Les retraites

Médiapart - Réforme des retraites : les questions qui fâchent

Juillet 2019, par Info santé sécu social

19 JUILLET 2019 PAR DAN ISRAEL

Niveau des pensions, âge de départ, inégalités… Les « préconisations » présentées jeudi 18 juillet par Jean-Paul Delevoye permettent de voir plus clair dans le projet de refonte totale du système français de retraites. Les inquiétudes sont nombreuses face à ce qui pourrait être une secousse violente.

Après plus de dix-huit mois de discussions et – surtout – d’attente, il est enfin temps de parler concrètement de la réforme des retraites qui devrait secouer le pays à partir de 2025, et qui touchera tous les Français nés à partir de 1963.

Jeudi 18 juillet, le haut-commissaire à la réforme des retraites, Jean-Paul Delevoye, a présenté ses « préconisations » sur le futur « système universel » remplaçant les quarante-deux régimes existants, promis par Emmanuel Macron depuis sa campagne à l’élection présidentielle.

Aux syndicats et aux représentants du patronat d’abord, puis face au premier ministre et devant les journalistes, l’ancien ministre de Jacques Chirac a détaillé et expliqué les options qu’il recommande au gouvernement de choisir pour ce projet crucial, et hautement inflammable.

Jean-Paul Delevoye a dévoilé quelques passages obligés, mais aussi un certain de nombre de surprises, qui seront autant de bombes dans le débat public ces prochains mois, notamment sur l’instauration d’un « âge d’équilibre » sous lequel les pensions de retraite subiront une décote. Fixé à 64 ans pour 2025, cet âge reculera avec les générations qui passent.

Ces premières annonces auront été bien longues à venir. Dans un premier temps, il avait été annoncé que la concertation s’arrêterait en décembre 2018, pour un projet de loi discuté au Parlement avant cet été. Finalement, le projet de loi ne sera pas présenté en conseil des ministres avant novembre prochain, et il ne devrait être discuté à l’Assemblée nationale qu’après les élections municipales de mars 2020.

Rien n’est donc encore fixé, et la mise en scène de la réforme est loin de son épilogue. Selon la méthode chère à l’exécutif, le haut-commissaire reverra les partenaires sociaux à partir de la semaine prochaine, pour fixer un nouveau calendrier de « concertations » pour le mois de septembre.

Il s’agira, a précisé le premier ministre dans un communiqué d’« une première phase d’écoute des réactions des organisations syndicales et patronales sur les préconisations ». Après quoi Édouard Philippe « tirera les enseignements de cette première série de réunions bilatérales » et « précisera le calendrier et la méthode de concertation et de préparation du projet de loi ».

En vérité, le contenu du rapport a déjà été largement négocié entre Jean-Paul Delevoye et Édouard Philippe, qui se sont vus plusieurs week-ends ces dernières semaines pour évoquer ensemble les mesures qui seront « préconisées »… Mais si le gouvernement déploie ce luxe de précautions, c’est parce qu’il sait bien qu’il a de la dynamite entre les mains.

Quels que soient ses choix, il y aura des gagnants et des perdants, et ces derniers pourraient décider de se faire entendre : la dernière plus grosse manifestation sociale en date a eu lieu le 7 septembre 2010, où plus d’un million de personnes ont défilé à Paris contre l’allongement de l’âge de départ à la retraite de 60 à 62 ans.

« Ils pensent que cette réforme systémique aura un coût politique énorme et fera beaucoup de mécontents, analyse un intime du dossier. Du coup, ils hésitent à la lancer franchement, et en même temps se disent que quitte à vivre un moment conflictuel, autant faire passer des mesures impopulaires, d’économies principalement. » D’où le nombre important de questions restant aujourd’hui en suspens. En voici les principales.

Une réforme systémique, mais des économies quand même ?
Fini les annuités et les trimestres cotisés, le futur système fonctionnera par points, accumulés chaque année par les Français qui travaillent, et convertis au moment de leur retraite en pension versée chaque mois. Le calcul du montant des pensions ne sera plus effectué à partir de 25 meilleures années dans le privé, et des 6 derniers mois pour les agents publics. Le système des points implique que chaque journée travaillée, même à un tout petit salaire, comptera.

Contrairement aux réformes de 1993, 2003, 2010 et 2014, qui ont toutes fait baisser le niveau des pensions, il ne s’agit officiellement pas, cette fois, de faire des économies, mais de procéder à une refonte systémique. Pendant la campagne présidentielle, le candidat Emmanuel Macron avait fait de la réforme un de ses thèmes phares.

Sur le papier, l’idée est limpide : créer « un système universel des retraites où un euro cotisé donne les mêmes droits, quel que soit le moment où il a été versé, quel que soit le statut de celui qui a cotisé ».

Jean-Paul Delevoye n’a pas dit autre chose lors de sa présentation à la presse mercredi : « Chaque jour travaillé permettra d’acquérir des points », a dit le haut-commissaire, qualifiant ce nouveau système de « plus juste » et précisant que « les salariés du privé, des régimes spéciaux et les fonctionnaires auront des cotisations identiques ».

Jean-Paul Delevoye a pu tenir une autre promesse, mais il s’en est fallu de très peu : celle de ne pas faire d’économies, au moins dans l’immédiat, sur le dos des retraités, actuels ou futurs. Comme Emmanuel Macron, il s’y était engagé lorsqu’il avait exposé les grands principes de son projet en octobre.

Rogner sur les pensions des 16 millions de retraités est pourtant extrêmement efficace en termes budgétaires, et le gouvernement d’Édouard Philippe ne s’est pas privé, en décidant de ne revaloriser les pensions que de 0,3 % en 2019 et 2020, alors que l’inflation pourrait s’établir entre 1 et 2 %. En réponse au mouvement des « gilets jaunes », Emmanuel Macron a finalement décidé de revenir sur une partie de ces économies.

En coulisses, les tensions sur l’aspect financier de la réforme n’ont pas cessé ces derniers mois. D’abord en mars, où la question du report de l’âge légal du départ à la retraite est réapparue brutalement dans le débat, avant qu’Emmanuel Macron siffle la fin de la récréation, ne souhaitant pas fragiliser les artisans d’une réforme qui lui tient à cœur.

Le débat a repris de plus belle à partir de la fin juin, quand Les Échos ont annoncé que la réforme serait retardée, pour mieux permettre au gouvernement de faire d’abord des mesures d’économie drastiques, via le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) qui sera discuté dès l’automne à l’Assemblée.

Le premier ministre et le ministre du budget Gérald Darmanin souhaitaient à tout prix faire passer une mesure dite « paramétrique », pour équilibrer immédiatement le régime, légèrement en déficit. Dans les médias, l’accélération de la réforme Touraine (le passage à 43 années de cotisations pour bénéficier du taux plein) a été largement présentée comme actée.

Ce qui a déclenché une levée de boucliers, notamment de la CFDT (voir l’entretien vidéo où son leader Laurent Berger nous annonçait qu’il pourrait appeler à manifester si cette mesure était prise), mais aussi des hauts fonctionnaires chargés de la réforme.

Finalement, une semaine à peine avant les annonces, le gouvernement a laissé fuiter son nouveau changement de stratégie : pas d’économies immédiates, mais un équilibre financier à trouver pour le système avant que la réforme ne démarre concrètement en 2025. « Le projet devra être enrichi pour proposer les modalités de convergence vers l’équilibre financier en 2025 », indique aujourd’hui le rapport.

Jean-Paul Delevoye n’a d’ailleurs jamais fait mystère des intentions du gouvernement, qui souhaite établir une « règle d’or » budgétaire. Pour lui, pas question que les dépenses de retraite dépassent les 14 % du produit intérieur brut (PIB), leur niveau de 2016. Et ce point est loin d’être un détail : si la part des retraites dans le PIB n’augmente pas, cela signifiera presque immanquablement que chaque retraité verra le niveau de sa pension baisser, puisqu’ils seront de plus en plus nombreux : 35 % en plus d’ici 2050, selon les prévisions !

L’âge de départ à la retraite va-t-il reculer ?
L’annonce faite ce jeudi est le fruit d’un compromis. En échange de l’abandon des mesures d’économie immédiates, l’aile droite du gouvernement, Bercy et Matignon en premier lieu, a obtenu le retour dans le débat de « l’âge pivot ».

À partir de 2025, pour 100 euros cotisés durant ses années de salariat, un retraité percevra en effet 5,5 euros par an pendant toute sa retraite… mais seulement s’il a travaillé jusqu’à 64 ans. S’il part à 63 ans, ce rendement ne sera plus de 5,5 %, mais de 5,225 %. Et s’il part à 62 ans, ce sera 4,95 %. En revanche, s’il part à la retraite à 65 ou 66 ans, le rendement attendu pour ses points augmentera, passant de 5,5 % à 5,775 % ou 6,05 %.

L’âge légal de départ reste fixé à 62 ans, mais devient en fait un âge minimal de départ. L’âge d’équilibre, ou âge pivot, ainsi que la décote qui y est associée, est pensé pour inciter les Français à prendre leur retraite plus tard. C’est le système d’ores et déjà choisi pour le régime complémentaire, l’Agirc-Arrco.

C’est le président de la République qui a parlé le premier de décote en avril, avant que le premier ministre ne l’évoque le 12 juin dans son discours de politique générale. Le principe reste explosif politiquement. Annoncer ce qui ressemble fort à un recul de l’âge de départ à la retraite peut permettre à tous les opposants de la réforme de s’unir autour d’un symbole cristallisant tous les mécontentements.

« Pour certains, si une réforme des retraites ce n’est pas du sang et des larmes, ça ne va pas », glisse un syndicaliste, très agacé par l’apparition de cette mesure dans les préconisations du haut-commissaire. Ce dernier, s’il a toujours dit que la réforme était aussi faite pour que les Français travaillent plus longtemps, n’a cependant jamais été favorable à la décote.

Pour la CFDT, Laurent Berger, a, lui, publiquement rappelé en sortant de la présentation de la réforme qu’il ne voulait pas de la décote. Et pour cause : il est absurde d’imposer à un ouvrier qui a commencé sa carrière à 19 ans de partir au même âge, en ayant cotisé plus longtemps, qu’un cadre qui a démarré à 28 ans et qui vivra plus longtemps et en meilleure santé…

L’économiste Antoine Bozio, qui a très largement inspiré le principe du système à points, est lui aussi opposé à l’âge d’équilibre. Dans Les Échos, il soulignait par exemple que « le taux de remplacement ne sera pas le même pour tous à cet âge-là », puisque ce taux dépendra du nombre de points accumulés.

Jean-Paul Delevoye explique néanmoins que l’introduction de l’âge d’équilibre est une bonne chose car il permettra que l’âge de départ soit « le même pour tous, contrairement à aujourd’hui où il est compris entre 62 et 67 ans en fonction de la durée travaillée » : dans le système actuel, s’il est possible de partir à 62 ans, il faut attendre 67 ans pour ne pas se voir appliquer de décote si on n’a pas validé tous les trimestres requis.

L’âge de 64 ans a été choisi parce qu’il est proche de l’âge moyen auquel la génération de 1963 partira à la retraite, d’après les projections du Conseil d’orientation des retraites (COR). Mais cet âge pivot « évoluera en fonction de l’espérance de vie », a précisé le haut-commissaire. Plus les générations vivront longtemps en moyenne, plus l’âge où elles pourront partir sans décote reculera…

« N’oubliez pas que l’espérance de vie en bonne santé, c’est 63 ans », a protesté Yves Veyrier, le secrétaire général de FO. Sans compter les inégalités sociales très fortes face à la mortalité. L’économiste Michaël Zemmour insiste pour sa part sur le fait qu’en 2017, deux ans avant d’avoir atteint l’âge officiel de la retraite, plus de la moitié des Français n’était déjà plus en emploi.

L’apparition de cette notion d’âge pivot est d’autant plus absurde qu’avec un système à points, il est parfaitement inutile. Une fois le système transformé, les Français accumuleront des points de retraite pendant toute leur carrière. Ce capital engrangé sera ensuite transformé en pension de retraite grâce à un coefficient de conversion. Coefficient que l’exécutif a de toute façon prévu de faire varier pour chaque Français, en fonction de son âge de départ à la retraite, mais aussi de l’espérance de vie de sa génération.

Ce système permet en lui-même de maîtriser le montant des retraites versées, génération après génération, et de pousser les Français à retarder l’âge auquel ils commenceront à toucher leur pension.

Pourquoi les syndicats ne sont-ils pas unis face à la réforme ?

Conformes aux positions qu’ils avaient déjà annoncées, la CGT et Force ouvrière critiquent frontalement la réforme. Les deux syndicats ont d’ores et déjà appelé à manifester à la rentrée, mais pas le même jour (le 21 septembre pour FO, le 24 pour la CGT).

FO rejette « une réforme paramétrique permanente ». La CGT, elle, a estimé par la voix de son secrétaire général Philippe Martinez que le gouvernement « prend les gens pour des imbéciles » avec l’introduction de l’âge pivot. « Petits boulots = petits salaires = petites retraites ! » martèle la centrale.

L’Ugict, sa branche dédiée aux ingénieurs et aux cadres, a mis en ligne un argumentaire efficace pour démonter la présentation rassurante du gouvernement. « Emmanuel Macron a annoncé qu’un euro cotisé ouvrirait à chaque salarié les mêmes droits. Derrière cette apparente équité se cache un problème central : le contenu de nos droits n’est absolument pas défini », alerte-t-elle, reprenant de nombreux arguments détaillés ici par Mediapart quant au bouleversement de philosophie qui accompagne le nouveau régime.

De son côté, la CFDT soutient très largement la réforme, au moins dans sa conception générale. Début juillet, Laurent Berger avait vanté sur Mediapart « un système plus juste, plus lisible » et « un élément de progrès social, pour tous ceux qu’on n’entend pas suffisamment aujourd’hui, qui ont des basses pensions, des carrières difficiles, qui partent à la retraite en ayant une espérance de vie beaucoup plus faible que d’autres ».

La position du syndicat est peut-être exprimée le plus clairement par Véronique Descacq, qui fut sa numéro deux jusqu’en 2018, et travaille désormais sur le sujet des retraites à la Caisse des dépôts. Sur son blog, l’ex-syndicaliste saluait en mai l’occasion de « remettre les règles à plat, les rendre plus claires et plus justes », pour « redonner confiance aux futures générations ».

Sans surprise, la CFDT, même si elle est opposée à l’âge pivot et se dit « vigilante » sur la façon dont les préconisations de ce rapport seront traduites dans le projet de loi en fin d’année, s’est déclarée plutôt satisfaite de la présentation de Jean-Paul Delevoye.

Le nouveau système sera-t-il plus égalitaire ?
C’est la question qui déchire les spécialistes. Avec la fin de la règle des 25 meilleures années (salariés du privé) ou des 6 derniers mois (agents publics), l’intégralité de la carrière comptera pour accumuler des droits, des petits boulots étudiants jusqu’au dernier salaire, en incluant tous les revenus de remplacement (indemnités journalières maladie, maternité, chômage…) et les primes des fonctionnaires.

Voilà qui va « produire un peu de redistribution », comme le reconnaît pudiquement le gouvernement. Autrement dit, il y aura des gagnants et des perdants. Mais qui se rangera dans quelle catégorie ?

Du côté du haut-commissariat, on se démène depuis dix-huit mois pour contredire l’idée que le système à points risque de faire baisser le montant des retraites. On y rappelle ainsi que le système actuel fonctionne par trimestres cotisés, et que certaines cotisations versées, si elles ne le sont pas pour au moins 150 heures, ne sont pas prises en compte et sont donc dépensées en pure perte.

« Le système actuel pénalise les plus précaires, ceux qui ont des carrières courtes ou à trous », assure donc Jean-Luc Izard, le secrétaire général du haut-commissariat.

Lors d’une tournée dans plusieurs villes de France, les équipes autour de Jean-Paul Delevoye ont rodé leur présentation appuyant sur les complexités et les inégalités du système actuel. Par exemple, une infirmière travaillant en centre hospitalier, puis dans une clinique privée, avant de passer en activité libérale, cotise à cinq régimes différents. Et, comme pour la plupart des actifs, selon l’ordre dans lequel elle sera passée d’un régime à l’autre, elle aura une retraite plus ou moins élevée, pour un nombre identique d’années travaillées.

Dans le même ordre d’idées, une aide-soignante dans le public peut aujourd’hui partir à 57 ans, mais seulement à 62 ans si elle exerce dans le privé. Des différences existent aussi pour un conducteur de bus, s’il travaille à Lyon plutôt qu’à Paris. Avoir un enfant dans le privé donne droit à huit trimestres supplémentaires, mais seulement à deux dans le public. Il existe par ailleurs 13 formules différentes de pensions de réversion pour le conjoint survivant, selon les régimes…

« Le système universel améliorera fortement la retraite des 40 % d’assurés ayant les retraites les plus faibles. Les écarts entre les retraites seront ainsi réduits », assure le rapport dévoilé jeudi.

Simulations à l’appui, il explique par exemple qu’un salarié né en 1963 se verrait privé de 15 % de sa retraite s’il partait à la retraite à 62 ans plutôt qu’à 64 ans. Il perdrait en effet en raison de la décote qui existe déjà, mais aussi en raison de la proratisation, ce mécanisme méconnu qui réduit le montant de la pension si les 42 annuités nécessaires ne sont pas atteintes. Or, dans le nouveau système, ce salarié ne perdrait que 10 % de sa pension dans les mêmes conditions, car la proratisation sera supprimée.

Un point non négligeable : selon le dernier document de référence de la direction des statistiques du ministère de la santé, seuls 67 % environ des retraités de la génération 1950 ont eu une carrière complète au sens de la proratisation. Et ce sont les moins bien rémunérés qui ont aussi les carrières les moins complètes…

« Il ne sera plus nécessaire d’atteindre 67 ans, l’âge d’annulation de la décote en cas de carrière incomplète », souligne aussi le rapport présenté jeudi, qui précise que cette mesure bénéficiera notamment aux femmes : 19 % d’entre elles (contre 10 % des hommes) attendent aujourd’hui 67 ans pour partir à la retraite, du fait d’un travail à temps partiel ou d’une carrière courte.

Mais s’il y a des gagnants, c’est que les perdants seront aussi nombreux, puisque les dépenses globales du système ne changeront pas. Et on recrutera ces perdants plutôt parmi ceux qui touchent une pension supérieure à la moyenne (qui s’établit à 1 065 euros brut pour les femmes, et 1 739 euros pour les hommes).

Plus globalement, les syndicats hostiles à la réforme estiment que de très nombreux Français perdront avec le nouveau système : au lieu de compter les 25 meilleures années, il faudra prendre en compte 42 annuités, soit 25 années favorables… mais aussi 17 moins bonnes.

Une autre façon de formuler cette objection est de souligner que le système des 25 meilleures années protège des accidents de la vie. Mais le système actuel est aussi défavorable à ceux pour qui les meilleures années se situent en début de carrière : pour le calcul de la pension, les cotisations prises en compte sont revalorisées de l’inflation, année après année.

Or, depuis plusieurs dizaines d’années, l’inflation est plus faible que la hausse des salaires. Une « bonne » année d’il y a trente ans, même revalorisée en fonction de la hausse des prix sur la période, ne permettra donc pas d’atteindre le salaire touché lors d’une année faste plus récente, et le calcul de la pension s’en trouvera diminué.

Le niveau des pensions va-t-il baisser ?
C’est peut-être la question qui vient le plus immédiatement à l’esprit. Comme nous le détaillons ici, le régime de retraite va passer d’un système à « prestations définies », où l’on connaît le montant de sa pension de retraite par rapport à son dernier salaire (c’est le taux de remplacement), à un système à « contribution défini », où chaque année en plus passée au travail donnera un taux de remplacement plus élevé.

Pour autant, il est très probable que le nouveau système, avec son mode de calcul, aboutisse à des versements de pensions moins élevés, au moins au moment du passage à la retraite. Jean-Paul Delevoye et ses équipes comptaient donc proposer que ces pensions soient revalorisées chaque année en fonction de la hausse moyenne des salaires dans le pays, qui est traditionnellement plus élevée que l’inflation.

Cette solution aurait permis d’assurer une forte progression du niveau des pensions des retraités, et faire en sorte que leur niveau de vie (aujourd’hui très légèrement supérieur à celui de l’ensemble des actifs) ne décroche pas de celui des salariés. Cette option a toujours été privilégiée par les défenseurs du système par points, comme Antoine Bozio, qui tablait encore tout récemment sur le fait que « la nouvelle règle » permettrait aux pensions « de progresser à un rythme plus rapide » que l’inflation.

Mais dans sa présentation, le haut-commissaire a annoncé que, si la valeur du point engrangé année après année serait bien indexée sur les salaires, le niveau des pensions réellement versées aux retraités sera pour sa part réévalué seulement en fonction de l’inflation, comme c’est le cas aujourd’hui (sauf lorsque le gouvernement impose une désindexation).

Le risque est donc réel de voir les pensions servies baisser par rapport à leur niveau actuel, mais aussi stagner au fil du temps, entraînant une baisse du pouvoir d’achat des retraités. Pour contrer cette éventualité, plusieurs économistes marqués à gauche réclament l’augmentation régulière des cotisations retraites prélevées sur le salaire brut des Français, afin de mieux financer le système, et donc les pensions de retraite. Cette option a été explicitement écartée par le gouvernement.

Les règles seront-elles vraiment les mêmes pour tous ?
On l’a vu, le futur système est censé englober les 42 régimes existant aujourd’hui : base, complémentaire, fonctionnaires, privé, « régimes spéciaux ». Mais les futures règles communes vont poser problème dans plusieurs cas bien identifiés.

Pour les indépendants, d’abord. Aujourd’hui, ils cotisent en moyenne environ 15 % de leurs revenus nets pour avoir le droit à la retraite. C’est beaucoup moins que les salariés classiques, dont environ 28 % du salaire brut est consacré à la retraite (mais cette cotisation est partagée entre l’employeur et le salarié).

Pour ne pas se retrouver subitement étranglés par une hausse de cotisation, les indépendants devraient donc bénéficier d’un régime adapté : jusqu’à 40 000 euros de salaire, ils cotiseront à hauteur de 28 %, puis un peu moins de 13 % entre 40 000 et 120 000 euros. Ils devront tout de même cotiser plus qu’aujourd’hui, mais en contrepartie, ils « paieraient ainsi moins de CSG », souligne le rapport rendu jeudi. Pas sûr que cela suffise à avaler cette hausse de cotisations.

Autre cas limite, celui des fonctionnaires. Au lieu d’être calculé sur les six derniers mois de carrière, leur niveau de pension prendra en compte son intégralité. Difficile d’envisager que ce nouveau système ne les pénalisera pas, eux qui ne touchent pas une meilleure retraite que les salariés du privé, contrairement à de nombreuses idées reçues.

Pour compenser, Jean-Paul Delevoye a promis d’intégrer dans le calcul les primes qu’ils touchent durant leur carrière, et qui sont conséquentes : 22 % de leur rémunération en moyenne, et 30 % en pour les fonctionnaires de catégorie A (qui représentent plus d’un tiers des fonctionnaires). Pour les agents de l’encadrement supérieur, le taux monte même à 46 %.

Le changement serait de taille, puisqu’aujourd’hui, les primes ne sont prises en compte que pour une toute petite partie (le régime additionnel de la fonction publique). Mais cette solution débouche sur des problèmes d’équité. Le niveau des primes est en effet très variable selon les catégories d’agent : les enseignants n’en touchent quasiment pas.

La question des salariés les plus aisés n’est pas non plus complètement traitée. Le régime universel prélèvera en effet des cotisations créatrices de droits sur un revenu mensuel plafonné à près de 10 000 euros. Pour 300 000 à 350 000 Français gagnant plus, la perte de droit sera immédiate : aujourd’hui, ils cotisent jusqu’à 27 000 euros. Ils devraient donc automatiquement se tourner vers la retraite complémentaire par capitalisation.

Les mécanismes de redistributions seront-ils conservés ?
Les équipes de Jean-Paul Delevoye l’ont toujours affirmé, « le système des retraites est le reflet du monde du travail et de ses inégalités », et ne peut donc pas toutes les corriger. Néanmoins, le système actuel est très redistributif : alors que l’écart des salaires va de 1 à 6 en moyenne, l’écart des retraites est seulement de 1 à 4. Et ce, grâce à de nombreux mécanismes particuliers, qui corrigent l’effet très inégalitaire du système. Non corrigé, il aboutirait à des niveaux de pension allant de 1 à 7.

Il est prévu que le nouveau système de retraite conserve la même part de dépense pour chaque mécanisme de redistribution. Ce qui n’empêchera pas certaines réformes en leur sein. Conformément à ce qui a déjà été annoncé par Emmanuel Macron en avril, le rapport Delevoye propose d’abord de garantir un minimum de retraite égal à 1 000 euros, soit 85 % du Smic net, contre 81 % pour les salariés et 75 % pour les agriculteurs aujourd’hui. Ce montant – qui était défini comme l’objectif de la réforme de… 2003 – sera un peu supérieur au minimum vieillesse, versé à plus de 550 000 Français, qui atteindra 903 euros d’ici début 2020.

Une majoration de 5 % des points de retraite sera aussi attribuée pour chaque enfant né dans une famille (les parents pourront attribuer cette majoration à l’un d’entre eux ou se la partager). Aujourd’hui, une majoration de 10 % est accordée seulement aux parents de trois enfants et plus.

Le système de pension de réversion est quant à lui maintenu. 4,4 millions de ces pensions, où le conjoint touche une part de la retraite du conjoint décédé, sont versées chaque année (à des femmes à 89 %). Mais les 13 règles différentes qui cohabitent selon les régimes seront fondues en une seule qui garantira pour le conjoint survivant le maintien de 70 % du niveau des pensions constatées du couple.

Le nouveau régime garantira toujours les départs anticipés à 60 ans pour les travailleurs ayant effectué une carrière longue. Et la pénibilité sera également prise en compte, avec la possibilité de partir avant 62 ans à la retraite grâce au compte professionnel de prévention, qui permet d’acquérir jusqu’à deux ans de départ anticipé. Ce compte sera étendu aux fonctionnaires et aux régimes spéciaux. Des départs anticipés seront également conservés pour les militaires et les fonctionnaires ayant des fonctions dangereuses dans le cadre de missions régaliennes.
Sur tous ces points, le plus grand flou perdure, aucune précision n’a encore été apportée. Idem pour la proposition, nouvelle, de valoriser le début de carrière des jeunes actifs, une question qui devrait être examinée avec les partenaires sociaux dans les prochaines semaines. Enfin, le mystère est total sur le sort des 1,8 million de bénéficiaires du RSA, qui ne cotisent pas à la retraite actuellement. Contrairement aux Français en arrêt-maladie, en congé maternité ou au chômage, il n’est apparemment pas prévu qu’ils engrangent des points.