Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Médiapart - Reconfinement : l’horizon s’obscurcit encore pour les chômeurs

Mars 2021, par Info santé sécu social

23 MARS 2021 PAR CÉCILE HAUTEFEUILLE

Droits au chômage non prolongés entre deux confinements, primes données d’une main, puis réclamées de l’autre, contrôles de la recherche d’emploi quand il se fait rare... Mediapart a recueilli les témoignages de chômeurs sous pression et inquiets à l’heure où la France se reconfine partiellement.

Quatre mois trop tard. Un mois trop tôt. Nicolas, 43 ans, est arrivé en fin de droit au plus mauvais moment. À quelques semaines près, ses allocations-chômage auraient été maintenues. Dessinateur en bâtiment, le quadragénaire a épuisé ses droits en septembre. Et n’a pas pu bénéficier des mesures d’urgence, prises par le gouvernement au premier puis au second confinement.

Aujourd’hui, il n’a aucune ressource. Il ne peut prétendre ni à l’allocation de solidarité spécifique (ASS) ni au RSA parce que sa compagne gagne 1 800 euros par mois. « Nous avons deux enfants. Un seul salaire. Depuis que je n’ai plus de droit, on a réduit la voilure qui n’était déjà pas très haute », murmure Nicolas.

Depuis le 31 octobre 2020, les allocations des chômeurs en fin de droit sont automatiquement prolongées. La mesure pourrait durer jusqu’à fin juin, selon une ordonnance du 10 février 2021. Le gouvernement se réserve toutefois la possibilité d’interrompre, par arrêté, cette aide exceptionnelle, si la situation sanitaire est jugée plus favorable. À l’inverse, elle pourra être prolongée au-delà du 30 juin.

Au début de la pandémie, en mars 2020, l’exécutif avait déjà appliqué cette mesure. Et s’était empressé d’y mettre un terme dès le déconfinement. Les droits avaient été prolongés jusqu’au 31 mai seulement. Près de 400 000 demandeurs d’emploi en avaient bénéficié, pour un coût d’environ 800 millions d’euros, selon le ministère du travail. Depuis fin octobre, 530 000 demandeurs d’emploi sont concernés par le nouveau maintien des droits. Coût estimé jusqu’à fin mars : 1,5 milliard d’euros.

Nicolas, lui, s’est retrouvé coincé entre ces deux périodes. Son compteur de droits s’est épuisé au moment où plus aucune aide n’était accordée. « Je ne comprends pas la logique. Quelle est la différence ?, s’interroge le quadragénaire. Je n’ai pas plus de chances de trouver un travail en ayant perdu mes droits en septembre ! »

Habitué aux missions d’intérim, Nicolas, qui vit en Haute-Garonne, a le sentiment d’accumuler les déconvenues. La malchance. Le mauvais timing. « J’avais trouvé un contrat d’intérim en février 2020, juste avant la crise. Il aurait pu aboutir à un CDI. Le 17 mars, tout était fini. »

Depuis, il n’a pas du tout travaillé. « Il n’y a pas eu de reprise dans le secteur du bâtiment durant l’été. Surtout ici, où l’on souffre d’une concurrence espagnole terrible. Et puis, l’automne et le reconfinement sont vite arrivés. Je n’avais jamais connu de période de chômage aussi longue. »

Pour ne rien arranger, Nicolas a subi un contrôle de Pôle emploi « particulièrement humiliant » en fin d’année 2020. « J’ai fourni toutes les preuves de ma recherche d’emploi. Mais le contrôleur a mis en doute la véracité de mes candidatures. Il réclamait des captures d’écran de mes échanges avec les employeurs. Il a menacé de me radier, alors que Pôle emploi ne me versait plus un centime ! C’était violent. Heureusement, ma conseillère est intervenue. Elle me connaît bien, elle sait que je cherchais du boulot. »

Mais du boulot, y en a-t-il ? Nicolas, qui scrute régulièrement les offres d’emploi, constate un assèchement très net du marché. « Je dirais qu’il y a deux fois moins d’offres qu’en 2019. » Un sentiment confirmé par les chiffres de la Dares, l’institut statistique du ministère du travail. Le volume d’offres collectées par Pôle emploi s’est effondré en Haute-Garonne. Une baisse de 43 % en janvier 2021 par rapport à l’année précédente. Elle est deux fois plus forte que la moyenne nationale (–20 %).

Le secteur de l’intérim est également en souffrance en Occitanie, région où réside Nicolas. Selon un tableau de bord de Prism’emploi (organisation professionnelle qui représente la profession) que Mediapart a pu consulter, la région enregistre la plus forte baisse du nombre d’intérimaires en activité, en février 2021. –21,5 % par rapport à l’année précédente.

Petite lueur d’espoir pour Nicolas. Il pourrait signer un CDD le mois prochain. « En théorie », ajoute-t-il avec prudence, son département n’étant « pour le moment » pas soumis à de nouvelles restrictions.

Ce n’est pas le cas de Nathalie, 55 ans, habitante des Alpes-Maritimes. Son département vit, depuis le 20 mars, un troisième confinement. De quoi obscurcir, encore un peu plus, l’horizon de la quinquagénaire.

Maître d’hôtel « en extra » depuis plus de vingt ans, elle n’a jamais connu l’inactivité. Palaces, grands hôtels, traiteurs, congrès, mariages… Nathalie enchaînait sans difficulté les contrats dans la restauration et l’évènementiel. Jusqu’en février 2020. Quand tout s’est figé, brutalement. « On ne risque pas de reprendre de sitôt, pressent Nathalie. Quand le secteur hôtellerie-restauration va rouvrir, les extras ne seront certainement pas prioritaires pour travailler. »

Dans quelques semaines, Nathalie aura consommé tous ses droits au chômage. L’été dernier, elle a travaillé dans un bar-tabac de l’arrière-pays, mais pas suffisamment pour recharger des droits. Car si le ministère du travail jure, la main sur le cœur, être « attentif au sort des plus vulnérables », il a laissé volontairement quelques « trous dans la raquette ».

En effet, le premier volet de la réforme d’assurance-chômage n’a été suspendu que partiellement en juillet 2020. Les conditions pour ouvrir des droits ont été assouplies mais pas celles pour recharger ! Il faut toujours quatre mois, au lieu d’un seul, pour réapprovisionner des allocations-chômage.

Une injustice dénoncée par Nathalie qui plaide également pour la suppression pure et simple de la réforme ainsi qu’une « année blanche » pour tous les chômeurs, à l’image de ce qu’ont obtenu les intermittents du spectacle. « Pourquoi le compteur des droits continue-t-il de tourner alors qu’il n’y a plus de travail ? »

C’est d’ailleurs l’une des revendications portées par les occupants des lieux culturels, partout en France. Nathalie participe régulièrement à l’action, depuis le théâtre national de Nice. Elle veut faire entendre la voix des intermittents de l’emploi « invisibles », oubliés des mesures d’urgence. Et s’active au sein du collectif CPHRE (Collectif des précaires de l’hôtellerie – Restauration et événementiel) dont elle est membre fondatrice.

Comme bon nombre de ses collègues, Nathalie déplore ne pas avoir perçu l’aide d’urgence pouvant aller jusqu’à 900 euros par mois et destinée aux travailleurs précaires, dont Mediapart a déjà documenté ici la grande désillusion.

L’aide est versée sous des conditions très précises. Parmi elles : être inscrit à Pôle emploi et ne pas percevoir plus de 33 euros brut par jour d’allocation-chômage. Il faut aussi justifier d’une durée d’activité salariée d’au moins 138 jours travaillés en 2019. Au minimum, « 70 % de cette durée d’activité totale doit avoir été effectuée en contrat à durée déterminée ou contrat de mission d’intérim », précise Pôle emploi sur sa page de questions-réponses.

Les premiers versements de la prime ont été effectués mi-février. Selon Pôle emploi, 682 000 aides ont été versées à 408 000 demandeurs d’emploi, pour un montant moyen de 380 euros par mois concerné.

Problème : une partie des bénéficiaires n’y avait en réalité pas droit ! Pôle emploi réclame désormais le remboursement de la prime à des chômeurs qui n’avaient rien demandé à personne. Et qui ont parfois déjà dépensé tout ou partie de la somme.

« La rage ne me quitte pas », fulmine Valérie. Son fils de 19 ans est sommé de rembourser les 1 800 euros perçus. La prime, accompagnée d’un courrier signé par la ministre Élisabeth Borne, était pour lui une bonne surprise. « De quoi mettre du beurre dans les épinards pour un jeune homme qui n’a pas d’allocations-chômage et ne roule pas sur l’or, commente sa mère. Il a trouvé très peu de travail en 2020, il a dû revenir, un temps, vivre chez nous. En ce moment, il ne trouve rien non plus. »

Outre la colère de devoir rembourser, la méthode fait hurler Valérie. Pôle emploi s’est contenté de laisser un message vocal à son fils, pour lui annoncer la mauvaise nouvelle. Sur le répondeur, que nous avons pu écouter, une conseillère de Pôle emploi déroule froidement, pendant une minute, ses éléments de langage et annonce un versement « à tort » de la prime.

« Quelques jours plus tard, un courrier de six pages, très violent, nous est parvenu. Il n’y a ni excuse ni explication. Ils commettent une erreur monumentale et vous envoient un courrier agressif pour vous presser de rendre l’argent. C’est insupportable ! »

Selon Pôle emploi « une part infime » des bénéficiaires va devoir rembourser ces sommes trop perçues. Fin février, la CDFT avançait le chiffre de 40 000 versements par erreur.

Les courriers notifiant les trop-perçus sont en train d’arriver. Le moins que l’on puisse dire, c’est que ça n’est vraiment pas le moment.