Les retraites

Médiapart - Retraites : avec le 49-3, le gouvernement préserve l’essentiel de son texte

Mars 2020, par Info santé sécu social

3 MARS 2020 PAR DAN ISRAEL
Le projet de loi sur lequel le gouvernement a engagé sa responsabilité, par le biais du 49-3, incorpore quelques amendements de l’opposition, et concède une poignée de mesures symboliques. Mais ni l’esprit ni le cœur de la réforme ne sont remis en cause.

Il y a le débat, les contestations, l’autoritarisme révélé par l’utilisation de l’article 49-3 de la Constitution. Mais il y a aussi, enfin, un texte.

Avec l’adoption en première lecture, sans vote, du « projet de loi instituant un système universel de retraite », il est désormais possible de connaître en un coup d’œil – long de 143 pages tout de même – les choix réels d’Emmanuel Macron et de son gouvernement sur ce texte qui concerne des dizaines de millions de Français (presque 30 millions d’actifs et de chômeurs cotisent au titre de l’assurance-retraite, et 16 millions de retraités touchent une pension).

Sans surprise, le texte sur lequel le gouvernement a engagé sa responsabilité n’a pas été transformé de fond en comble par rapport à celui qu’il avait présenté en première lecture. Un régime « universel » sera bien créé pour fusionner tous les régimes existants, et un âge d’équilibre fera bien reculer, génération après génération, l’âge de départ effectif à la retraite, sous peine de subir une décote dissuasive : 5 % du montant total de la pension en moins, pour un départ à la retraite un an avant l’âge d’équilibre.

Mais il restait nombre d’interrogations. Alors que la commission spéciale chargée d’examiner le texte n’était arrivée qu’à débattre de la moitié des articles dans le délai imparti, et que l’Assemblée a été privée de sa possibilité d’en discuter après l’article 7, quel texte allait présenter le gouvernement ?

En annonçant qu’il allait déclencher le 49-3, le premier ministre avait assuré que le texte présenté serait « profondément enrichi », par le biais de nombreux amendements piochés parmi ceux qui avaient été déposés par les députés, de la majorité mais pas seulement.

Et de fait, les plus de deux cents amendements et sous-amendements retenus pour transformer le texte initial ont été empruntés à la majorité en quasi-totalité, mais aussi aux autres groupes parlementaires, hormis la France insoumise.

Durée de la transition, « clause du grand-père » pour les égoutiers et les infirmières, réduction du nombre d’ordonnances qui seront nécessaires pour finaliser le texte (22 ordonnances, au lieu des 29 initialement prévues). Même s’il ne lâche rien de ses ambitions affichées, le gouvernement a accordé certaines concessions.

Mais la discussion parlementaire, même abrégée, va encore durer. Le texte de loi devra être avalisé par le Sénat, sans doute en avril, puis en nouvelle lecture à l’Assemblée (où le 49-3 pourra être à nouveau employé) avant la fin juin, et le début des travaux de rénovation qui bloqueront l’Assemblée pendant plusieurs mois.

Dans l’immédiat, reste à boucler la discussion sur la loi organique liée à la réforme, qui démarre dès mercredi. Ce second texte doit notamment graver dans le marbre la fameuse « règle d’or » budgétaire, qui établira que le système de retraite doit être équilibré financièrement tous les cinq ans – et qui est déjà actée dans l’article 55 de la loi ordinaire.

Il autorisera aussi concrètement la fusion des régimes de retraite complémentaire obligatoire dans le régime général, piloté chaque année par la loi de financement de la Sécurité sociale. De fait, cette loi organique actera l’étatisation d’un système aujourd’hui encore géré (avec de sérieuses contraintes, certes) par les syndicats et le patronat.

En attendant cette échéance, tour d’horizon des mesures qui devraient transformer les retraites des Français.

Le gouvernement a concédé quelques reculs symboliques
Des mois de contestation dans la rue et dans les débats avaient fait émerger leur cas comme l’un des plus préoccupants : avec le futur régime universel, les égoutiers risquaient de devoir partir à la retraite cinq à dix ans plus tard qu’aujourd’hui, alors que la nette surmortalité des travailleurs de leur métier est avérée.

Dans un geste très symbolique – qui ne concerne de toute façon pas les sous-traitants, particulièrement exposés, (lire notre article) – le gouvernement a repris dans son texte un amendement des députés communistes, qui laisse aux égoutiers actuellement en emploi le droit de partir à la retraite à partir de 52 ans.

C’est la fameuse « clause du grand-père », déjà accordée aux danseurs de l’Opéra de Paris : ce droit ne sera plus accordé aux égoutiers embauchés à partir du 1er janvier 2022.

Moins symbolique, mais concernant bien plus de personnes : le gouvernement a également décidé d’accorder la même clause à tous « les fonctionnaires hospitaliers ayant opté pour leur maintien dans la catégorie B ». C’est-à-dire les infirmières et aides-soignantes qui avaient décidé en 2010 de ne pas passer en catégorie A, mieux rémunérée, justement pour conserver leur droit à partir à la retraite dès 57 ans. Avec ce choix, le gouvernement évite de revenir sur la parole de l’État, dix ans après avoir imposé un choix difficile à ses troupes.

Cette décision annule l’impact de la suppression des règles de la « catégorie » active pour la plupart des 500 000 fonctionnaires concernés aujourd’hui (auxquels il faut ajouter les plus de 200 000 policiers, gendarmes ou pompiers, qui auront toujours le droit de partir à 57 ans).

Mais paradoxalement, en reconnaissant implicitement que ces fonctionnaires avaient légitimement de quoi se sentir inquiets, elle souligne aussi que les futurs agents publics, embauchés à partir de 2022, vont perdre beaucoup par rapport aux conditions actuelles.

Dans le même ordre symbolique, le fameux article 65 de la loi, qui devait ratifier des ordonnances favorisant le développement de l’épargne retraite par capitalisation, a été tout bonnement supprimé. « Le risque [existait] de mélanger deux sujets bien distincts, dans un texte consacré à une transformation très riche, très profonde et très ambitieuse de notre régime par répartition », reconnaît l’amendement présenté par un des co-rapporteurs du projet de loi.

Mais il s’agit simplement d’éteindre le feu sur un thème qui a enflammé l’opinion publique. « Nous trouverons un autre véhicule pour ratifier ces ordonnances », a déjà annoncé aux Échos le secrétaire d’État à la réforme, Laurent Pietraszewski.

Des droits familiaux clarifiés
Le texte comporte plusieurs mesures destinées à rassurer les femmes sur les conséquences de la réforme.

D’abord, la moitié des 5 % de points supplémentaires accordés à un couple pour chaque enfant (7 % à partir du troisième) sera réservée aux femmes, alors qu’il était prévu au départ que le couple puisse décider d’attribuer ces 5 % de bonus au père, généralement mieux payé. Les autres 2,5 % pourront être attribués à l’un des parents ou partagés, et seront attribués par défaut à la mère. Les parents isolés bénéficieront aussi de majorations, tout comme les parents ayant élevé des enfants handicapés.

Si le pas est réel pour garantir une partie des droits aux femmes, il est difficile de dire s’il compensera la perte de l’avantage actuel, de huit trimestres attribués aux femmes pour chaque naissance. Et le gouvernement a refusé d’accorder un montant forfaitaire, ou au moins un plancher minimal, pour chaque naissance, alors que cette mesure aurait largement favorisé les femmes aux pensions les plus basses.

Autre point désormais fixé : les pensions de réversion, qui profitent pour 90 % à des femmes, seront établies selon un pourcentage fixe de la retraite de l’assuré décédé. « Le montant sera servi à partir de ce montant au prorata de la durée de mariage par rapport à la durée d’assurance de l’assuré décédé », indique le texte.

Mais il ne précise pour autant pas explicitement que le niveau fixé sera de 55 % de la retraite du défunt, comme l’avait annoncé le gouvernement mi-février, puisque c’est un décret qui tranchera définitivement.

Point à souligner : le gouvernement a décidé que la pension de réversion ne pourra pas être versée « au conjoint survivant ayant commis un crime ou un délit à l’encontre de son conjoint », sauf décision contraire d’un juge.

Par ailleurs, les pacsés sont exclus du dispositif, alors qu’on dénombre 194 000 Pacs par an, contre 230 000 mariages environ. Les députés de l’UDI ont tout juste obtenu qu’un rapport « sur l’extension de la réversion aux couples unis par un pacte civil de solidarité » soit établi dans les douze mois à venir.

Sur la pénibilité, de petites avancées
Ce dossier est le plus brûlant dans le débat sur la réforme depuis des mois. Et il n’est pour l’instant pas franchement clarifié. Le gouvernement peine toujours à convaincre de sa réelle volonté de prendre en compte la pénibilité des emplois occupés dans une carrière pour avancer significativement le droit au départ à la retraite.

Comme annoncé début février par Édouard Philippe, la loi prévoit la création d’un congé de reconversion rémunéré, d’une durée de six mois, qui permettra de se former à un métier moins pénible. « Six mois à 100 % du salaire, une formation payée… C’est une vraie ambition, une véritable innovation », plaide le secrétaire d’État.

Certes. Mais cette avancée ne masque pas le cœur du problème : les salariés qui auront le droit d’accumuler des points pour partir plus tôt à la retraite (deux ans maximum) pourront le faire s’ils sont soumis à six critères précis de pénibilité.

Mais les syndicats n’ont pas obtenu que l’exécutif réintègre les quatre autres critères qui étaient initialement prévus dans le dispositif, et qui ont été supprimés en 2017… à l’initiative d’un député nommé Laurent Pietrazsewski.

Alors, même si la reconnaissance du travail de nuit a été élargie, par un abaissement du seuil, de 120 à 110 nuits par an, et que projet de loi permettra d’accumuler les points pénibilité plus rapidement, le compte n’y est pas encore. Et le gouvernement ne se cache pas qu’il laisse les syndicats et le patronat essayer de trouver un accord sur d’autres modalités, dans le cadre de la conférence de financement, qui devrait s’achever en avril. Or, le Medef est vent debout contre tout élargissement de la prise en compte de la pénibilité…

La hausse des revenus des profs sanctuarisée ou sacrifiée ?
C’est l’un des points qui figurent explicitement dans l’avis ravageur du Conseil d’État sur le projet de loi : la mention, dans la loi sur la réforme des retraites, d’une future loi de programmation censée garantir une hausse de la rémunération des enseignants, est « contraire à la Constitution ». En effet, en vertu de la séparation des pouvoirs, une loi votée par l’exécutif ne peut pas contraindre l’exécutif à déposer un futur projet de loi.

Le gouvernement a pourtant décidé de maintenir cette mention dans sa loi, mais dans un article spécifique, l’article 1er bis. Il y a deux façons de lire ce choix. Comme le gouvernement l’assure, on peut estimer qu’il s’agit d’« un engagement fort de la majorité en faveur du pouvoir d’achat des enseignants et des chercheurs », qui mérite un article à lui tout seul.

Plus prosaïquement, on peut aussi penser que le gouvernement joue l’effet d’affichage et qu’il est prêt à risquer une censure du Conseil constitutionnel sur ce point. Le fait de cantonner la mesure dans un article ad hoc lui permettrait alors de ne pas voir tout l’article 1er, qui institue le régime universel lui-même, malencontreusement annulé par le Conseil constitutionnel.

Cette ambiguïté n’est que la dernière d’une longue liste d’incertitudes sur le futur revenu des profs et de leurs retraites, que nous avons détaillées ici.

Une transition plus généreuse, mais beaucoup plus complexe
Le dispositif a été évoqué pour la première fois par le gouvernement fin janvier, et il est désormais acté par le texte de loi : le gouvernement accordera à tous les salariés actuels une transition longue vers le nouveau système de retraite, dite « transition à l’italienne » – déjà obtenue par les cheminots et par les salariés de la RATP.

L’idée est de favoriser au maximum les futurs retraités qui auront accumulé des droits dans l’ancien système. Prenons par exemple un salarié du privé, qui aurait effectué la moitié de sa carrière avant que le nouveau système entre en œuvre. Le calcul de sa pension sera basé sur la moitié des 25 meilleures années de sa carrière.

Il était possible de faire entrer en jeu ce calcul dès 2025, date de la bascule du nouveau système. Mais le gouvernement a décidé que le calcul sur les meilleures années se fera à la toute fin de la carrière, pour prendre en compte les vraies meilleures années.

L’idée est généreuse. Mais compliquée, extrêmement compliquée. D’abord, le dispositif met à bas toute possibilité de lisibilité du système, pour tous les actifs ayant accumulé des droits sous l’ancien système : il leur faudra attendre de prendre leur retraite pour savoir réellement ce à quoi leur donnera droit cette partie de leur carrière.

Il faudra aussi que les gestionnaires du nouveau système soient capables de reconstituer les carrières des salariés issus des 42 anciens régimes, et ce pendant plusieurs d’années : jusqu’au décès de la dernière personne touchant une pension de réversion issue de l’ancien système.

Il faudra donc conserver les outils informatiques et les salariés détenant les compétences nécessaires pendant plus de quarante ans. Une perspective qui paraît quasiment impossible. Il est donc probable que le principe de cette transition à l’italienne disparaisse à plus ou moins brève échéance.

Les chômeurs, grands perdants de la réforme
Aucun amendement, aucune main tendue de dernière minute n’est venue restreindre la gifle que constitue pour les chômeurs l’article 42 du texte de loi. Car le nouveau système pourra faire perdre beaucoup aux demandeurs d’emploi.

Aujourd’hui, un chômeur touchant l’allocation de retour à l’emploi valide ses trimestres pour la retraite de base et la retraite complémentaire. Et le niveau de salaire retenu est celui de son ancien emploi.

Avec la réforme, c’est terminé : les droits qui seront acquis ne le seront que sur la base de l’allocation versée, qui s’établit entre 57 % et 75 % de l’ancien salaire… jusqu’à présent.

Car la réforme de l’assurance-chômage, qui entre en vigueur à plein à partir du 1er avril, va faire chuter drastiquement le salaire de référence retenu pour le calcul des allocations, et donc de la pension, pour tous les chômeurs ayant connu des périodes d’emploi discontinu : il prendra en compte le salaire versé les jours travaillés, mais aussi l’absence de revenu les jours non travaillés.

La problématique est la même pour les chômeurs touchant l’allocation de solidarité spécifique (ASS), accordée sur condition de ressources en fin de droit. Les points qu’ils acquerront seront calculés sur le montant dérisoire de l’ASS, 500 euros par mois environ.

Quant aux chômeurs non indemnisés (il faut désormais avoir travaillé six mois en deux ans pour ouvrir ses droits), ils ne cotiseront plus pour leur retraite, alors qu’aujourd’hui, il suffit d’avoir déjà touché un salaire, y compris un petit job d’appoint, pour pouvoir valider des trimestres de la retraite de base, même si on ne touche aucune indemnisation.

Il reste encore une énorme interrogation, qui concerne les chômeurs en fin de carrière. Aujourd’hui, les demandeurs d’emploi indemnisés atteignant l’âge légal de départ à la retraite peuvent continuer à toucher leur allocation le temps d’obtenir le nombre de trimestres requis pour toucher le taux plein. Dès qu’ils atteignent ce taux plein, ils doivent prendre leur retraite, et bien souvent subissent une décote de 10 % sur leur retraite complémentaire. Cette décote est limitée à trois ans et ne s’applique pas à plein pour les petits retraités.

Avec le nouveau système de retraite, les règles ne bougeront pas du côté de Pôle emploi : à 62 ans, les chômeurs devront prendre leur retraite… même si l’âge d’équilibre est fixé à 64 ans, ou 65, 66, voire 67 ans, pour les générations suivantes. Résultat, des décotes très lourdes vont s’appliquer pour tous ces chômeurs âgés, qui ont pourtant énormément de mal à trouver un emploi, ou n’en ont plus la capacité.