Les retraites

Médiapart - Retraites : Macron tient son cap au milieu de débats cosmétiques

Novembre 2022, par Info santé sécu social

Même s’il a accordé quelques semaines de discussions aux opposants à son projet, le chef de l’État souhaite toujours voir reculer jusqu’à 65 ans l’âge de départ à la retraite. Et l’échéance se rapproche vite.

Dan Israel
8 novembre 2022 à 19h10

À écouter les responsables politiques, syndicaux et patronaux, et à lire la presse, les débats autour de la future réforme des retraites sont enfiévrés depuis quelques semaines. Le Sénat, qui a commencé lundi à examiner en séance le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), devrait voir la majorité de droite adopter un amendement qui permettra de décaler de 62 à 64 ans l’âge légal de départ en retraite, avant lequel nul n’a le droit de toucher sa pension.

Le gouvernement ne devrait pas conserver cette proposition dans la mouture finale du texte, mais il organise de son côté depuis le 10 octobre des « concertations » avec les syndicats et les organisations patronales, qui devraient s’étaler jusqu’à la fin de l’année. Ce n’est qu’à l’issue de ces discussions, organisées en trois cycles (emploi des seniors, « équité » et solidarité, c’est-à-dire débat autour des régimes spéciaux et des minima sociaux, puis équilibre financier du système), que le gouvernement présentera officiellement ses intentions, avant la fin de l’hiver.

Le ton a changé depuis la mi-septembre. À l’époque, Emmanuel Macron avait laissé entendre qu’il pourrait bien appuyer brutalement sur l’accélérateur et faire passer la réforme, justement, par un amendement au PLFSS. L’idée a finalement été prudemment remisée, devant la levée de boucliers de tous les syndicats, et notamment de la CFDT, identifiée par l’exécutif comme le seul partenaire potentiel du côté des salarié·es sur ce dossier plus qu’épineux.

Le président a déjà payé pour savoir que toute réforme du système des retraites est délicate. Après le plus long mouvement social de l’histoire en France, fin 2019 et début 2020, il avait finalement dû abandonner son projet de régime « universel », rattrapé par la pandémie de Covid-19. Avant de déclarer forfait, l’exécutif s’était résigné à faire voter son texte de loi en laissant ouvertes un nombre vertigineux de questions, qu’il n’était pas parvenu à résoudre en de longs mois de discussions.

Désormais, le cap est bien plus simple : faire reculer l’âge légal de départ, pour le faire passer à terme de 62 à 65 ans. En augmentant au passage, ou non – cela reste à déterminer – la durée de cotisation nécessaire pour toucher une retraite à taux plein. Mais en démarrant vite, quoi qu’il en soit, avec un début de mise en œuvre dès l’été prochain.

Pour atteindre ce cap, le chef de l’État a donc consenti à laisser passer plusieurs mois de discussions. De discussions, mais pas de négociations. La différence est notable. Car l’effervescence du moment et les nombreuses rencontres au ministère du travail ne doivent pas masquer l’évidence : Emmanuel Macron n’entend pas faire évoluer le cœur de son projet. Il l’a redit lui-même sur France 2 le 26 octobre.

Relever l’âge de départ de quatre mois tous les ans, c’est tout simplement multiplier par quatre le rythme actuellement prévu.

« À partir de l’été 2023, on devra décaler l’âge légal de départ de quatre mois par an. Donc, à horizon 2025, on passera à 63 ans, à horizon 2028 à 64 ans, et à horizon 2031 à 65 ans », a-t-il déclaré. Il a précisé que des contreparties seraient accordées pour « les carrières longues qui ont commencé à travailler avant 20 ans » et pourront toujours partir avant l’âge légal. Il a aussi, bien sûr, insisté sur la formation des seniors et sur l’importance de les maintenir en emploi. Autant de sujets qui sont justement discutés en ce moment au ministère du travail.

Mais ces quelques mesures compensatoires ne doivent pas masquer le fond du projet, et la rapidité avec laquelle il devrait, aux yeux du président, entrer en vigueur. Relever l’âge de départ de quatre mois tous les ans, c’est tout simplement multiplier par quatre le rythme actuellement prévu – rythme qui concerne non pas l’âge de départ légal en lui-même, mais le nombre de trimestres cotisés nécessaires pour obtenir une retraite à taux plein.

Jusqu’en 1993, il fallait 37,5 années de cotisations pour pouvoir partir « à taux plein ». Le système actuel (acté par la réforme portée en 2014 par Marisol Touraine, ministre de François Hollande) prévoit, sans toucher à l’âge légal, d’en augmenter le nombre, au rythme d’un trimestre tous les trois ans.

Il est actuellement prévu que les actifs et actives qui prendront leur retraite en 2035 devront avoir cotisé 43 ans. L’âge à partir duquel une retraite à taux plein peut être accordée aux Français·es n’ayant pas cotisé suffisamment a reculé de 65 à 67 ans – et dans ce cas, la retraite peut tout de même rester amputée d’une partie de son montant total, au prorata des années non travaillées.

Les résultats de ce rapport ne valident pas le bien-fondé des discours qui mettent en avant l’idée d’une dynamique non contrôlée des dépenses de retraite. Rapport annuel du COR, septembre 2022

Emmanuel Macron n’a pas dévié de sa ligne : il faut aller beaucoup plus vite. En étant réélu face à Marine Le Pen, il aurait, assure-t-il, obtenu « le mandat de nos compatriotes » pour mener à bien son projet. Les arguments de fond n’ont pas changé, et s’appuient en partie sur le dernier rapport du Conseil d’orientation des retraites (COR), publié mi-septembre.

Le texte prévoit qu’après un excédent en 2021 et 2022 (de 900 millions puis de 3,2 milliards d’euros), le système des retraites se retrouvera dans une situation déficitaire pendant au moins une dizaine d’années. Au mieux, le système reviendrait à l’équilibre au milieu des années 2030, mais en retenant les hypothèses classiques, le déficit serait résorbé seulement « au milieu des années 2050 » – et seulement si la productivité de l’économie française s’accroît de 1,6 % par an, ce qui est une prévision plutôt optimiste.

Pourtant, le rapport ne prévoit nullement, dans aucune hypothèse, que les dépenses de retraite explosent à l’échelle de la richesse française. Ses auteurs l’écrivent même noir sur blanc dans leur synthèse : « Les résultats de ce rapport ne valident pas le bien-fondé des discours qui mettent en avant l’idée d’une dynamique non contrôlée des dépenses de retraite. »

En effet, comme nous le détaillions pendant la campagne présidentielle, les réformes déjà votées et qui entrent peu à peu en vigueur font baisser les pensions de nouveaux et nouvelles retraité·es, année après année. Mais l’exécutif a promis à Bruxelles de limiter la croissance des dépenses publiques « à 0,6 % en volume entre 2022 et 2027 ». Or les dépenses de retraite, qui représentent le quart de ces dépenses publiques, « progresseraient sur la période de 1,8 % », rappelle le COR. De quoi motiver Emmanuel Macron et ses troupes à imposer leur ligne.

Les syndicats vent debout
Sur France 2, le président a certes fait mine d’être tenté par une négociation, en se disant « ouvert » à ne « pas aller jusqu’à 65 ans », si certains partenaires sociaux sont prêts « à travailler un peu plus de trimestres ». C’est-à-dire à accélérer le rythme de la réforme Touraine.

Mais cette proposition n’a que peu de chances d’être suivie, car tous les syndicats sont sur la même ligne : le refus du report de l’âge légal, tout comme celui de l’allongement de la durée de cotisation. La CGT, qui ne participe pas aux discussions avec le ministère du travail en protestation contre les réquisitions lancées au moment des grèves des raffineries, revendique toujours la retraite à 60 ans pour tous.

Quant à la CFDT, qui soutenait lors du premier quinquennat la mise en place d’un « régime universel », elle répète sur tous les tons depuis de nombreux mois qu’elle s’oppose à cette nouvelle mouture, purement financière, et qu’elle sera même prête à appeler ses militant·es à manifester contre cette réforme.

Le secrétaire général du syndicat l’a dit à nouveau le 30 octobre dans Le Figaro : « La CFDT reste opposée à tout report de l’âge légal de départ, à 64 ans ou 65 ans, et à toute augmentation en parallèle de la durée de cotisation. La CFDT y est d’autant plus opposée qu’une telle option impacterait les travailleurs précaires, notamment de la “deuxième ligne”, qui se sont battus depuis deux ans contre le Covid et se battent aujourd’hui pour avoir de la reconnaissance et des hausses de salaire. »

Laurent Berger est d’autant plus ferme que le 16 juin dernier, lors du congrès de la CFDT qui l’a réinstallé à son poste, les adhérents du syndicat ont imposé à la direction confédérale d’écrire noir sur blanc qu’ils refusaient désormais toute augmentation de la durée de cotisation.

Pénibilité et emploi des seniors
Les discussions qui ont été menées pour l’instant entre syndicats et gouvernement ont montré les quelques points d’accord, et les nombreux désaccords qui existent entre les parties, même lorsqu’ils n’ont pas évoqué la durée du travail. Sur la pénibilité, par exemple : un compte pénibilité existe, qui permet à certain·es salarié·es de cumuler des points, et de les utiliser pour partir un peu plus tôt à la retraite. Selon les chiffres même du gouvernement, moins de 12 000 personnes ont déjà utilisé leurs points. Tous les syndicats demandent que le dispositif soit amélioré.

Il faut rappeler qu’Emmanuel Macron a réduit le champ du compte pénibilité, dès son arrivée au pouvoir en 2017 : sur les dix critères pouvant à l’origine donner droit à des points pénibilité, quatre avaient été supprimés par ordonnance en 2017. Et comme le souligne Laurent Berger interrogé par Le Figaro, « les quatre facteurs exclus – les ports de charges, les postures pénibles, les vibrations et les agents chimiques – représentent 95 % des maladies professionnelles reconnues en 2019 ».

Les syndicats demandent donc le retour de ces critères. Le gouvernement, lui, propose de supprimer le plafond des points pénibilité ou de permettre d’acquérir plus de points en cas d’exposition à plusieurs risques cumulés.

J’ai reçu récemment un courrier personnel qui me propose 125 000 euros pour quitter mon poste chez Renault.
Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT

Mais le gros des discussions a pour l’heure surtout porté sur l’emploi des seniors. Les syndicats insistent régulièrement sur le fait que les entreprises ne veulent pas garder leurs salarié·es de plus de 50 ans, et interrogent le gouvernement sur la contradiction avec sa volonté de faire travailler tout le monde plus longtemps. L’exécutif propose de mettre en place un « index senior », qui évaluerait les employeurs sur la part des plus de 50 ans dans leurs troupes, et pourrait aboutir à des sanctions en cas d’abus. Les partenaires sociaux voient cette proposition comme un gadget, au mieux.