Environnement et facteurs dégradant la santé

Médiapart - Pollution : en France, les enfants pauvres sont les premières victimes

Octobre 2021, par Info santé sécu social

14 OCTOBRE 2021 PAR JADE LINDGAARD

Plus les enfants sont pauvres, plus ils sont vulnérables à la pollution, explique un rapport publié en cette journée nationale de la qualité de l’air. Naître à Marseille à proximité d’un axe routier majeur, c’est être « victime d’une inégalité environnementale ».

Une nouvelle fois, la journée nationale de la qualité de l’air, jeudi 14 octobre, n’aura pas été celle des inégalités sociales face à ses impacts sanitaires. Le ministère de la transition écologique a bien publié un bilan de la qualité de l’air extérieur en 2020. S’il détaille les dépassements de seuil pour différents polluants atmosphériques et publie des cartes des communes et territoires les plus impactés, il ne les croise pas avec les niveaux de revenus des habitant·e·s impacté·e·s.

C’est le travail que propose en revanche un rapport minutieux, courageux et inquiétant par ses enseignements, consacré à l’exposition des enfants pauvres à la pollution de l’air. Publié par deux ONG, le RAC (Réseau Action Climat) et l’Unicef, et sous la plume d’expert·e·s et de chercheur·e·s en santé, il propose une synthèse de l’état des savoirs sur le sujet.

Entre les citations de publications scientifiques et les cartes, on y lit une phrase qui glace le sang : « Les inégalités environnementales entre les enfants commencent dès la conception en période in utero, se cumulent et persistent à la naissance puis pendant l’enfance. » De quoi s’agit-il exactement ?

Parmi les nombreux exemples cités, les auteur·e·s du rapport expliquent qu’en France l’étude d’une cohorte de 15 000 femmes enceintes a montré que l’exposition aux polluants atmosphériques augmentait avec la défaveur sociale. Quand ils grandissent, en fonction de là où ils vivent, les enfants pauvres ne sont pas systématiquement exposés à une pollution plus grave.

À Lille, la concentration moyenne de dioxyde d’azote (NO2, une substance particulièrement toxique, émise massivement par le trafic routier) augmente avec le niveau de défaveur socio-économique. Mais à Paris, le phénomène est inverse, en raison de la présence d’axes de circulation très fréquentés dans les beaux quartiers – à l’exception notable des logements situés près du périph. Et à Lyon, la pollution touche plus fortement les quartiers où vivent les classes intermédiaires.
En revanche, les familles pauvres sont plus exposées à la dégradation de leur qualité de vie due à la pollution, car elles ne peuvent pas s’y soustraire (pas de résidence secondaire, moins de départs en vacances, pollution intérieure de logements en mauvais état). Tout au long de sa vie, un individu est exposé à un ensemble de pollutions, d’origines diverses, liées à son environnement ou à ses usages personnels (tabac, alcool, toxicomanie, etc.). C’est ce qu’on appelle « l’exposome ».

Les enfants sont plus spécifiquement sensibles à la pollution, en raison de leur masse corporelle plus réduite, de la perméabilité de leurs barrières physiologiques et de l’impact des substances toxiques sur leur développement. Aux États-Unis, une étude conduite entre 1989 et 1991 sur près de 4 millions de femmes avait établi que le risque de mortalité post-néonatale – soit concernant les enfants entre un mois et un an – augmentait avec l’exposition aux particules fines PM10.

En France, leur temps de vie se répartit essentiellement entre leur domicile, l’école et les lieux de garde. En 2017, l’association AirParif a mesuré que 27 % des établissements de Paris et de sa petite couronne recevant du public sensible connaissaient des dépassements fréquents des seuils de dioxyde d’azote. À Lyon, seule commune pour laquelle ces données existent, la proportion des écoles situées en zones d’éducation prioritaire (REP et REP+) est trois fois plus élevée là les taux de dioxyde d’azote dépassent les niveaux recommandés.

À Paris, les habitant·e·s les plus pauvres risquent trois fois plus de mourir d’un épisode de pollution grave que les plus riches.

Pour les auteur·e·s du rapport, « l’impact global de la qualité de l’air sur la santé de l’enfant est socialement différencié ». Ainsi, un enfant né aujourd’hui dans un quartier de Marseille à proximité d’un axe routier majeur « est victime d’une inégalité environnementale en raison de facteurs particuliers pouvant affecter sa santé, son développement biologique et son statut social ». À Paris, même si les quartiers riches et pauvres sont exposés à la pollution atmosphérique, les habitant·e·s les plus pauvres risquent trois plus de mourir d’un épisode de pollution grave que les plus riches.

Autre apport de ce document : de premiers éléments d’appréciation sur les conséquences des zones à faible émission (ZFE), qui interdisent l’accès de certains quartiers urbains aux véhicules les plus anciens – et donc les plus polluants. Selon une étude de l’Atelier parisien d’urbanisme (Apur), une association d’expertise et de prospective sur le Grand Paris, le renforcement des ZFE sur le territoire de la métropole permettrait de réduire de 50 000 le nombre de personnes exposées à des niveaux de dioxyde d’azote supérieurs à la réglementation. Et aussi d’éviter cinquante décès par an, 520 nouveaux cas d’asthme, ainsi qu’une dizaine de naissances de faible poids.

Et en termes d’inégalités sociales ? Les premiers éléments disponibles produisent un bilan mitigé. À Rome, la ZFE semble davantage bénéficier aux populations les plus favorisées – qui habitent dans les quartiers les plus pollués. En revanche sur le Grand Paris, les gains seraient plus importants pour les ménages les plus pauvres – comme à Londres. Pourquoi ? Le choix d’un large périmètre, à l’intérieur de l’anneau de l’A86, réunissant 79 communes, permet un gain sanitaire plus équitable socialement. Les bénéfices relatifs au nombre de décès évités seraient supérieurs à 15 % pour les groupes les plus défavorisés, et même de 30 % en termes d’espérance de vie.

Le rapport « De l’injustice sociale dans l’air » conclut donc qu’« il apparaît primordial de s’interroger sur l’évaluation et la prise en compte des conséquences involontaires », notamment en termes d’inégalités sociales de santé, que peuvent avoir les politiques de lutte contre la pollution atmosphérique.