Le handicap

Médiapart - Retour en classe : les élèves en situation de handicap pas si prioritaires...

Mai 2020, par Info santé sécu social

22 MAI 2020 PAR KHEDIDJA ZEROUALI

Malgré les annonces du ministre de l’éducation, les élèves en situation de handicap sont peu nombreux à avoir retrouvé les bancs de l’école. À Paris, l’académie estime que seuls 25 % de ces élèves sont de retour en classe. Et pour cause, parents et associations dénoncent le mauvais accueil réservé aux élèves handicapés dans les écoles depuis le début du déconfinement.

« Ils ont essayé de me dissuader de remettre mon fils à l’école parce qu’il est handicapé. » Depuis le 11 mai, Samantha, cheffe d’une petite entreprise en Seine-et-Marne, bataille pour que son fils Louka retourne à l’école.

À trois ans et demi, le petit garçon atteint d’autisme avec retard de développement vient tout juste de prononcer ses premiers mots : yaourt, maison, maman. « La seule bonne nouvelle du confinement », commente Samantha. Le maire de la commune où habite la famille a décidé de laisser les écoles fermées. Alors, la mère de Louka a tout tenté pour que son fils retourne quand même à l’école et au centre de loisirs, afin qu’il n’accumule pas un trop grand retard.

C’est dans un échange informel avec un adjoint au maire sur Facebook qu’elle a appris que des classes allaient rouvrir pour accueillir les enfants prioritaires, c’est-à-dire ceux dont les parents sont soignants, policiers, pompiers ou encore employés municipaux. Dans un premier mail, reçu le 6 mai, la directrice du centre de loisirs lui indique que « le protocole imposé par l’État n’est pas réalisable à ce jour dans les écoles de la commune » avant de lui préciser que comme elle n’exerce pas une profession prioritaire, Samantha ne pourra pas renvoyer son enfant à l’école.

Pourtant, le lendemain, jeudi 7 mai, le ministre de l’éducation nationale Jean-Michel Blanquer dévoile le plan de déconfinement pour les écoles. Il insiste sur le fait que « les élèves en situation de handicap, les enfants des personnels soignants et les enfants identifiés comme décrocheurs ou en voie de décrochage scolaire » sont désormais prioritaires pour la réouverture progressive, le 11 mai. Samantha ne comprend donc pas pourquoi son fils ne serait pas accepté en classe.

La mère de famille envoie alors un nouveau mail à la directrice de l’école, le 11 mai : « Les enfants handicapés sont désormais prioritaires. Comment pouvons-nous envisager le retour de Louka à l’école ? », demande-t-elle. Le lendemain, et malgré les annonces du ministre, la directrice de l’école reporte, encore, sa réponse.

S’ensuivent, entre Samantha, la directrice du centre de loisirs et la directrice de l’école, de longs silences et d’âpres négociations, de nombreux échanges de mails et de coups de téléphone. De nombreuses justifications lui sont apportées. « La directrice de l’école a contacté mon mari pour lui dire que Louka ne pouvait pas respecter les gestes barrières. Puis elle a avancé le fait qu’il aurait deux maîtresses différentes, alors qu’il a besoin de stabilité. Elle m’a aussi dit que personne ne pourrait l’accompagner durant la pause du midi. Les enfants accueillis en service minimum, m’a-t-elle expliqué, doivent manger des repas froids seuls. »

Samantha ne se le tient pas pour dit et finalement Louka rentrera à l’école le 25 mai, dans une classe de cinq enfants avec son accompagnante des élèves en situation de handicap (AESH). « Tout se finit bien mais il aura fallu batailler », s’agace-t-elle. « Si je ne les avais pas sur-sollicités, il ne se serait rien passé, comme d’habitude. Clairement, ils ne veulent pas de nos enfants à l’école. »

Le 15 mai, et face à la multiplication de témoignages similaires de parents dissuadés de remettre leurs enfants en situation de handicap à l’école, la Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE), l’Union nationale des associations de parents, de personnes handicapées mentales et de leurs amis (Unapei) et la fédération générale des pupilles de l’enseignement public (PEP) ont alerté le ministre de l’éducation nationale, Jean-Michel Blanquer et la secrétaire d’État chargée des personnes handicapées, Sophie Cluzel. Ils écrivent : « À l’heure où les écoles ouvrent leurs portes partout en France, à l’heure où les équipes enseignantes s’organisent pour accueillir les élèves tout en respectant les gestes barrières, des enfants à besoins éducatifs particuliers se voient refuser l’accès à l’école de la République. » Pour l’instant, aucune réponse ne leur a été adressée.

Pour Sonia Ahehehinnou, administratrice nationale de l’Unapei, les arguments développés par certains directeurs d’établissements afin de ne pas reprendre les élèves en situation de handicap sont inaudibles : « On a été alertés par des familles qui se faisaient refuser l’accès à l’école avec comme argument que leurs enfants ne pouvaient pas respecter les gestes barrières ou les distanciations sociales. Sans même avoir essayé. »

Pour l’administratrice nationale de l’Unapei, il faut agir vite : « Attendre, la rentrée en septembre, ça serait dramatique. Plus on attend et plus ça sera compliqué pour les enfants de rester dans les enjeux pédagogiques. D’autant plus qu’on est dans une crise virologique dont on ne connaît pas l’issue, combien de temps cela va-t-il durer ? »

À Paris, le rectorat après « une première enquête » estime qu’en moyenne « entre 20 et 25 % des élèves en situation de handicap sont déjà revenus à l’école » avant de préciser qu’ils enregistrent un nombre « important » de refus des familles de retour à l’école ou, du moins, « une volonté de temporisation avec un délai jusqu’à la fin de mois de mai, comme pour les autres publics prioritaires ».

Sophie* habite à Paris et elle aurait beaucoup aimé que sa fille retourne en classe mais là encore l’école a refusé. La mère de Sarah*, petite fille de cinq ans avec des troubles du langage, travaille pour une société de cosmétique. Depuis le début du déconfinement, elle et son mari ont basculé tous les deux en télétravail.

« Notre fille n’est pas autonome, on doit être disponibles tout le temps, il faut tout le temps l’encadrer et avec le travail ce n’est pas possible », rapporte-t-elle. D’ici la rentrée, elle pense à l’envoyer loin de Paris, chez ses grands-parents. De toute façon, la famille n’a pas vraiment d’autre choix.

Munie d’une notification de la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH), Sarah devrait, normalement, être accompagnée par une AESH 12 heures par semaine. Au terme d’un véritable parcours du combattant, la famille a réussi à trouver une AESH au début de l’année scolaire. Cette dernière est tombée malade, s’est mise en arrêt maladie en janvier et a laissé Sarah avec une vacataire qui, sous-effectif oblige, ne pouvait l’accompagner que 6 heures par semaine. Le contrat de cette vacataire s’est terminé début mai, pendant le confinement.

Sarah se retrouve désormais sans AESH, et sans accompagnatrice. Il n’y a pas de retour à l’école possible dans ces conditions, a annoncé à Sophie et son époux la directrice de l’école maternelle dans un mail du 12 mai : « Le contrat de Madame B.* est arrivé à son terme et nous attendons qu’un nouveau personnel AESH soit nommé pour accompagner Sarah dans sa scolarité et dans ce contexte où l’application des gestes barrières est indispensable. Le retour de Sarah nécessite que toutes les précautions soient prises pour assurer sa sécurité et celles des autres. À l’heure actuelle, ces conditions ne sont pas encore réunies. Afin de permettre l’accueil de Sarah dans de bonnes conditions, j’ai d’ores et déjà sollicité le rectorat quant à son accompagnement par un AESH. »

Pour Sophie, c’est la douche froide. « Vu la pénurie d’AESH, il n’y aura pas de miracle entre fin mai et juin, donc on comprend que notre fille ne retournera pas à l’école d’ici septembre. » Selon elle, cette situation n’est pas tellement imputable à la directrice, « elle fait comme elle peut », précise-t-elle. « Ce qui pose vraiment problème, reprend-elle, c’est le système entier, les AESH ne sont pas toujours formées, elles sont très mal payées, il n’y en a pas assez et c’est un problème global qui se voit encore plus en temps de crise. Sur la question du handicap, il y a le discours mais les moyens ne sont pas là. »

Parents inquiets
De son côté, l’académie de Paris l’assure : « Le retour à l’école des élèves porteurs de handicap est une priorité claire. » Dans le détail, elle annonce avoir fait parvenir des documents préparatoires à l’ensemble des directeurs, des enseignants, des AESH, des membres des réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté (RASED) et des psychologues de l’éducation nationale. Malgré nos demandes répétées, nous n’avons pas eu accès à ces documents.

L’académie de Paris édicte cependant deux directions majeures : « D’abord, le déconfinement de tous les élèves en insistant sur la sécurité et le respect des gestes barrières d’une part, le repérage des comportements anxieux d’autre part. Puis, le déconfinement des élèves en situation de handicap en proposant un protocole validé par la DASES [Direction de l’action sociale, de l’enfance et de la santé – ndlr] et la DASCO [Direction des affaires scolaires – ndlr] posant le principe d’un essai de reprise qui, s’il s’avère infructueux, associe la famille à la recherche de solutions intermédiaires et provisoires. »

Des réponses qui, dans les faits, semblent insuffisantes pour Irène Laloum, administratice de la FCPE Paris, en charge du handicap. « On a donné les rênes aux directeurs, il n’y a pas de garde-fous. C’est eux qui décident qui est prioritaire et qui ne l’est pas. Sauf qu’il y a les directeurs bienveillants, ceux à qui aucun handicap ne pose problème, et il y a aussi ceux qui passent leur temps à détruire et le moral des familles et la situation des enfants. »

Christine* est AESH dans la Sarthe. Elle suit trois jeunes garçons, un en CE1, deux en CE2, dans deux écoles différentes. À 51 ans, elle a enchaîné les boulots précaires, les ménages, les emplois de service. Depuis janvier, elle a signé un CDD de trois ans, à 800 euros par mois, pour accompagner des enfants en situation de handicap.

Elle aide 6 heures par semaine Yacine*, en CE1, qui a de grandes difficultés à se concentrer. Puis, quelques kilomètres plus loin, elle assiste Léo* et Martin*. Le premier, hyperactif, refuse l’autorité et le second est très lent et comprend difficilement les consignes.

Pendant le confinement, Christine n’a eu de nouvelles ni de Yacine, ni de Léo, ni de Martin. « J’ai appelé leurs professeurs et ils m’ont juste indiqué que sur les trois, deux avaient décroché », s’inquiète-t-elle. « Il y a aussi le contexte familial et social qui joue, on démarre pas tous dans la vie avec le même jeu de cartes. »

Le 19 mai, et alors que les élèves qu’elle suit ne sont toujours pas revenus à l’école, Christine reçoit un message lui demandant de retourner dans l’établissement. « Même si Yacine ne revient que le 28, on m’a dit de revenir pour accomplir des tâches qui ne font pas partie de mes missions. » On lui demande de garder des élèves qui n’ont pas de handicap, elle refuse. « Ce n’est pas tellement que ça me dérange, mais on est déjà peu reconnus. Si on accepte de faire des missions hors de notre contrat, ça va être la catastrophe. » Finalement, Christine a réussi à négocier avec le directeur de l’établissement et reviendra en même temps que ses élèves.

Toutes n’ont pas eu cette chance. Hélène Élouard, représentante du collectif AESH National CGT Educ’action, a fait remonter ses remarques au ministère de l’éducation nationale et attend toujours un retour. « Dans le premier degré, c’est la catastrophe. »

Elle raconte d’abord l’absence de protections et de masques pour les AESH. « Quand il n’y en a pas assez, c’est d’abord pour les enseignants », affirme-t-elle. Puis il y a, invariablement, le manque de communication, le stress de la maladie auxquels s’ajoute l’angoisse du retour à l’école avec un protocole impraticable pour les AESH dont l’essence du métier est la proximité. Elles appréhendent ce retour à l’école pour effectuer des tâches annexes lorsque les enfants en situation de handicap sont absents, comme de la garde de classe au ménage. Ces AESH ont le sentiment d’être, encore une fois, mises de côté : « En temps de crise, on voit encore plus à quel point on est méprisées. »

Pour certains enfants en situation de handicap, et malgré les annonces du ministère de l’éducation nationale, le retour à l’école n’est donc pas pour tout de suite. Et les parents sont nombreux à craindre l’impact négatif qu’auront, sur leurs enfants, ces mois éloignés de la scolarité. Roselyne Finot, mère d’Andréa, élève de CE2 atteinte de dysphasie (trouble sévère du langage oral) tranche : « Le déconfinement, on nous l’a annoncé et on a l’impression qu’ils n’avaient rien préparé. »

Sa fille est censée reprendre le 5 juin, avec les autres élèves de CE2, enfin peut-être. Pour Roselyne, tout reste flou. « Les documents sur la réouverture des classes ne font pas mention du sort qui serait réservé aux enfants en situation de handicap », s’inquiète-t-elle. Le 18 mai, l’enseignante référente lui indiquait que les élèves qui dépendent des unités localisées pour l’inclusion scolaire (ULIS) ne reprendraient pas l’école dans l’académie de Lyon, ce qui entre en contradiction avec les consignes et les déclarations du ministère… Mais aussi avec celles de l’académie elle-même.

« Le seul cas où les élèves en situation ne peuvent pas reprendre l’école, c’est lorsque l’AESH n’a pas repris, pour différentes raisons. Sans accompagnement, c’est compliqué de recevoir l’enfant », assure l’académie de Lyon. Laquelle concède cependant une grande crainte chez certains professeurs qui, par peur que l’élève ne respecte pas les gestes barrières, ne sont pas favorables au retour des enfants en situation de handicap. « Ce genre de situations nous sont remontées et nous, avec l’aide du chargé des questions de handicap, on rassure les enseignants. »

Depuis le début du confinement, Roselyne, qui doit aussi s’occuper de deux jumelles de deux ans, jongle entre le télétravail, son rôle de professeure et celui de parent alors que son mari, lui aussi, n’a pas cessé de travailler. La continuité pédagogique, « tant vantée par le ministre », a volé en éclats : devoirs non adaptés au handicap de sa fille, retard accumulé, temps et énergie plus investis dans l’accompagnement d’Andréa à travers cette période stressante que dans les devoirs… « J’ai essayé de faire comme je pouvais mais ce n’est pas mon rôle », conclut Roselyne, éreintée.

« Andréa ne comprend pas pourquoi elle ne peut pas retourner à l’école, rapporte sa mère. Sa maîtresse et les récréations lui manquent et elle nous en parle. On a réussi à éviter le sujet mais ça reviendra si d’ici juin elle ne retourne pas à l’école. »

Quelques initiatives sont prises pour rendre ce moment moins pénible pour les enfants. « Ainsi, nous fait savoir l’académie de Lyon, le groupe académique autisme, en lien avec le Centre de ressources autisme Rhône-Alpes, propose des visioconférences ouvertes à tous les enseignants et aux AESH pour préparer au mieux la reprise des cours. Ces visioconférences sont proposées jusqu’à la fin de l’année scolaire, une fois par semaine. »

Pour l’académie de Lyon, il est encore trop tôt pour chiffrer le nombre d’élèves en situation de handicap qui sont retournés à l’école. Cependant, elle l’assure : « Ces élèves vont renouer avec l’école, nous étions dans une situation exceptionnelle mais ces enfants ne sont pas des décrocheurs. » Une certitude que les parents interrogés peinent, de plus en plus, à partager.