Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Médiapart - Protocole Covid en entreprise : un flou fondé sur un avis scientifique fantôme

Septembre 2020, par Info santé sécu social

2 SEPTEMBRE 2020 PAR MANUEL JARDINAUD

Les nouvelles règles applicables en entreprise pour faire face à l’épidémie de Covid-19 sont issues d’un avis du Haut Conseil de la santé publique que les partenaires sociaux n’ont pas lu et qui reste, à ce jour, confidentiel.

« Protocole national pour assurer la santé et la sécurité des salariés en entreprise face à l’épidémie de Covid-19 ». Pour une fois, le gouvernement n’a pas cherché d’acronyme pour nommer sa stratégie sanitaire qu’il continue de déployer cahin-caha au fur et à mesure de l’évolution de l’épidémie. Ce cadre « national » a finalement été diffusé le 31 août en début de soirée pour, au départ, une application le lendemain matin au sein de l’ensemble des entreprises françaises.

Compte tenu des délais, le ministère du travail a finalement concédé une semaine de « bienveillance », selon les mots d’Élisabeth Borne, afin de permettre à chaque employeur une mise en place plus sereine. De fait, les règles édictées à l’issue de plusieurs allers-retours, entre les 14 et 31 août, entre la Rue de Grenelle et les partenaires sociaux se révèlent complexes à comprendre et, donc, à instaurer.

Si les mesures majeures demeurent le port du masque en lieu clos ainsi que le respect des gestes barrières (distanciation, lavage des mains, désinfection et aération régulières des locaux), des exceptions ont été révélées. Ainsi, comme le résume un tableau au bas du document de 21 pages, des adaptations sont possibles en fonction du niveau de circulation du virus dans le territoire concerné et l’organisation des locaux.

Exemples : le port du masque n’est pas obligatoire dans une zone dite verte (très faible seuil épidémique, selon le ministère de la santé) et « l’existence d’une extraction d’air haute fonctionnelle et proportionnelle au volume et à la fréquentation de la pièce ». Dans les mêmes circonstances de circulation du virus, mais aussi si elle est modérée (orange), et avec un « nombre de personnes réduit permettant d’éviter une forte densité de personnes dans l’espace de travail (au moins 4 m2) », les salariés peuvent aussi ne plus se masquer.

En tout, neuf exceptions sont proposées par le ministère. Sur quelle base ? C’est là tout le mystère de ce protocole sur lequel ont dû plancher, le jour de sa publication, les organisations patronales et syndicales. « On nous a prévenus le vendredi soir pour une réunion en visioconférence le lundi matin. On nous transmet une version du protocole à midi afin que l’on rende nos ultimes remarques à 18 heures. Le tout basé sur un avis que l’on n’a pas lu », peste Angeline Barth, secrétaire confédérale à la CGT.

L’avis dont parle la syndicaliste est celui sollicité par le ministère du travail auprès du Haut Conseil de la santé publique (HCSP) le 14 août, suite à une première réunion avec les partenaires sociaux. « Que l’avis ne soit pas public n’est pas un sujet important », explique-t-on au ministère, puisque « le protocole du 31 août reprend exactement l’avis du Conseil ».

Impossible de vérifier, puisque ce document demeure, à ce stade, confidentiel, tout comme celui concernant le retour au travail de certaines personnes dites vulnérables. « Le tableau des critères à respecter est exactement celui transmis par le HCSP », affirme-t-on rue de Grenelle, même si cela n’est pas du tout explicité dans le protocole, où aucune source précise n’est mentionnée.

« Nous aurions aimé avoir les attendus sanitaires du Haut Conseil », revendique Gérard Mardiné, secrétaire général de la CFE-CGC. « Je comprends très bien qu’un tel avis soit rédigé en langage scientifique et qu’on puisse avoir du mal à le décoder. Mais nous, nous connaissons l’entreprise et pouvons y apporter notre expertise. »

Sur les adaptations proposées dans le brouillard par le HCSP, « il reste des trous dans la raquette », regrette ainsi Catherine Pinchaut, secrétaire nationale de la CFDT chargée des questions de travail. Elle cite, comme ses homologues, la définition d’un « grand volume » qui n’a rien de scientifique.

La question de la pause déjeuner dans un open space n’est pas non plus abordée lorsque les salariés ne bénéficient pas de restaurants d’entreprise qui, eux, sont pris en compte dans le protocole. Un casse-tête dont va devoir se dépêtrer chaque organisation.

« Nous ne voulions pas ajouter un cadre encore plus strict », se défend le ministère pour justifier certaines expressions jugées floues. « C’est un protocole, c’est du droit un peu soft, donc cela permet de laisser des marges. »

Les organisations syndicales (les représentants des entreprises n’ont pas répondu aux sollicitations de Mediapart) reconnaissent que le dialogue existe avec le cabinet de la ministre et c’est même amélioré depuis les premières discussions durant le confinement, alors que Muriel Pénicaud était toujours en fonction.

Elles regrettent pourtant que le champ du dialogue ne soit pas élargi à la question de l’organisation et des conditions de travail, alors que l’épidémie bouscule l’activité des salariés bien au-delà du respect des gestes barrières et du nouveau protocole.

Signe que la politique gouvernementale reste aux mains des scientifiques, le Conseil d’orientation des conditions de travail (COCT), dont l’une des missions est de « participer à l’élaboration des orientations stratégiques nationales et internationales relatives à la santé et à la sécurité au travail », n’a pas été saisi par sa tutelle.

Réunissant les organisations syndicales et patronales, « ce pourrait au moins être le lieu pour faire un point d’avancement », réclame Gérard Mardiné (CFE-CGC), quand Angeline Barth (CGT) y voit une institution à mettre « au centre des discussions ».

Autre revendication des représentants des salariés : que le gouvernement prenne des dispositions pour impliquer davantage l’inspection et la médecine du travail, étonnamment absentes de la doctrine de lutte contre le virus. Ainsi, dans le protocole tel que publié, la première n’est jamais citée comme un interlocuteur des travailleurs, la seconde est juste mentionnée pour « son rôle de conseil et d’accompagnement ».

« Sur la santé au travail, et en particulier dans cette séquence du Covid, on se perd dans les interlocuteurs qui ne proposent pas de réponse adéquate », s’inquiète Catherine Pinchaut. « Certains services de santé au travail sont encore aux abonnés absents », affirme-t-elle, laissant salariés et employeurs bien seuls pour adapter leur pratique.

Gérard Lucas, président du Conseil national professionnel de médecine du travail, reconnaît une forme de mise à l’écart des services : « Nous représentons l’ensemble des sociétés savantes et des syndicats de la médecine du travail. Nous sommes l’interlocuteur du ministère, théoriquement. Car nous n’avons pas été consultés par le Haut Conseil de santé publique », explique-t-il à Mediapart.

Il ajoute : « Notre mission aujourd’hui est de nous assurer que la distance physique est assurée et que les locaux sont bien aérés. Nous sommes particulièrement vigilants dans les espaces de travail partagés où les circuits de renouvellement de l’air sont fermés. Dans l’industrie, on est confronté à des situations compliquées, dans les ateliers, ou les abattoirs, où les distances sont difficiles à respecter. Si on leur fait confiance, les ouvriers parviennent parfois à trouver des solutions. Mais l’esprit d’initiative n’est pas toujours là. » D’où ce besoin d’accompagnement.

Ce protocole national n’a pas de valeur normative. Aussi la ministre du travail veut donc laisser la place au dialogue social au sein de l’entreprise pour adapter le plus finement possible les nouvelles règles d’organisation. Une incitation qui sied globalement à ses interlocuteurs syndicaux. Même si, remarque Catherine Pinchaut, « dans certaines entreprises, cela risque de se révéler difficile, il peut y avoir de fortes crispations ».

Le lieu de ce dialogue est le comité social et économique (CSE), né des ordonnances réformant le Code du travail à l’été 2017, dites ordonnances Pénicaud. Or la création de cette instance a sonné le glas des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), dont le rôle précisément était de discuter de la question souvent technique de la santé des salariés avec des représentants formés et informés. Se rabattre aujourd’hui sur les CSE, malgré la vertu du dialogue de terrain qu’ouvre une telle proposition, porte en elle-même l’incohérence politique du pouvoir actuel.