Segur de la santé (Mai Juillet 2020)

Mediapart : Olivier Véran clôt le Ségur de la santé en recyclant les promesses

Juillet 2020, par infosecusanté

Mediapart : Olivier Véran clôt le Ségur de la santé en recyclant les promesses

22 JUILLET 2020

PAR CAROLINE COQ-CHODORGE

Du Ségur de la santé, le ministre de la santé retient 33 propositions dont certaines ont déjà été formulées. Mais parmi elles se niche une promesse de rupture, si elle était suivie d’effet : le calcul du budget de l’assurance maladie à partir des besoins de santé, et non des impératifs budgétaires.

Le ministre de la santé Olivier Véran a clos, mardi 21 juillet, le Ségur de la santé. Des six semaines de négociations avec les acteurs du système de santé, rythmées par 100 réunions, il a retenu 33 propositions.

À ses côtés pour les présenter, l’ex-secrétaire général de la CFDT Nicole Notat a insisté sur le « moment inédit » et l’attente d’une « transformation en profondeur du système de santé ». Celle qui préside aujourd’hui une agence de notation sociale des entreprises a presque sermonné l’administration de la santé, dans les murs du ministère : « Les retards à l’exécution des décisions prises au niveau national entament la confiance des acteurs. »

21 juillet 2020, à Paris. Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales ; Brigitte Bourguignon, ministre déléguée en charge de l’autonomie ; Olivier Véran, ministre de la Santé ; et Nicole Notat, coordinatrice du « Ségur de la santé ». © Bertrand Guay / AFP
21 juillet 2020, à Paris. Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales ; Brigitte Bourguignon, ministre déléguée en charge de l’autonomie ; Olivier Véran, ministre de la Santé ; et Nicole Notat, coordinatrice du « Ségur de la santé ». © Bertrand Guay / AFP
En écho, le collectif Inter-Hôpitaux rappelle également au ministre : « L’expérience passée montre qu’il peut y avoir de grandes différences entre la parole et les actes. »
Dans un premier volet du Ségur, le gouvernement a déjà accordé 8,2 milliards d’euros aux personnels des établissements de santé et des Ehpad pour revaloriser leurs salaires. Mais ce n’est pas un solde de tout compte. Car avec constance, et bien avant la crise du Covid-19, les professionnels de santé réclament aussi une réforme profonde du système de santé qui l’extraie d’une spirale de restrictions budgétaires.

Ce Ségur n’est pas une rupture dans la politique de santé. Au contraire, il s’inscrit dans la droite ligne des réformes successives, dont la dernière d’entre elles, le plan « Ma santé 2022 » porté par Agnès Buzyn. Olivier Véran en a lui-même convenu : ce Ségur est « un accélérateur du plan “Ma santé 2022”, dans tous les domaines ».

« Il n’y a en réalité pas beaucoup plus de choses dedans », tacle Thierry Godeau, médecin à l’hôpital de La Rochelle et représentant des conférences médicales d’établissement des centres hospitaliers. L’infirmier Hugo Huon, président du collectif Inter Urgences, confirme : « Une quantité de mesures présentées ne sont pas nouvelles. »

C’est le cas de celle portant sur l’encadrement de l’intérim médical, comparé à du « mercenariat ». Seulement, Olivier Véran n’annonce rien de neuf : Agnès Buzyn avait déjà fixé un plafond tarifaire, qui n’est toujours pas respecté. L’actuel ministre promet cette fois des sanctions aux établissements récalcitrants.

Le docteur Godeau n’accorde sur ce sujet aucun crédit au ministre : « Il faudra alors que l’État assume de fermer les petits services d’urgence et les petites maternités », là où les médecins manquent cruellement et où les intérimaires imposent leurs prix.

Sur la réouverture des lits d’hôpital, réclamée à cor et à cri par les hospitaliers, l’ambition affichée est de petite envergure : 4 000 lits de médecine devraient être rouverts « à la demande », et de manière temporaire, pour faire face à « une suractivité saisonnière ou épidémique ». Ces 4 000 lits représentent 1 % des 400 000 lits des établissements publics. Depuis 2003, ce sont 73 000 lits qui ont été supprimés, suivant un objectif de gestion à flux tendu de l’hôpital, qui épuise les équipes.

La secrétaire générale de la CGT santé Mireille Stivala « ne voit pas trop le concept des lits ouverts à la demande. Ce sont des lits accordéons ? On va pousser les murs des hôpitaux ? Où va-t-on trouver le personnel ? Cela va être la foire d’empoigne entre les établissements pour obtenir quelques ouvertures ». Hugo Huon assure, lui, qu’« il n’y a pas de saisonnalité sur le manque de lits, il en manque tout le temps ».

Mireille Stivala relève également que les soignants n’ont pas été entendus sur leur revendication répétée d’un ratio minimum de personnels soignants auprès des malades. Car le nombre d’infirmiers ou d’aides-soignants n’a cessé de baisser dans les services hospitaliers ces dernières années.

Olivier Véran a en revanche satisfait les hospitaliers en annonçant la fin du Comité interministériel de la performance et de la modernisation de l’offre de soins (Copermo). Créé en 2012 par Marisol Touraine, il accordait aux établissements de santé des financements d’État pour d’importants investissements, mais contre des restructurations qui impliquaient souvent des fermetures de lits et des suppressions de postes, comme à Nantes ou à Nancy. Le Copermo sera remplacé par un « comité d’investissement », où siégeront les élus locaux. Est-ce un simple changement de nom ou un véritable tournant dans la conduite de l’investissement hospitalier ?

Autre recyclage d’une vieille promesse d’Agnès Buzyn : l’allègement d’un tiers de la dette des hôpitaux, soit 13 milliards d’euros. Les hospitaliers ont obtenu cette mesure, qui va accorder un peu d’air aux établissements surendettés, après leur grande manifestation du 14 novembre dernier. Le gouvernement ajoute 6 milliards supplémentaires d’investissements directs : 2,1 milliards pour rénover et équiper les Ehpad, 2,5 milliards destinés à des projets hospitaliers et 1,4 milliard pour investir dans le numérique, afin que l’hôpital se dote enfin « de systèmes d’information du XXIe siècle », a dit sobrement Nicole Notat.

Une partie de cette enveloppe extraordinaire permettra des investissements très ordinaires dans des « moniteurs, des pousse-seringues, des chariots, des brancards, des lits », a énuméré Olivier Véran, dans un inventaire de tout ce qui manque, ne marche ou ne roule plus à l’hôpital.

Le ministre de la santé s’est encore engagé à satisfaire une très ancienne demande du monde hospitalier : la fin du financement intégral de l’hôpital à l’activité, instauré en 2008 et sans cesse contesté depuis. L’instauration de la tarification à l’activité, ou T2A, a marqué le basculement de l’hôpital dans une logique de rentabilité économique.

Seulement, Emmanuel Macron avait déjà promis de diminuer la part de T2A à 50 % du financement de l’hôpital... en 2017, pendant la campagne présidentielle. En 2020, le gouvernement promet d’« accélérer ». Il fait en réalité un tout petit pas, en lançant des expérimentations locales sur un financement « populationnel », en fonction des besoins de santé du territoire. Pour le représentant des médecins Thierry Godeau, l’annonce est « toujours floue. On a du mal à avancer ».

Le Ségur de la santé donne en revanche satisfaction aux hospitaliers sur la gouvernance de l’hôpital. Depuis la loi Bachelot de 2009, le directeur était le « seul patron » à l’hôpital. Les médecins seront désormais associés à la décision. Un membre du personnel paramédical doit aussi entrer au directoire de l’hôpital. La présence des usagers devrait être aussi renforcée.

L’annonce la plus forte du ministre de la santé est encore à l’état de promesse. Elle concerne le calcul de l’Objectif national de dépenses de l’assurance maladie (Ondam), voté chaque automne par les parlementaires dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS). L’Ondam a été au cœur des discussions du Ségur, puisqu’il est devenu, ces 10 dernières années, un outil de restriction budgétaire des dépenses de santé. Il est en effet toujours insuffisant pour couvrir les besoins de santé. Il « sera très nettement réévaluée en 2021, vous le verrez », a promis Olivier Véran.
Le ministre s’est aussi engagé sur un « débat démocratique » sur l’Ondam au sein du Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance maladie (HCAAM), où siègent tous les acteurs de la santé. « Au fond, l’enjeu, c’est de faire de l’Ondam l’expression non seulement d’une trajectoire de finances publiques mais aussi et surtout d’une politique de santé », a-t-il expliqué.

« Il y a là une ouverture », reconnaît le docteur Godeau. Le collectif Inter-Hôpitaux ne cache pas son impatience dans un communiqué : « La modification de l’Ondam pour l’adapter aux besoins de santé publique est une urgence. »

Le prochain projet loi de financement de la sécurité sociale, qui sera présenté par le gouvernement en septembre, sera crucial. Il devra donner corps aux promesses faites aux hospitaliers, tout en affrontant un gigantesque déficit de la sécurité sociale, de plus de 50 milliards d’euros.