Psychiatrie, psychanalyse, santé mentale

Mediapart : Psychiatrie : Adeline Hazan étrille le centre hospitalier du Rouvray

Novembre 2019, par infosecusanté

Mediapart : Psychiatrie : Adeline Hazan étrille le centre hospitalier du Rouvray

25 novembre 2019 Par Theo Englebert Et Manuel Sanson (Le Poulpe.info)

La contrôleuse générale des lieux de privation de liberté a visité le centre hospitalier du Rouvray entre le 7 et le 18 octobre dernier. Notre partenaire du Poulpe s’est procuré le compte-rendu d’une réunion avec les cadres hospitaliers, les représentants du personnel et des patients, où sont dénoncées des atteintes à la dignité et aux droits fondamentaux des patients.

L’hôpital du Rouvray, spécialisé dans la prise en charge des personnes en souffrance psychique, n’est pas sorti de la crise. Après la médiatique grève de la faim menée à l’été 2018, après une rentrée 2019 sous haute tension sociale, c’est Adeline Hazan, contrôleuse générale des lieux de privation de liberté (CGLPL), qui remet une pièce dans la machine.

La situation chaotique au Rouvray a récemment conduit la CGLPL à se rendre sur place en compagnie de onze contrôleurs. Le 18 octobre 2019, au terme de sa visite de l’établissement, Adeline Hazan a tenu une réunion avec les chefs de pôle, chefs de service, cadres supérieurs de santé, représentants du personnel et des usagers de l’hôpital. Nos partenaires du Poulpe se sont procuré le compte-rendu de cette rencontre, établi par l’hôpital et validé par la CGLPL.

Selon ce document, le centre hospitalier du Rouvray ne possède pas « de projet d’établissement ni de projets collectifs pour donner du sens aux équipes ». « Cela engendre une dépendance des patients vis-à-vis du personnel, vis-à-vis des pratiques, ce qui entraîne une inégalité de traitement ainsi qu’une inégalité d’accès aux soins », est-il encore écrit. « Des dysfonctionnements importants ont été constatés, impactant fortement la dignité et les droits fondamentaux des patients », attaque en outre la CGLPL.

« Les conditions de vie des patients sont très disparates, certaines installations sont indignes », peut-on lire en tête d’une longue liste d’observations mentionnées dans le compte-rendu. Les chambres manquent de mobilier et sont encombrées par des lits d’urgence. Elles ne sont pas toutes équipées de sanitaires. Certains patients ne disposent que d’un seau pour se soulager. En revanche, toutes les portes comportent un « fenestron » qui prive les personnes d’intimité.

La CGLPL observe que de nombreux patients s’ennuient et n’ont pas l’opportunité de participer à des activités. Beaucoup d’unités ne disposeraient d’ailleurs même pas de salle d’activités. Les soignants seraient reclus dans leurs bureaux et peu accessibles pour les patients. Le contrôleur souligne aussi le manque de dialogue entre médecins et soignants.

Pour la CGLPL, les patients sont insuffisamment informés de leurs droits et maintenus dans l’ignorance quant au fonctionnement de l’établissement. La contrôleuse entreprend d’exposer la principale conséquence de cette méconnaissance du règlement. « La liberté d’aller et venir est très limitée et disparate, au profit du sécuritaire », affirme le document. De nombreux patients en soin libre sont ainsi privés de déplacement et leurs sorties dans les jardins sont limitées.

Le tournant sécuritaire de l’établissement se traduit par des pratiques particulièrement intrusives, comme l’expérimentation de la vidéosurveillance dans les chambres d’isolement. Un dispositif qui, lorsqu’il ne concerne pas des détenus particulièrement dangereux, viole la Convention européenne des droits de l’homme. La CGLPL considère cette expérience comme étant inacceptable. En isolement, la surveillance physique des patients est intermittente et le suivi médical insuffisant. Les chambres d’isolement, dépourvues de sanitaires, ne disposent pas non plus de bouton d’appel. Certains patients sont contraints de rester nus pour éviter les tentatives de suicide.

La CGLPL pointe aussi la gravité de l’hospitalisation des mineurs de plus de 16 ans en service adultes, malgré la prise en charge de qualité par l’unité mobile pour adolescents hospitalisés. L’isolement des mineurs doit être exceptionnel, ce qui n’est pas le cas, rapportent également les contrôleurs. Des prises de position qui viennent en écho à la récente enquête du Poulpe sur la prise en charge de patients mineurs dans des services adultes, avec pour conséquence, notamment, la survenue d’agressions sexuelles et de viols.

Au Rouvray, le nombre de personnes hospitalisées sans leur consentement ne cesse d’augmenter. Il est passé de 24 % des patients en 2016 à plus de 42 % aujourd’hui. Un certain flou entoure les raisons de ces procédures. La CGLPL observe que de nombreux patients en soins libres passent ensuite dans cette catégorie. « L’agitation du patient, son refus des soins ou la nécessité de le mettre en isolement » suffisent parfois à motiver sa privation de liberté.

Concernant la pratique de l’isolement, la contrôleuse déplore encore une fois le « trop grand souci de la sécurité au détriment du droit à la dignité des patients ». Mais Adeline Hazan dénonce aussi la méconnaissance et le non-respect de la législation par le personnel. La CGLPL observe ainsi que les patients sont placés à l’isolement pour des motifs illégaux, parfois simplement pour les punir. Les détenus d’une unité en particulier sont placés en isolement d’office de manière parfaitement illégale.
Plus globalement, le centre hospitalier du Rouvray est décrit dans le document comme « une juxtaposition d’unités sans projet médical d’établissement, sans politique d’ensemble ni coordination susceptible de donner du sens aux équipes ». Ces critiques sont en grande partie partagées par le personnel, qui manifestait le 15 octobre dernier pour réclamer du personnel et des moyens supplémentaires afin d’assurer correctement ses missions, dans le respect des malades (lire le reportage de Mediapart). Dans les heures qui viennent, la CGLPL devrait rendre un rapport provisoire appelant une réponse des ministères de la justice et de la santé. Face à une telle situation, la loi autorise également la contrôleuse à publier au Journal officiel des recommandations en urgence.

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