cas, moi je le traduis comme cela.

Dans un contexte où la pauvreté progresse, vous avez besoin de cette tribune pour porter certains chantiers. Lesquels ?

On ne va pas laisser sur le bord du chemin dix millions de personnes, ce n’est pas acceptable. Les chiffres sont effarants. Il y a six millions de personnes qui vivent sous le seuil de pauvreté, plus de quatre millions ont des problèmes de logement ou vivent dans la rue. Plus de trois millions de jeunes dans le système scolaire vivent dans une famille qui vit sous le seuil de pauvreté et pas seulement dans les quartiers estampillés REP et REP +.

Il faut mettre en œuvre une vraie politique qui permette aux gens de se loger dignement. Il faut aussi une revalorisation des minima sociaux, car on ne vit pas avec le RSA dans notre pays, on survit. Quand on est en mode survie, on passe ses journées à chercher à manger pour ses enfants, on mange froid dans les hôtels. Ça tue les gens d’être à quatre, cinq, six dans une chambre, sans un coin pour respirer ou être tranquille pour faire les devoirs. Ces familles sont déplacées sans cesse et doivent faire des trajets incroyables pour aller chaque jour à l’école, car c’est important pour ces parents-là – comme tous les parents, contrairement aux idées reçues. Ces conditions de vie sont inacceptables dans un pays comme le nôtre. Toutes les associations de lutte contre la pauvreté le dénoncent.

Vous êtes aussi membre du conseil scientifique, alertez-vous aussi les pouvoirs publics sur la situation des plus pauvres durant cette pandémie ?

Nous parlons de cette question dans le dernier avis. Nous demandons qu’il n’y ait plus ces évacuations de squats, de campements et de bidonvilles. Nous demandons des logements pour les plus précaires. Ça n’a marqué personne même si c’est très présent. Le quotidien des plus pauvres est infernal. Par exemple depuis un an, il est impossible de joindre par Internet ou par téléphone les services publics comme la Caisse d’allocations familiales. Certaines personnes au RSA ou qui perçoivent les APL voient leurs aides diminuer sans explication ni possibilité d’en discuter physiquement. Certaines préfèrent abandonner.

Que pouvez-vous dire de la stratégie de lutte contre la pauvreté du gouvernement ?

La stratégie de lutte contre la pauvreté du gouvernement est au point mort, elle ne fait rien avancer. Elle est inaudible même. Nous ne les rencontrons même pas, cela fait un temps fou que nous n’avons pas échangé. Il y a un troisième confinement, particulièrement difficile pour ces personnes qui vivent dans ces logements trop petits, dans ces quartiers pas faciles ou dans la rue. On continue d’évacuer des campements, des bidonvilles, les camps de migrants à Calais tous les jours en pleine crise sanitaire alors, oui, on peut dire que la stratégie pauvreté est au point mort dans notre pays.

Nous, les associations, on ne peut pas pallier tous ces manques. On veut des politiques structurelles dans le domaine du logement, de l’éducation et de l’emploi. Avoir cette tribune au CESE est important. Notre mandat s’achève le 31 mars et la prochaine mandature reprend le 15 mai. Le gouvernement a donc un mois et demi pour réfléchir et changer d’avis