Environnement et facteurs dégradant la santé

Médiapart - Plomb à Notre-Dame de Paris : l’Agence de santé rappelée à l’ordre

Septembre 2019, par Info santé sécu social

7 SEPTEMBRE 2019 PAR PASCALE PASCARIELLO

L’Agence régionale de santé a attendu plus de deux mois avant de rendre publiques les données sur la pollution au plomb à Notre-Dame de Paris, enfreignant la loi qui l’oblige à communiquer sans délai toute information relative à l’environnement. Fait exceptionnel : le président de la Commission d’accès aux documents administratifs a rappelé à l’ordre l’ARS, qui dément toute « stratégie de dissimulation ».

Alors que depuis le 6 mai, l’Agence régionale de santé (ARS) avait connaissance des résultats des taux de concentration en plomb sur le chantier de Notre-Dame et ses alentours, elle a étonnamment attendu le 18 juillet pour les publier, exposant de la sorte, et pendant plus de deux mois, riverains et ouvriers.

En refusant d’informer et en minimisant l’étendue de la pollution, l’ARS, qui se se défend de toute « stratégie de dissimulation », n’a pas déclenché de politique de prévention des risques cohérente et suffisante. Le dépistage des enfants a été officiellement lancé dans un communiqué de presse le 4 juin. Après l’incendie, aucune école n’a été frappée d’une mesure de fermeture, et c’est seulement à la fin de l’été qu’elles ont été nettoyées. Quant au chantier, il n’a été interrompu qu’après trois mois d’alertes répétées de l’Inspection du travail, largement enterrées par l’ARS et le ministère de la culture.

Interpellé par ce manque de transparence, le président de la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) a, démarche exceptionnelle, rappelé au président de l’ARS qu’il devait respecter la loi et rendre publics et sans délai les résultats des taux de concentration en plomb.

À la suite de l’incendie de Notre-Dame, Mediapart avait, dès le 4 juillet révélé qu’une forte pollution au plomb dans et aux alentours de l’édifice avait été relevée. Le plomb, substance classée cancérigène, mutagène et reprotoxique (CMR), peut provoquer de graves lésions, notamment des problèmes de stérilité ou des lésions neurologiques irréversibles. Comme nous l’explique un chercheur de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), 50 μg/l (microgrammes de plomb par litre de sang) représentent un seuil d’intervention mais « des concentrations bien plus faibles peuvent être délétères chez les enfants. L’effet le plus préoccupant d’une intoxication au plomb est la diminution des performances cognitives et sensorimotrices. Une plombémie de 12μg/l est associée à la perte d’un point de QI ».

Aujourd’hui, selon le dernier communiqué de l’ARS du 6 août (et dont une mise à jour doit être faite dans la semaine du 9 septembre), sur les 175 enfants dépistés après l’incendie, 2 ont un taux de plomb supérieur à 50 μg/l, seuil d’intervention déclenchant une déclaration de saturnisme, et 16 ont un taux supérieur au seuil de vigilance de 25μg/l.

Nous avions publié la carte des résultats des taux de concentration en plomb. Réalisé à partir d’une synthèse des résultats d’analyses datée du 3 mai et transmis lors d’une réunion du 6 mai, ce document du laboratoire de la préfecture de police était également détenu par l’ARS et la mairie, qui se sont bien gardés, alors, de le rendre public. Les prélèvements faisaient apparaître des taux de concentration en plomb alarmants. Sur le parvis, ils étaient 500 fois au-dessus du seuil réglementaire et, à l’extérieur de la zone du chantier, dans certaines rues ou squares, ils pouvaient être 800 fois supérieurs au seuil.

Il a fallu attendre plus de deux mois pour que l’ARS organise, le 18 juillet, une conférence de presse et rende, enfin, ces résultats publics.

En dissimulant des données primordiales pour la santé et l’environnement, l’ARS a enfreint les règles les plus élémentaires de sa mission, qui consiste à améliorer la santé et à prévenir les crises sanitaires.

Comme nous le rapportions, lors d’une réunion organisée le 6 mai dans ses locaux en présence des différents acteurs du dossier, dont la préfecture de police et la mairie de Paris, les représentants de l’ARS ont annoncé ne pas vouloir rendre publics les résultats des prélèvements. Sans le moindre scrupule, ils ont déclaré ne pas répondre aux sollicitations des associations de défense de l’environnement, qui n’auraient qu’à se tourner vers la CADA. Cette autorité indépendante peut être saisie par des personnes (physiques ou morales) pour avoir accès à des documents dont l’accès a été refusé par l’administration concernée, à juste titre ou pas.

« Renvoyer vers la CADA, c’est jouer la montre. C’est sidérant pour une institution censée protéger la population des dangers liés à des pollutions environnementales », déplorait alors une personne présente à cette réunion.

Contactée par Mediapart, l’ARS, qui n’avait pas démenti ces propos rapportés par plusieurs témoins, avait néanmoins refusé de les commenter.

Et les faits se sont avérés. Dès le 2 mai, l’Association des familles victimes du saturnisme (AFVS) demande par courrier à l’ARS « une information officielle et complète sur les risques encourus et les résultats des analyses des sols, de l’air et de l’eau ». Sa présidente, Mathé Toullier, s’inquiète par ailleurs de « l’insuffisance » des conseils donnés aux riverains, en particulier concernant le nettoyage des lieux pollués, qui doivent aller « au-delà d’un passage de lingette », et demande à ce qu’un « pôle d’information soit mis en place » afin d’orienter et de prendre en charge les personnes susceptibles d’être intoxiquées.

L’AFVS ne recevra aucune réponse de l’ARS.

Le 4 juillet, c’est au tour de l’association de défense de l’environnement Robin des bois d’envoyer par recommandé à l’agence sanitaire la lettre suivante : « Merci de nous communiquer d’une part les teneurs en plomb des prélèvements réalisés par le Laboratoire central de la préfecture de police de Paris dans l’air (par m3), sur les sols (par m2) et dans les sols (par kg) dans l’île de la Cité, sur la voirie, dans les jardins publics entre le 16 avril et le 4 juillet 2019 et de nous communiquer d’autre part les teneurs en plomb des prélèvements analogues éventuellement réalisés dans les Ier, IVe, Ve et VIe arrondissements de Paris entre les mêmes dates. »

Si l’association a bien reçu l’avis de réception, elle n’a en revanche obtenu aucune réponse de l’ARS concernant les résultats des prélèvements.

À la suite de notre article, le 4 juillet, Raymond Avrillier[1], écologiste et ancien maire adjoint de Grenoble, a saisi la Commission d’accès aux documents administratifs, lui faisant part de « la rétention volontaire et grave d’informations relatives à la sécurité sanitaire » pratiquée par l’ARS qui, de la sorte, « fait perdre du temps au regard de l’action de sécurité sanitaire ».

Cette posture de l’ARS, pour le moins aberrante, n’a pas manqué d’irriter le président de la CADA, Marc Dandelot. Dans un premier temps et en réponse à Raymond Avrillier, il déplore que l’ARS tende ainsi à « instrumentaliser la commission en vue de retarder artificiellement la communication de documents administratifs et d’informations environnementales […] immédiatement communicables. C’est difficilement acceptable ». Et Marc Dandelot va le faire savoir directement à l’ARS.

L’ARS est accusée de « manoeuvre dilatoire » et d’« attitude contraire à la volonté du législateur »
Démarche inaccoutumée, dans un courrier du 16 juillet adressé à Aurélien Rousseau, président de l’ARS d’Île-de-France, le président de la Commission d’accès aux documents administratifs qualifie de « manœuvre dilatoire » ce refus de communication de l’ARS et dénonce une « attitude [qui] est clairement contraire à la volonté du législateur en matière d’ouverture des données publiques ».

En lui précisant qu’en application du code de l’environnement et du code des relations entre le public et l’administration, l’agence sanitaire est tenue de « rendre publiques les données recueillies par les autorités publiques […] ayant ou susceptibles d’avoir des incidences sur l’environnement », Marc Dandelot offre une leçon de droit et de transparence au président de l’ARS.

Enfin et pour que le message soit bien compris, il tient à préciser que « les résultats des prélèvements réalisés par le laboratoire central de la préfecture de police sur le site de Notre-Dame entrent dans ces prescriptions et qu’il […] appartient [à l’ARS] de les communiquer et de les rendre publics et ce sans attendre une éventuelle saisine de la CADA ».

Deux jours après ce courrier, l’agence rend finalement publics les résultats.

Pour Arnaud Gossement, avocat spécialisé en droit de l’environnement, ce courrier du président de la CADA est absolument inhabituel. « Ce qui est frappant, c’est qu’un conseiller d’État, qui a la culture de la discrétion, s’adresse dans ces termes à l’ARS en lui disant : “Vous saviez que ces documents étaient communicables mais vous avez décidé de m’instrumentaliser.” C’est une accusation violente et rare mais vraie et appréciable », commente-t-il.

« D’autant que, selon la CADA, l’ARS a, dans ce cas, non seulement fait de la rétention de documents importants pour la santé et l’environnement, mais elle a tenté d’instrumentaliser le gendarme des informations administratives, la CADA, en se servant de lui pour faire cette rétention », conclut Arnaud Gossement.

Contactée par Mediapart, l’ARS a expliqué que les résultats étaient fluctuants et qu’il avait été nécessaire d’attendre juillet pour avoir une vue d’ensemble. « Les premières mesures recueillies n’étaient pas communicables en l’état, car trop partielles, trop hétérogènes, pour guider efficacement l’action des pouvoirs publics », indique l’agence, samedi 7 septembre [voir l’intégralité de sa réponse dans l’onglet Prolonger de cet article].

« Les données stabilisées publiées dans le dossier documentaire du 18 juillet ne sont pas celles dont nous disposions déjà le 6 mai [...] Le fait de ne pas publier des données non stabilisées, et de ne les communiquer qu’au moment où les mesures de gestion ont été validées par les experts, sous forme d’un avis sanitaire, est une décision assumée par les pouvoirs publics. Elle ne relève en aucun cas d’une stratégie de dissimulation, mais bien de la volonté d’apporter une réponse adaptée sur la base d’un diagnostic vérifié », indique-t-elle encore.

Or, les résultats des prélèvements qui sont donnés le 18 juillet sont, en réalité, les mêmes que ceux transmis le 6 mai. Ce que l’ARS appelle des données « stabilisées » correspond dans les faits à un élargissement de la zone de prélèvements. Quoi qu’il en soit, selon le Code l’environnement, ces données (« stabilisées » ou non) doivent être communiquées sans délai à qui les réclame.

Concernant les remarques faites par le président de la CADA, l’agence indique : « L’ARS a toujours assuré la transparence des résultats de santé publique, notamment en faisant des points réguliers sur les résultats des plombémies réalisées et en publiant, sur son site internet et par voie de presse, tous les cas supérieurs au seuil de déclaration obligatoire, qu’ils soient ou non en lien avec l’incendie de Notre-Dame, dès qu’elle en avait connaissance ».

L’ARS se targue d’avoir communiqué très tôt. Elle l’a fait mais a minima. Elle se contente, le 27 avril, conjointement avec les préfectures de police et de région, de prodiguer des conseils d’hygiène aux riverains, les invitant à « procéder au ménage de leur habitation ou local et de leurs meubles et objets, à l’aide de lingettes humides pour éliminer tout empoussièrement ».

Plus grave, elle assure, toujours avec la préfecture, qu’en « présence de retombées de plomb » dans les environs, les zones concernées « sont d’ores et déjà interdites au public et que leur accès ne sera réouvert que lorsque ces teneurs en plomb seront redevenues normales ». Pourtant, plusieurs lieux pollués, comme la fontaine Saint-Michel, sont restés accessibles au public. Leur dépollution sera annoncée plus d’un mois après, le 4 juin.

Les communiqués se suivent ainsi et se contredisent souvent. Le 9 mai, l’ARS explique qu’en dehors des zones à « proximité immédiate » de la cathédrale, aucun des prélèvements réalisés sur l’île de la Cité ne révèle la présence de taux supérieurs aux valeurs repères. La carte du laboratoire de la préfecture de police témoigne du contraire.

Le refus de l’ARS d’apporter une information complète sur l’état de la pollution, minimisant souvent les risques tout en annonçant les prendre en considération, n’a fait que retarder des mesures pourtant simples et surtout essentielles, comme la dépollution des établissements scolaires. On le constate encore aujourd’hui : le 5 septembre, cinq écoles privées ont réouvert leurs portes, ayant dû être dépolluées tardivement, tandis qu’un autre établissement est resté fermé. Une désorganisation à la hauteur du déni de l’ARS.